Le chaos se propage en Afrique. Pas besoin d’être prophète de malheur pour l’annoncer. Une simple observation des scènes de vie qui s’offrent à nos yeux laisse deviner un funeste scénario. Il n’est plus le fait des foules, mais bien des élites. Dès lors, il ne faut pas craindre de voir le continent s’enfoncer dans l’abîme.
La Centrafrique, qui a frôlé l’apocalypse avec des tueries abjectes, peine à se relever d’une crise abyssale, aggravée par une jeunesse insouciante, abandonnée à elle-même et qui ne voit le salut que dans la drogue ou les crimes organisés.
Situation identique en République démocratique du Congo, où le gigantisme du pays n’apparaît guère comme un atout, mais plutôt comme un handicap épuisant. La Tanzanie, jadis enviée pour son apparente normalité, emprunte une voie sans issue sous l’égide d’une Présidente obnubilée par les dorures du pouvoir.
Anciennement perle de l’Afrique, l’Ouganda tangue et vacille sous la férule d’un homme, Yoweri Museveni, au pouvoir depuis quarante ans et prêt à briguer un huitième mandat. « Hors du temps », lui-même ne semble pas en prendre la mesure.
De l’Afrique australe à l’Afrique de l’Ouest, la dynamique est la même : la tranquillité recule. Les tenants du pouvoir fort nourrissent de sombres desseins. Leur socle commun : l’embrigadement de peuples dépossédés de toute capacité de jugement et tétanisés par des peurs millénaires.
Sinon comment comprendre ce « fameux » coup d’État en Guinée-Bissau, annoncé par la « victime » elle-même, le président Umaru Cissoko Embaló, qui prend soin de rassurer tout « son » monde, téléphone à l’oreille, sous les yeux de ses sympathiques geôliers ? Ces derniers, devenus « maîtres du pays » sans en avoir l’envergure, s’érigent en éclaireurs d’une transition régie par une Charte aussitôt dictée et rédigée par des militaires en goguette.
Ce bref tour d’horizon de la recomposition politique en Afrique traduit bien des inquiétudes : les pratiques du pouvoir se ressemblent, même si quelques nuances subsistent. Ceux élus au suffrage universel finissent par décevoir, tandis que ceux arrivés par la force des armes s’imposent par la crainte qu’ils inspirent. Et en se retrouvant régulièrement lors de rencontres dites « internationales », ils affinent leurs plans de carrière politique et affûtent leurs armes pour… durer.
Par des stratagèmes bien huilés, ils se maintiennent au pouvoir et le conservent, au prix de quelques compromis destinés à sauver les apparences. D’autres, plus voraces encore, accaparent tout, entourés de clans où se tissent des équilibres précaires dont la seule finalité est la préservation des leviers du pouvoir.
Dans ce mélange de ruse, de rouerie et de déficits de conviction, ces dirigeants finissent par former un club. Ils y développent des affinités selon les circonstances, mais entretiennent aussi de profondes inimitiés. La persistance des conflits armés à l’est de la RDC nourrit ainsi une hostilité viscérale entre Paul Kagamé et Félix Tshisekedi.
Les deux hommes se détestent. La preuve : ils ont accepté de parapher un protocole d’accord non pas en Afrique, mais dans les pays du Golfe, puis aux États-Unis, sous le regard d’un Donald Trump triomphant, désireux de pacifier une zone qu’il convoite pour ses prodigieuses ressources stratégiques.
Au moment de signer, une scène ubuesque s’est produite : le président congolais a dû solliciter une assistante pour transmettre le parapheur à son homologue rwandais — pourtant assis juste à côté. L’image, relayée dans le monde entier, choque et interpelle. Elle révèle un manque flagrant de franchise et de sérieux entre les deux chefs d’État qui auraient pu éviter une telle odyssée coûteuse.
La proximité géographique impose pourtant à Kinshasa et Kigali de vivre en harmonie, pour le bien de populations intimement liées. Les richesses de la région, aussi indéniables soient-elles, devraient être des moteurs de prospérité. On en est encore loin. Pire, elles font l’objet d’une exploitation honteuse avec la complicité de forces agissant en « mains invisibles ».
Les armes continuent de tonner dans cette région meurtrie. Des bandes armées sillonnent les frontières, semant la terreur et exportant leurs violences dans les pays voisins. Ce vagabondage devrait alerter les gouvernants, car les frontières cessent d’être des limites. Par ce déni, ces groupes imposent leur loi et légitiment leurs aventures macabres. Dans ces zones « coupées du monde », aucune perspective ne se dessine.
Dans cet univers monstrueux, l’humain s’efface. Le désordre devient la règle. Les grandes épreuves nationales souffrent d’une crise aiguë de représentation. Aux grands hommes d’hier succèdent aujourd’hui des dirigeants « à la petite semaine ». Ces derniers ne portent pas l’avenir de leur pays ; ils s’accrochent au présent, négligeant toute postérité.
Que signifie alors la folle équipée de ce groupe de militaires qui a tenté récemment, avec une coupable légèreté, de renverser à Cotonou le pouvoir du président béninois Patrice Talon ? Ce dernier gouverne en autocrate un Bénin jadis considéré comme le « Quartier latin » de l’Afrique de l’Ouest. Toute tête qui dépasse est aussitôt tranchée.
Entouré d’un cercle oisif, qui s’est arrogé droits, privilèges et pouvoirs au détriment d’autres compétences, Talon déçoit ceux qui voyaient en lui l’artisan d’un laboratoire politique tourné vers l’avenir. La reconnaissance n’est-elle vraiment qu’à titre posthume ? Paul Biya semble répondre par l’affirmative. Au Cameroun, il ne tient à conserver que le pouvoir, malgré les affres du grand âge.
Au pouvoir depuis plus de quarante ans, il va jusqu’à emprisonner des opposants. L’un d’eux, privé de soins et de visites, est mort en détention. Une forfaiture de plus à mettre au passif du calamiteux magistère de Paul Biya, qui a transformé le Cameroun en économie de casino. Le compte à rebours de l’effondrement est enclenché à Yaoundé. Les signes de déclin s’accumulent. Biya est sorti de l’histoire depuis longtemps. N’est pas Mandela qui veut…
Par Mamadou NDIAYE








