Souley Wade (ancien cadre APIX – Agence de Promotion des Investissements et des Grands Travaux du Sénégal – 2003-2008)
Depuis la création de l’APIX par le Président Abdoulaye Wade en 2001, le Sénégal s’affiche depuis plus de vingt ans comme un acteur actif sur la scène internationale pour séduire les investisseurs.
Forums d’investissement, missions officielles avec délégations économiques dans des pays fournisseurs potentiels d’IDE… le pays multiplie les initiatives pour se présenter comme un hub stratégique en Afrique de l’Ouest, porté par la vision des différents régimes qui se sont succédé.
Ces “road shows” jouent un rôle essentiel : ils construisent l’image d’un pays stable, dynamique et ouvert. Ils permettent de raconter une histoire nationale, d’attirer l’attention des grandes entreprises et de placer le Sénégal sur la carte mentale des décideurs économiques.
Tapis rouge, discours solennels, panneaux affichant “opportunité”, “croissance”, “partenariat”. Les autorités posent avec des PDG étrangers, les médias relaient les images, et parfois des accords d’intention sont signés. Mais une fois les projecteurs éteints, la question demeure : combien de ces promesses deviennent des usines, des emplois, des exportations ?
Les investisseurs, eux, veulent un pipeline de projets solides, avec études, chiffres, autorisations et partenaires locaux déjà identifiés. Ils rêvent d’un interlocuteur unique — un véritable one-stop shop — qui règle les problèmes en temps réel. Et ils veulent être sûrs que leurs bénéfices pourront être rapatriés sans lenteurs administratives.
Le pays d’accueil des IDE doit savoir ce qu’il recherche : non seulement les secteurs prioritaires, mais aussi les modalités de partenariat et les impacts attendus sur l’avenir économique. Il ne s’agit pas d’attirer pour attirer, mais de proposer une offre cohérente, alignée sur des objectifs clairs, accompagnée d’un dispositif national d’appropriation et d’un mécanisme de suivi-évaluation efficace.
Les pays qui réussissent vraiment à attirer l’IDE ne se contentent pas de “vendre” leur potentiel ; ils le dé-risquent. Ils offrent des garanties internationales, des clauses d’arbitrage crédibles, parfois une couverture contre la fluctuation de la monnaie. Ils créent des écosystèmes où les entreprises ne se sentent pas isolées mais intégrées à un cluster d’activité, comme ces zones industrielles spécialisées où tout est pensé pour la logistique, l’énergie et la main-d’œuvre qualifiée.
Le Sénégal doit pouvoir dresser un bilan lucide de 25 ans de promotion des IDE : pertinence des zones économiques, efficacité des dispositifs d’incitation, résultats réels obtenus… et se réajuster.
En 2023, le Sénégal a attiré 4,79 milliards USD d’IDE, soit une hausse notable de 63 % par rapport à 2022, portant le stock total à 19,38 milliards USD (Banque mondiale, UNCTAD). Ces performances le placent parmi les leaders ouest-africains. Pourtant, elles restent en deçà du potentiel qu’offrent ses atouts géostratégiques, ses ressources naturelles et son capital humain. Les plans nationaux successifs tablaient sur 5 à 7 milliards USD par an d’IDE productifs pour atteindre les objectifs d’industrialisation et d’emploi. Même avec ces bons chiffres, la proportion d’investissements réellement structurants — créant des chaînes de valeur locales, transférant des technologies et générant des emplois qualifiés — demeure limitée.
De plus, les flux d’IDE restent concentrés sur quelques secteurs et quelques projets : hydrocarbures et énergie, infrastructures et logistique (port de Ndayane), agroindustrie, mines, et dans une moindre mesure tourisme et industrie manufacturière (FDI Intelligence, US State Department). Cette concentration sectorielle renforce la nécessité de diversifier et d’intégrer davantage les investissements à l’économie locale.
Ce décalage entre visibilité et rendement économique réel appelle à un changement de cap : un agenda national de compétitivité alignant promotion, réformes structurelles, productivité et accès aux marchés, avec un calendrier clair et un suivi mesurable.
Et des leviers opérationnels pour transformer l’attractivité en opportunités concrètes:
• Publier un “deal book” trimestriel : projets prêts à l’investissement, analyses financières, projections de rentabilité, benchmarks internationaux.
• Créer un club des investisseurs déjà implantés pour partager expériences et servir d’ambassadeurs crédibles.
• Mettre en place un “fast track” administratif pour les projets stratégiques, avec un délai garanti (moins de 60 jours) pour toutes les autorisations.
• Garantir la liberté d’entrée et de sortie des capitaux pour rassurer sur la liquidité et la stabilité réglementaire.
• Lier incitations fiscales à la formation locale pour aligner croissance économique et développement humain.
• Mobiliser la diaspora comme investisseur et relais économique.
• Structurer un portefeuille de partenaires privés locaux (PME, ETI, start-ups, industriels) préqualifiés pour favoriser coentreprises, transferts de compétences et création de valeur locale.
En combinant la force de ses forums et missions internationales avec ces instruments pratiques, le Sénégal peut passer d’une stratégie de visibilité à une stratégie de conversion compétitive et rentable.
Le message envoyé aux investisseurs serait clair : non seulement nous voulons votre présence, mais nous avons préparé le terrain pour qu’elle soit performante, connectée aux marchés et solidement ancrée dans un écosystème gagnant-gagnant.
L’IDE n’est pas qu’une affaire de séduction, c’est une question de confiance et de rentabilité. Et ces deux valeurs se construisent dans la durée, par des actes tangibles bien plus que par des discours.
En définitive, gardons à l’esprit que l’efficacité du marketing des IDE ne se mesure pas seulement à sa portée médiatique, mais à sa capacité à s’inscrire dans un agenda national de compétitivité, aligné sur les réformes structurelles et les avantages concurrentiels durables du pays.
Emedia