Le Conseil constitutionnel du Sénégal a pris la décision d’annuler la loi et le décret du président Macky Sall reportant la présidentielle au 15 décembre prochain. Invité de l’émission Jury du Dimanche sur les ondes de la 90.3 Iradio, le Professeur Ameth Ndiaye, maître de conférences, titulaire (CAMES) en droit public à l’Ucad estime qu’on peut retenir plusieurs leçons à travers l’arrêt du conseil constitutionnel. « On aurait pu dire, première leçon, le Conseil constitutionnel à travers cette décision du 15 février 2024 est mort et on peut même dans la foulée proclamer la naissance d’une nouvelle juridiction constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel est mort, vive le Conseil constitutionnel. Parce que pendant trop longtemps, relativement à l’appréciation des lois constitutionnelles, les juges constitutionnels sénégalais ils étaient emmurés dans le confort de leurs compétences strictes d’attribution pour se déclarer incompétents à chaque fois qu’ils étaient saisis. Et dans tout ce qu’on a pu dire et écrire ces derniers jours avec beaucoup d’autres collègues, la majorité de la doctrine, on a estimé que jamais l’occasion n’a été aussi favorable pour opérer ce que l’on appelle en droit un revirement jurisprudentielle. Et aujourd’hui, il faut saluer cette décision parce que c’est une décision d’avenir. Elle, au lieu de refermer la Constitution dans un carcan, le Conseil constitutionnel l’a libérée et lui permet maintenant de déployer des initiatives et des énergies », a-t-il dit. Avant d’ajouter : « donc, première leçon, il faut saluer les six membres du Conseil constitutionnel. Rappelez qu’il en a un qui était absent. Un qui fait partie des deux juges soupçonnés de corruption, entre guillemets. Et donc, c’est une décision à saluer. C’est une décision emblématique et qui fait immanquablement partie de ce qu’on pourra retenir comme étant l’une des plus grandes décisions du Conseil constitutionnel ».
Devant le jury du Dimanche, le Professeur Ameth Ndiaye soutient que la deuxième leçon, c’est que le Conseil constitutionnel, pendant longtemps, s’est appuyé sur une maladresse rédactionnelle de ses décisions à la matière. « Et ça, dit-il, nous le retrouvons dans ses décisions de 2006, dans ses décisions de 2016, dans ses décisions de 2018. Le Conseil disait, voilà, nous sommes en présence d’un pouvoir souverain. Et moi ça me faisait piquer parce que je me disais que ce n’est pas ça que j’apprends à mes étudiants en première année de droit. Ce que je veux apprendre, c’est que le pouvoir constituant est un ensemble, une enveloppe. Dans cette enveloppe, on retrouve le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire, c’est le pouvoir qui a compétence pour donner corps à la constitution. Par exemple, en 2001, on a usé de ce mécanisme pour mettre en place la deuxième constitution du Sénégal, après celle de 1959 », déclare l’invité du JDD. Et d’ajouter : « le pouvoir constituant dérivé, quant à lui, et nous sommes dans ce cas de figure, c’est le pouvoir qui sort des entrailles du pouvoir constituant originaire, qui ne peut se mouvoir de sa propre énergie. Il est mu par une énergie extérieure à lui qui s’appelle le pouvoir constituant originaire. Et qui lui dicte le chemin à emprunter pour toucher à ses dispositions constitutionnelles. Et donc, si lorsque le juge constitutionnel sénégalais nous dit que nous sommes en présence d’un pouvoir constituant souverain, il y a une confusion qui ne rend pas service au droit. Et qui ne rend pas service à son office. Parce que nous croyons que la confusion entre pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé ne rend pas service à la constitution ».
Cheikh Moussa SARR et Pape Doudou DIALLO (Photo)