Une campagne peut en cacher une autre. Le délitement du monde urbain ne se limite plus aux villes. Il affecte le monde rural qui reproduit un mode de vie loin d’être le sien.
Cet incompréhensible mimétisme fausse le jeu des rapports et ôte à la ruralité son identité propre. En gommant, par ce biais, les différences, donc les spécificités, les deux univers se rapprochent au détriment de l’espace rural qui perd ainsi sa personnalité, son caractère et peut-être même sa géographie s’en trouve profondément modifiée.
Des voix s’élèvent pour flétrir l’effacement des facteurs de distinction. Mais qui les écoute pour les entendre ? Et pourtant elles ont raison d’alerter en se fondant sur les dangers qui guettent, l’engorgement dans les villes, et la ruée vers les campagnes comme zones de déversoir du trop-plein des centres urbains.
Désormais, la ville s’étend à la campagne dont les terres arables se rétrécissent en termes de superficies. Peu de monde s’en aperçoit. Conséquence immédiate : l’agriculture paysanne se modifie entrainant une baisse de la production familiale qui nourrit encore les ruraux.
Rien, pour l’instant, ne semble inverser la tendance. Or il urge d’agir pour mieux protéger l’espace rural que tous s’accordent à considérer comme « lieu stratégique de rayonnement » d’une économie recentrée. L’agriculture sera la base du décollage industriel de l’Afrique. A cet égard le débat est clos.
En plaidant pour une souveraineté alimentaire, il importe de définir une politique agricole ajustée à cet objectif. D’abord sauver les terroirs ruraux avec les vies et les activités qui s’y mènent en impliquant davantage les acteurs locaux dans la transformation graduelle et non brusquée de leur environnement. Le rythme de ce processus obéit à des facteurs endogènes qu’il importe de maîtriser pour ne pas reproduire des effets indésirables.
Dans quelques semaines, notre pays va renouer avec un hivernage pluvieux, annonce la météo nationale. Elle prédit même de fortes pluies, durables et largement réparties. Donc l’eau de pluie sera abondante. Une fois cela dit, que reste-t-il à faire ? Beaucoup.
La première attitude qui convienne est d’anticiper en mettant sur la table les vrais scénarios de prise en charge du phénomène attendu. Lequel, faut-il le rappeler, ne s’appréhende pas de la même manière en ville et à la campagne. De part et d’autre, le sourire est soit enjôleur ou carnassier.
Ces émotions furtives seront de peu d’effet face aux enjeux de protection, de projection et d’injection de moyens pour ne pas vivre dans la hantise comme les fois précédentes. La pluie n’est pas une menace mais un espoir. Elle représente un risque mineur si, en amont, les mesures appropriées sont prises pour canaliser les circuits de ruissellement.
En campagne l’abondance d’eau ne nuit pas. Mieux, elle est souhaitée. Et une fois qu’elle tombe, elle soulage, pondère les tempéraments et fouette les orgueils au sens d’amour-propre en direction des travaux champêtres. Aux autorités politiques et aux dirigeants des institutions faîtières de se hâter sans toutefois se précipiter pour amorcer la conduite des changements dans la vaillante lutte pour se nourrir de ce qu’on produit. Entre eux et les agriculteurs, les vrais, les passerelles peuvent s’établir avec moins d’intermédiation.
Ceux qui s’adonnent à cette pratique sont décriés. Ils sont nombreux, organisés. Ils se protègent en se couvrant pour mieux survivre. En outre, ils sont connectés à tous les centres de décision qu’ils tentent d’influencer par divers stratagèmes. Les affinités, les accointances, les valeurs, les origines, les appartenances et les liens familiaux se conjuguent avec subtilité si ce n’est avec habileté pour pérenniser des faveurs iniques.
Or ce cri du cœur est partout entendu, relayé dans les médias, amplifié dans les foyers religieux et fredonné par des artistes de renom à « l’âme bien paysanne. » Des semences aux intrants en passant par le matériel agricole, tout le circuit est court-circuité par ces indélicats qui n’ont que trop sévi.
Cela suffit à renforcer la perspective puisque désormais l’opinion s’empare de la problématique. Ces objections leur donnent chair avec une fougue combative inconnue jusque-là. Les céréales locales ont la côte. Une prise de conscience entérine la reconnaissance de leur valeur nutritive. Les femmes, véritables vecteurs de promotions, les plébiscitent.
Les recettes culinaires qui en découlent désarçonnent plus d’un, notamment parmi le réticents de moins en moins dubitatifs. Cet élan de sympathie en faveur d’une réinvention diffuse de nos patrimoines devrait être perçu comme une opportunité pour accentuer les ambitions affichées.
Tout concourt à une réelle émancipation qui, pour être effective, devrait se traduire par un relèvement du niveau de vie des populations et un accroissement conséquent des revenus ruraux, élevage et pêche inclus. A cette fin il est attendu du nouveau gouvernement, principalement au Ministère de l’Agriculture, de nouveaux repères adossés à de nouveaux codes pour fluidifier les rapports en élaguant les lourdeurs qui ont longuement vicié l’atmosphère au sein du secteur agricole.
Le combat à mener ne sera pas de tout repos. Cela va sans dire. Car ceux qui sont mis à l’index disposent encore d’arguments de puissance : connaissance des milieux ruraux, facilité d’adaptation (pour laisser passer l’orage), reconversion et leviers de connivence pour des ententes secrètes à l’abri des regards de suspicion.
A leurs yeux, changer les règles se ferait contre eux et contre leurs intérêts. Ils n’ont pas l’intention de céder et ne videront pas facilement les lieux. Pas plus qu’ils ne déserteront ces juteux secteurs au sein desquels ils sont des notabilités connues. Et reconnues ? Eux rasent les murs sous peine d’attirer encore plus d’hostilité. Et comble du paradoxe, ils n’excluent pas de prendre une part active à l’élaboration d’une politique agricole émancipée ! Ils savent naviguer même en eaux troubles en haute mer.
En revanche, le seul sujet légitime de la politique agricole reste et demeure le monde paysan qui ne se dépeuple pas malgré la sévérité des conjonctures. Des vocations se comptent par milliers chez les Sénégalais qui renouent par nécessité avec la terre.
Assiste-t-on à l’émergence de figures hybrides, nées en ville et adorant la campagne ou d’extraction rurale et à forte culture périurbaine ? Ce travail revient aux sociologues spécialistes des mutations et des dynamiques socio-économiques. Dès lors, il leur appartient de cerner les nouveaux pouvoirs d’influence au sein d’un monde rural qui change de nature, de vocation et d’échelle de perception.
Mamadou NDIAYE