La ville de Diourbel est un lieu très important dans la confrérie mouride. Entre Cheikh Ahmadou Bamba et cette localité, les liens sont très forts. C’est dans cette ville où il a passé 15 années de son existence et où sont nés la plupart de ses enfants.
Séjour à Diourbel
Le séjour du Cheikh à Diourbel, et spécialement la période entre 1913 et 1927, offre un exemple unique pour comprendre le rôle joué par les valeurs et éthiques du mysticisme musulman dans son œuvre d’enracinement de l’Islam dans le Baol. Le déménagement de Cheikh Ahmadou Bamba vers la ville coloniale de Diourbel en 1912 marque une étape importante dans les relations entre la Mouridiyya et l’administration coloniale.
Pour la première fois depuis 1895 le chef des mourides était autorisé à revenir définitivement au Baol. Il était toujours assigné à résidence, mais sa présence dans son pays natal était moralement très encourageante pour les cheikhs et les disciples mourides. Ahmadou Bamba comprit aussi que son installation à Diourbel inaugurait une nouvelle ère dans ses relations avec les Français. Il demanda et obtint l’autorisation de construire une maison. La plupart de ses fils et de ses filles allaient naître durant son séjour à Diourbel.
Pour lui, la ville faisait cependant partie de la dâr al-harb (ou dâr al-kufr), la terre des infidèles, et il aurait préféré retourner dans son cher village de Touba. Cheikh Anta Babou, professeur à l’Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis écrit : « Pour Ahmadou Bamba, les contraintes liées à l’absence de liberté de mouvement étaient atténuées par le fait qu’il savait désormais la Mouridiyya capable de survivre à l’oppression et à l’ostracisme infligés par les Français et qu’il croyait en la possibilité de transmettre et perpétuer un héritage en tant que cheikh et en tant que guide, fondateur d’une tarîqa prospère. Son installation dans le Baol oriental était en outre un bon début pour l’ancrage futur de la confrérie mouride dans sa région natale. L’atmosphère de confiance qui caractérisait de plus en plus ses relations avec l’administration coloniale lui permettait d’envisager la transformation progressive de cette région du Sénégal en un espace sacré mouride, une dâr al-murid. Ce processus allait se développer en trois phases : premièrement, l’occupation physique du pays par les mourides ; deuxièmement, la saturation de l’espace géographique avec des signes religieux et culturels ; et troisièmement le maintien à distance de l’influence française. Le projet de construction de la dâr al-murid, que les autorités françaises jugeaient au départ très suspect, leur parut de plus en plus acceptable au fur et à mesure que s’instaurait une politique de conciliation ».
Le projet de créer un espace mouride dans le Baol oriental devint particulièrement urgent lorsque Cheikh Ahmadou Bamba fut obligé, en 1912, de cohabiter avec les Français à l’« escale » de Diourbel.
La création d’un espace mouride au coeur de la dâr al-kufr :Al-Mubaraka
Aussitôt que Cheikh Ahmadou Bamba fut assigné à résidence à l’escale, en janvier 1912, les principaux cheikhs mourides (Ibra Fati, Cheikh Anta et Cheikh Ibra Fal) se mirent à user de leur influence pour obtenir son déménagement en dehors du quartier administratif.
À la mi-février 1913 poursuit Cheikh Anta Babou « les autorités coloniales décidèrent d’octroyer au cheikh un lopin de terre à l’extérieur du quartier européen, et lui donnèrent l’autorisation d’y construire une maison. On le laissa s’installer dans la partie est de la ville, sur une dune qui surplombait le lit à sec de la rivière Sine. Cheikh Ahmadou Bamba donna à sa nouvelle concession le nom d’albuqahat al mubarakati (emplacement béni) ou Al-Mubaraka. Les mourides luttèrent pour faire de leur quartier un espace sacré, après l’installation de Cheikh Ahmadou Bamba en février 1913. Bamba s’installa avec quelques dizaines de disciples dans la nouvelle concession qui devint vite un village de plusieurs centaines d’habitants. »
En janvier 1914, il appela les adeptes à se joindre à lui pour le gamou (commémoration du mawlud, anniversaire de la naissance du Prophète Muhammad). En 1917, vingt mille mourides se rassemblèrent à Al-Mubaraka pour le gamou . Ahmadou Bamba recommandait aussi à tous les mourides de célébrer l’anniversaire de son arrestation et de son exil au Gabon. Cette commémoration, le Magal, est aujourd’hui la fête religieuse la plus importante de la Mouridiyya. La délimitation d’un espace sacré mouride se fit en même temps que l’occupation physique du quartier. Peu après la fondation de la concession, Ahmadou Bamba ordonna à quelques-uns des plus anciens cheikhs de se construire des résidences secondaires à Al-Mubaraka. Al-Mubaraka devint rapidement le second lieu saint des mourides, après Touba.