Président de l’Assemblée nationale contre toute attente. Président de la République pour 90 jours au maximum. Amadou Mame Diop, aux portes du palais par une vacance du pouvoir presque évidente, n’entendra pas Monsieur le président de la République. 59 ans, la 2e personnalité de l’Etat est parti d’un destin présidentiel à un dessin présidentiel. Bes bi le Jour dresse l portrait d’un président raté.
Ce dimanche-là, dès 15 heures, bravant une chaleur de plomb, une foule de militants envahit le Gondolier, restaurant sis à Yoff-virage. Quelques minutes plus tard, dans l’exiguë salle, Mimi Touré effectue son entrée sous l’euphorie galvanisante de ses partisans. Nous sommes le 25 septembre 2022. Parée d’un tissu brodé aux motifs rouges, collier blanc sur le cou, larges boucles d’oreilles effleurant son foulard, elle s’installe, l’allure fougueuse. L’assistance, comme saisie par le suspense du rendez-vous, plonge dans un silence lourd. A seulement deux semaines après son entrée en dissidence contre le pouvoir, Mimi va dérouler le «thriller» politique de sa vie. L’intrigue commence un matin de 12 septembre 2022, jour de l’installation du bureau de la 14e Législature. La séance allait démarrer incessamment. Il est 9 heures 26 lorsque celle qui devait être au perchoir reçoit un message du Président. «Il demande s’il peut m’appeler. Je lui réponds par l’affirmative. Puis, il me joint au téléphone», raconte-t-elle, face à une forêt de caméras braquées sur sa figure. «Après avoir réfléchi suite à des concertations, me dit-il, j’ai finalement décidé de changer d’avis. C’est un autre que je vais placer au poste de Président de l’Assemblée nationale». Au bout du fil, ces mots de Macky se déversent comme une pluie torrentielle imprévue. «C’est comme ça que les faits se sont déroulés», ajoute-t-elle, pour couper court à l’avalanche de rumeurs. La suite de l’histoire est connue. C’est un coup de tonnerre à l’hémicycle ! C’est l’image de quelqu’un qui s’apprêtait à s’asseoir dans un fauteuil, qui sera déplacé : la chute peut être fatale.
Amadou Mame Diop, sur qui personne n’avait parié, est hissé au perchoir. Tout le monde se demande d’où vient ce nom, tant ses deux mandatures ne lui auront permis de se faire un nom qui sonnerait président. A fortiori de l’Assemblée nationale. Même des devins aux cauris ultra réputés ont déchanté.
L’élixir du pouvoir !
Si les voies du Seigneur sont impénétrables, Amadou Mame Diop emprunte peut-être des raccourcis magiques le menant jusqu’au graal. C’est à se demander même : si ce natif de Saint-Louis ne possède pas l’élixir du pouvoir ! Né le 18 juillet 1965, le président de l’Assemblée nationale, sans obstacle majeur, a gravi les marches de l’hémicycle, trônant au-dessus de tous. Entré en politique en 2008, au lancement de l’Alliance pour la République (Apr), l’homme s’est très tôt distingué par son sacre aux Législatives de 2012, année de l’arrivée de son mentor au pouvoir. L’écharpe parlementaire en bandoulière, Mame Diop entame son ascension fulgurante, auréolée de grades. L’appétit vient en mangeant ! Il s’active en coulisse pour être investi par la coalition Benno bokk yakaar à Richard-Toll aux élections locales de 2014. Devenu député-maire de cette commune, il sera réélu aux Législatives de 2017 jusqu’à occuper, à partir du 14 octobre 2020, le poste de président de la Commission comptabilité et contrôle du budget de l’Institution. Alors que sur le plan sous-régional, Mame Diop s’imposait à la vice-présidence du Comité interparlementaire de l’Union économique monétaire ouest-africaine (Uemoa). Il a finalement blanchi -comme ses cheveux de sagesse- sous le harnais politique ! Bénéficiant de la confiance du Président Macky Sall, l’homme se retrouvera, le 7 avril 2021, à la tête de la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco). Ce sera juste du tourisme puisqu’il n’y restera pas deux ans !
Dessin présidentiel vite gommé
Docteur en pharmacie, sorti de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Amadou Mame Diop est également titulaire d’un Dess en répartition pharmaceutique et de gestion, décroché en France. D’ailleurs, selon plusieurs de ses proches, c’est à travers cette activité caractérisée par le contact humain que l’actuel patron du Parlement sénégalais aurait commencé à tisser sa toile politique. Il est comme écrit sur le front de l’enfant de Balacoss, quartier de Saint-Louis,un destin présidentiel. Sans forcer. Ni demander. Parce que le 3 février, le report de l’élection du 25 février 2024 par le Président Macky Sall, suivi de son annulation par le Conseil constitutionnel, avait créé toutes les conditions d’une vacance de pouvoir. Et dans de pareilles situations, c’est le président de l’Assemblée qui entre en fonction. La décision de Macky Sall de partir le 2 avril, date d’expiration de son mandat, ouvrait donc une fenêtre de transition pour au maximum 90 jours. Mais le destin est insondable. Surtout en politique. Les 7 «Sages» ont décidé que l’élection ne sortira pas de mars, 24 ou 31 mars. Alors, il restait à Amadou Mame Diop une seule condition : qu’il y ait un 2nd tour. Mais voilà, les Sénégalais ont décidé qu’il en serait autrement, en arrêtant tout dès le 24 mars 2024. Bassirou Diomaye Faye est élu au premier tour, tuant tout suspense. Les Sénégalais vaquent à leurs occupations. Il n’y aura pas de vacance de pouvoir. Et le maire de Richard-Toll n’entendra «Monsieur le président» que pour le perchoir. Sa proximité avec la famille présidentielle, qui aurait pesé sur son choix au détriment de Mimi Touré, n’y fera rien ! C’est un dessin présidentiel. Que le Conseil constitutionnel a gommé.
Falilou MBALLO