Cette année, le Sénégal compte environ 270 000 étudiants et seulement 2400 enseignants-chercheurs, soit un triste ratio de 112 étudiants pour un professeur. Pour un budget du MESR avoisinant les 347 milliards de FCFA cette année, ce taux d’encadrement n’est pas propice à la transmission de savoirs encore moins la production de savoirs qui est et demeure la principale mission de toute Université. En effet, tel que nous le rappelions dans une précédente réflexion, qu’il s’agisse d’innovations techniques, technologiques ou de nouvelles approches en économie ou dans l’organisation du travail, in fine, il est attendu que l’université ne se contente pas (seulement) d’enseigner, mais de répondre chaque jour et de façon concrète aux défis de la communauté et améliorer son bien-être. C’est ainsi qu’elle gagne son prestige et sa légitimité. Au vu de nos maigres moyens, ce budget est relativement important et appelle à une rationalisation, notamment pour ce qui a trait aux bourses lorsqu’on fait abstraction des autres défis structurels (adéquation de l’offre de formation, recrutement des professeurs de la relève, qualité enseignement, moyens de la recherche, équipements, etc.). Le déficit de politiques publiques pour l’équité sociale (sur la base des revenus familiaux très mal calculés dans le pays) et d’autres défaillances dans la prise en charge des inégalités par l’État viennent renforcer le sentiment que les bourses offertes relèvent de la justice sociale et qu’il faut donc les pérenniser, les sanctuariser sans aucune remise en question.
Ainsi donc, au Sénégal, toucher aux bourses, c’est se fourrer dans un sale guêpier. C’est prendre le risque de se mettre à dos les étudiants et déclencher des grèves déchainées, car les bourses sont considérées comme un acquis, un droit naturel, un butin de guerre indispensable à la «survie». Il est de notoriété publique que la vie des étudiants est un enfer et que les bourses offrent la possibilité de se consacrer pleinement aux études sans trop se soucier des contraintes financières. Cependant, il est grand temps d’oser repenser ce «système» au grand bénéfice réel du mérite, de la réussite, de l’excellence et de la production de savoirs. Il ne s’agit pas d’un appel à l’usage de la «tronçonneuse» pour réformer le système. Bien au contraire. Il est fondamental, au vu des enjeux et des équilibres à sauvegarder, d’ouvrir le dialogue avec les acteurs et de procéder à des réformes progressives et étalées sur un quinquennat. En effet, selon les chiffres de 2022, l’État du Sénégal dépense chaque année une fortune de plus de 61 milliards de francs en bourses d’études distribués à quelque 100 000 étudiants avec des critères peu contraignants et essentiellement basés sur les performances au baccalauréat. Outre cette dépense faramineuse, l’Etat dote les Universités sans contrepartie de résultats explicites plus de 74 milliards de francs CFA dont la moitié revient directement à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Il existe également une autre ligne de dépense intitulée «œuvre sociale» dont la nomenclature peut porter à confusion tant elle peut être assimilée aux bourses. Sa valeur dépasse les 35 milliards (chiffres de 2022) et toujours à destination des universités.
L’État du Sénégal dans son PSNRI (Plan stratégique national pour la recherche et l’innovation) dit vouloir ériger la recherche et l’innovation en catalyseurs du développement durable, de l’industrialisation et de l’entrepreneuriat pour un Sénégal émergent à l’horizon 2035. La question des bourses est brièvement évoquée dans le plan stratégique et s’oriente plutôt sur la promotion des STEM avec une «emphase» sur la nécessité de supporter les filles dans les filières scientifiques. Il est alors fondamental d’aller au-delà des vœux pieux et des souhaits en repensant la redistribution des bourses et en conditionnant leur octroi au respect de l’esprit de la mission de l’Université : produire des connaissances. Pour ce faire, on peut partir du principe que les 3 premières années de Licence constituent une phase d’accumulation de savoirs tandis que les deux années de Master et les trois années de Doctorats représentent la véritable phase de production de savoirs. Ainsi donc, il serait pertinent de réserver les bourses exclusivement aux étudiants inscrits en Master et au Doctorat avec des obligations de résultat.
Tout étudiant régulièrement inscrit en Master devrait pouvoir bénéficier d’une bourse minimale de 150 000 Fr CFA mensuelle durant 2 ans pour un total budgétaire de 3 600 000 Fr CFA assorti d’un montant de 1 800 000 Fr CFA représentant la réserve en cas de redoublement et/ou l’aide à la participation à des activités scientifiques (congrès, symposium, conférence, stage technique, etc.) dans la sous-région. En prenant pour référence l’année 2022 où il y’a eu 14 400 étudiants inscrits en Master, cet investissement représente un budget annuel d’environ 26 milliards de francs CFA. Tout étudiant régulièrement inscrit au Doctorat devrait pouvoir bénéficier d’une bourse minimale de 250 000 Fr CFA mensuelle durant 3 ans pour un total budgétaire de 9 000 000 francs CFA fermes assortis d’un montant de 1 0 000 000 Fr CFA à but unique d’aide à la participation à des activités scientifiques (congrès, symposium, conférence, stage technique, etc.) dans la sous-région. La délivrance du diplôme doit systématiquement être conditionnée à la publication de deux articles dans des revues internationales à comité de lecture ou d’un livre chez une liste d’éditeurs d’exception ou lorsque cela ne s’applique pas, à toute équivalence pertinente. En prenant pour référence l’année 2022 où il y’a eu 6329 doctorants inscrits, cet investissement représente un budget annuel d’environ 19 milliards de francs CFA.
Le cout global de cette réorientation et redistribution des bourses envers les niveaux de production de savoirs représente environ 45 milliards de francs CFA, soit 74% du budget (61 milliards) des bourses en 2022. Les 16 milliards restant de ce budget (26%) peuvent être ventilés dans des bourses d’excellence thématique en licence (variable selon les intérêts stratégiques du pays), dans des bourses études-sports thématiques en licence (variable selon les intérêts stratégiques du pays), dans des bourses de formation professionnelle post-bac thématique (variable selon les intérêts stratégiques du pays) et enfin dans des bourses sociales destinées aux personnes atteintes de maladies chroniques, aux handicapés physiques ou aux orphelins avec cette fois une bonification exceptionnelle au nom de l’égalité des chances. Pour en saisir la faisabilité, il convient d’analyser cette proposition en tenant en compte de la perte annuelle dans le système des bourses (dossiers fictifs, douteux ou conflictuels, etc.) qui est estimée à plus de 11 milliards de nos francs. Il est utile également de préciser que les chiffres de 2023 font état d’un budget de plus de 90 milliards de francs pour les bourses.
Répétons-le une dernière fois, l’université est un haut lieu de compétition des idées dédiée exclusivement à la production de savoirs. Est-il nécessaire de paraphraser Lincoln ? Oui ! : Si vous pensez que l’éducation coute cher, essayez l’ignorance !
Idriss MAHAM