Nous y sommes, enfin ! Le pays tout entier va vibrer, douze jours durant, au rythme d’une campagne présidentielle ouverte dimanche à minuit dans le strict respect de la loi électorale.
Respect ! Hélas non. Puisque des démarches sont toujours entreprises pour invalider par d’autres juridictions les décisions du Conseil constitutionnel. Petit à petit, la crise politique se dénoue. Elle ne s’estompe pas pour autant. Loin de là.
S’ouvre néanmoins une courte période de répit. Et les Sénégalais, le cœur léger, pourront, à brève échéance, introduire le bulletin de vote dans l’urne. Le moment parait crucial.
Les candidats disposent de peu de temps pour séduire et convaincre. Dans cet ordre d’idées, les électeurs ne sont guère mieux lotis. Ils ne connaissent pas bien les prétendants et, le nombre pléthorique aidant, le discernement n’aura pas d’effet tangible sur le choix à faire.
D’autant que le raccourci emprunté efface le recul, nécessaire à l’expression de chaque volonté, et rend confuse la préférence avec le risque notoire que certains électeurs s’abstiennent devant tant d’indécision ou d’aléas.
Pourtant, ils n’aspirent qu’à voter dans le calme en attendant la proclamation ultérieure des résultats. Jamais dans l’histoire du Sénégal, une élection n’a autant revêtu un caractère inédit que celles du 24 mars.
Cette date en elle-même résulte d’un report unilatéral voulu par le Président sans aucune raison apparente. En tous cas les arguments qu’il avait servis pour justifier le changement n’ont pas convaincu grand monde. Le dialogue national non plus ne donnera rien.
Boudé par les principaux candidats retenus, à l’exception du Premier ministre Amadou Ba, et de son prédécesseur au poste Mahammad Boun Abdallah Dione, le cénacle a produit un document remis au président de la République qui l’a aussitôt transmis au Conseil constitutionnel pour avis.
Dans leur sagesse coutumière, les sages classent sans suite les conclusions soulignant que le dialogue en question n’a aucune base légale pour s’atteler à une tâche qui ne lui est pas dévolue.
Pris de court par cette décision rendue par le juge des élections, le président Macky ne s’offre qu’une parade de faible amplitude en fixant la date des élections au 24 mars et non au 31 comme suggérée par le Conseil constitutionnel qui entendait ainsi secouer « l’inertie » de l’administration en tentant de se substituer à elle.
Place maintenant aux acteurs de la présidentielle après bien des péripéties qui ont failli hypothéquer le scrutin. D’ailleurs, est-il sûr qu’il soit hors d’atteinte ? Certains signes et geste feutrés ne trompent pas sur des desseins inavoués qui se dessinent dans la pénombre comme des ombres chinoises !
Les candidats, eux, ont donc entamé leurs campagnes respectives par divers actes posés qui en disent long sur l’essence et l’enjeu de l’élection majeure. Des dix-neuf en lice, un seul, Idrissa Seck a, à son actif, plusieurs participations à l’élection présidentielle. Avec l’actuel candidat de la majorité (BBY) Amadou Ba, et la dissidence incarnée par Mahammed Boun Abdallah Dionne, ils sont trois anciens Premiers ministres en compétition.
Anta Babacar Ngom, unique femme, joue son va-tout sans que cela soit pour autant sa dernière chance. Au contraire, sa jeunesse et sa brillante réussite à l’étape du parrainage la prédisposent à assurer une présence aussi marquante que singulière dans ce yo-yo électoral décidément imprévisible.
Naturellement d’autres traits de caractères s’esquissent avec la forte présence de la technostructure sanctuarisée par des figures de styles ampoulés : Pr. Daouda Ndiaye, les polytechniciens Mamadou Lamine Diallo, Aly Ngouille Ndiaye et Déthié Fall, les hauts fonctionnaires, Cheikh Tidiane Dièye, Aliou Mamadou Dia, Boubacar Kamara, El Hadj Mamadou Diao et Thierno Alassane Sall, également ancien ministre au même titre que Khalifa Sall, Malick Gackou ou Habib Sy.
