L’idée de laisser une vraie trace dans l’histoire habite le président Macky Sall. La fonction éminente qu’il occupe le prédispose à prendre les bonnes décisions, quitte à faire pâle figure.
Samedi 3 février, face aux Sénégalais, il paraissait blême, le regard absent. Sans doute la saturation a fait son effet. Combien de fois, en si peu de temps, s’est-il adressé à la nation ?
En plus des rendez-vous inscrits dans la tradition, les circonstances en ont accru la fréquence avec pour conséquence immédiate d’atténuer l’intérêt auprès d’une opinion publique de plus en plus circonspecte parce que de moins en moins incrédule.
D’ordinaire, les discours du 4ème président sont marqués au coin du bon sens. Mais le dernier, servi dans un contexte particulier, a fait l’effet d’une onde de choc mêlée à une indifférence qui en dit long sur la rupture de sympathie qui est en train de s’opérer entre lui et l’opinion.
En a-t-il conscience ? Mesure-t-il le danger qui plane ? En juillet 2023 lorsqu’il coupait court en renonçant à se porter candidat pour la troisième fois, Macky Sall s’affichait en héros face au tragique. Rare privilège : ses compatriotes à l’unisson ainsi soulagés, le plébiscitent et le portent au pinacle. Même les sceptiques à son endroit perdaient voix devant son acte si décisif.
Depuis, il répétait sans enthousiasme débordant qu’il s’en tenait à cette ligne de crête, jouant à l’équilibre sans pour autant occulter la délicatesse de sa nouvelle situation. Entouré de gens (les uns plus proches que les autres) aux avis et motivations différents, il naviguait entre récifs et houles, entre bourrasques et orages dans une mer en eau profonde et durablement agitée !
Les instances formelles de sa coalition politique choisissent le Premier ministre Amadou Ba comme le candidat représentatif de ce camp traversé de courants contraires. Tout le monde avait pactisé. Les couteaux étaient rangés mais restaient à portée de main, en attendant meilleure (ou pire) opportunité pour les brandir.
Dans ses tournées dites économiques, le Président sillonne le pays toujours flanqué de son chef de gouvernement dont l’immersion dans les régions ressemblait à une sorte d’introduction. Il se mettait légèrement en retrait par prudence pour ne pas ravir la vedette à son patron très attentif aux humeurs de la foule, de l’opinion et des masses.
Autant Macky Sall aère le jeu en désignant son éventuel successeur, autant il ne lâchait pas prise sur l’APR, le parti qu’il a forgé de ses « mains nues » et avec lequel il a conquis en 2012 le pouvoir devant un Wade médusé et penaud.
En clair, il ne voudrait pas s’éloigner en tenant le gouvernail de sa formation politique. Il pourrait, grâce à la puissance d’agitation de ce levier, peser sur les options futures. Au mois de septembre prochain, si tout se passe bien, les investitures devraient être en vue.
Or quel que soit le président élu en février, la dissolution de l’actuelle l’Assemblée nationale serait envisagée ne serait-ce que pour refléter la conjoncture politique du moment. Cette perspective tenaille le président. Il surveille ses arrières et se projette dans un futur proche tout en étant sensible aux lignes qui bougent ici et là.
Maky Sall demeure séduit par le « regroupement de la famille libérale », ce qui le rapproche de Abdoulaye Wade dont le fils Karim constitue une « équation politique » à résoudre. L’ancien président échafaude un scénario auquel adhère implicitement le locataire du Palais du Plateau.
Une fois cet « accord » plié, ne restait plus qu’à surmonter l’étape des parrainages et la validation de sa candidature par un Conseil Constitutionnel à la vigilance accrue pour faire de l’exilé du Qatar la pièce maîtresse d’une élection présidentielle « ouverte », « inclusive », « transparente ».
Mais Karim recalé pour une tardive renonciation à la nationalité française, n’exclut pas de se payer la tête de certains hauts magistrats, responsables à ses yeux de son malheur. Que se serait-il passé si sa candidature avait été retenue ? Aurait-il tu ce qu’il sait ? Place-t-il son intérêt personnel au-dessus des intérêts supérieurs de la nation ?
Point n’est ici question de nier son droit légitime d’utiliser les moyens de droit pour faire respecter ses propres droits. On fantasme des scandales dès qu’il est question d’argent dont sont friands les Sénégalais, toutes couches sociales confondues.
Ainsi, son parti, le PDS, déballe et indexe une corruption de fait avant de demander l’institution d’une commission d’enquête parlementaire sur les faits allégués et surtout de repousser la date de l’élection en introduisant une proposition de loi prolongeant l’actuel mandat du Président Macky Sall.
Lequel, dans son discours du 3 février, au contenu sibyllin et abscons, conclut à une crise (pas évidente) pour annoncer le report sine die de la présidentielle et l‘ouverture d’un dialogue politique devant apaiser le climat et organiser un scrutin plus inclusif.
Il n’a échappé à personne l’insistance du Président sur le caractère « inclusif » à imprimer à la présidentielle repoussée sans délais et sans date fixe. En vérité, le Président a trouvé en Karim Wade un adversaire indolore.
L’amorce d’une légère concession faite au cas Karim a pour but d’endiguer le flot pastéfien et contenir les éventuelles embardées du candidat de Benno, adoubé par les alliés que sont Moustapha Niasse (AFP) et Aminata Mbengue Ndiaye (PS).
A qui profite le report de l’élection majeure de notre pays ? Le gel du scrutin annonce-t-il le retour en grâce de l’enfant « prodige » des Wade ? Qui serait l’agneau du sacrifice ? S’achemine-t-on vers une disgrâce en pointillé de l’actuel Premier ministre dont le choix comme champion de son camp obéit à la fois au réalisme politique et à une objectivité circonstancielle ?
Amadou Ba ne fait certes pas l’unanimité mais il est l’atout majeur. D’ailleurs existe-t-il celui-là même qui ferait taire les divisions en jetant les rancunes à la rivière ? La parenthèse ainsi ouverte risque de se refermer avec douleur, un jour pas lointain. Les prochaines semaines vont nous édifier.
D’autant que pour prospérer, l’initiative parlementaire du PDS a reçu le soutien ostentatoire des députés de l’APR. En interrogeant le passé, nulle trace d’une complicité aussi active que celle en cours entre les deux formations qui revendiquent somme toute un ancrage libéral sur fond de nuances de circonstance.
La formation politique de Me Abdoulaye Wade n’est plus que l’ombre d’elle-même. Son départ du pouvoir l’a d’autant plus affaiblie que voilà deux élections présidentielles sans présenter de candidat attitré. Ce recul mérite une introspection plutôt que d’inscrire désormais son action dans les intrigues de palais.
Par Mamadou NDIAYE