Sans oublier l’homme d’affaires Serigne Mboup ou le jeune journaliste Pape Djibril Fall, le benjamin de l’équipée. Il apprend vite et assimile avec une gourmandise non feinte les situations qu’il traverse ou affronte.
Cette brochette de profils saisissants, représentatifs de personnages devrait relever le niveau du débat et des joutes et ainsi rehausser le standing de notre démocratie, très mal en point pour dire les choses sans fard. Certains sont dans un antagonisme exacerbé. Ils s’évitent. Et ne se rencontrent même pas sur les lieux conviviaux. Ils entretiennent des relations plutôt méfiantes, parfois urticantes.
Plutôt que de se cantonner dans l’invective ou l’apostrophe, les candidats, malgré leur étroite marge de manœuvre, ont, à travers cette campagne, l’opportunité tout aussi inédite de briller par le propos, l’explication (le comment du pourquoi), les propositions, les solutions afin ce donner aux Sénégalais des raisons d’espérer et de croire en leur pas. Ils peuvent, s’ils le veulent « tuer dans l’œuf » la rumeur qui se répand plus vite que l’information, la bonne information surtout.
Si les indicateurs économiques sont évocateurs d’une relative embellie, ils ne dissipent pas les angoisses perceptibles dans les frondes, les mécontentements et les colères froides qui se juxtaposent comme des couches de sédiments.
Bien entendu, il serait judicieux de décortiquer le sens du vote des Sénégalais. Serait-il un vote de conviction ou de protestation ? Veulent-ils se démarquer de la politique traditionnelle sans être sûrs d’assister à une rénovation de l’échiquier ? Comment interpréter le mal-vivre sénégalais en lui trouvant des réponses ajustées et adaptées ?
Le Sénégal regorge de ressources dont certaines, eu égard à leur importance stratégique à l’échelle mondiale, sont l’objet de convoitises âprement disputées entre de gigantesques conglomérats d’entreprises multinationales. Les féroces appétits qu’ils affichent se prolongent non sans discrétion dans l’espace politique avec des acteurs qui ne se font pas de cadeau dans leur désir irrépressible de conquête de pouvoir.
Le budget du Sénégal va tripler dans les années à venir. Conséquence, le pays entre progressivement dans la cour des pays producteurs des matières stratégiques. Déjà début mars il a été accueilli avec bienveillance comme membre observateur au récent Forum des pays exportateurs de gaz, combustible prisé qui met en jeu et en lumière le Sénégal dans les années à venir.
Ses immenses réserves, gérées avec une réelle habileté, pourraient lui valoir plus de prestige et de standing et du coup lui assurer son décollage économique avec une pointe de croissance à deux chiffres, selon bien des prévisions optimistes et raisonnables.
Mais attention : le gaz a mauvaise presse avec ses émissions de CO2. Un gaz neutre en C02, donc propre, se fraye un chemin moins sinueux grâce notamment aux recherches pointues en cours. La ressource est de fait précieuse.
A cette fin, il importe de surveiller les nécessaires adaptations dictées par le souci de « consommer propre » dans bien des pays à vigilance accrue. Sous ce rapport, les candidats, tous tant qu’ils sont, doivent montrer aux Sénégalais du charisme, de la pédagogie, une maîtrise des dossiers et une forte dose d’humour (bien évidemment !) pour fixer les repères de progrès et en même temps conjurer l’insécurité qui rôde à nos frontières terrestres.
Cela fait beaucoup pour laisser place à des chimères alors que par réalisme il y a des défis objectifs à relever. Le chômage et l’inflation augmentent. Vertiges.
Toute valeur provient du travail. Le Sénégal ne sera plus jamais le même. A coup sûr…
Par Mamadou NDIAYE