Grâce au pétrole, les Emirats Arabes Unis (EAU) accueillent le monde entier pour se pencher sur… l’après pétrole. Drôle de mission pour cet Etat fédéral de la péninsule arabique qui a forgé sa prospérité économique à l’aide de l’or noir !
Idée désarçonnante, s’il en est ! L’énoncé de cette renversante option peut même faire perdre à des pays leur assurance tant les perspectives s’annonçaient heureuses… Demain, l’après pétrole va façonner les esprits et les habitudes, les conduites et les comportements en toile de fond d’une société travaillée par de nouveaux rapports.
Toutefois, l’affaire se corse quelque peu avec la récente sortie concertée des géants pétroliers qui se montrent prêts à renoncer graduellement aux énergies fossiles pour épouser la nouvelle tendance des énergies renouvelables.
Shell, ExxonnMobile et TotalÉnergies s’engagent résolument à « tourner la page » convaincus que l’actuel pic pétrolier traduit mieux que chiffres et arguments à l’appui, l’épuisement des ressources non renouvelables, de surcroît responsables de la pollution de la planète et du réchauffement du climat.
Nul ne prétend vivre des acquis du passé quand ceux-ci compromettent l’avenir. A l’aune des préoccupations mondiales, les gloires d’antan cessent de s’ériger en modèles de réussite. Mais pour ne pas subir des avatars ou des aléas, ces majors, après avoir tu leurs querelles de leadership, ont injecté d’énormes capitaux dans la recherche fondamentale afin de ne pas perdre l’initiative.
Le texte commun qu’ils ont signé et rendu publics reflète leur état d’esprit conquérant sur les enjeux de demain. Leur renonciation s’apparente aussi à une concession. Soit. Elle obéit néanmoins à une stratégie qui se dévoile peu à peu. A tout prix, les majors en question tentent, par ces démarches, de s’affranchir de la pression des tenants de la « ligne fossile ».
Une façon pour eux de s’impliquer dans le combat climatique que mène, sabre au clair, la Conférence des parties (COP) dont la 28ème édition, qui s’ouvre jeudi à Dubaï, va davantage insister sur les inflexions nécessaires pour sauver le monde. L’empreinte carbone va imprégner les travaux comme un rempart contre l’inquiétante gourmandise des hommes.
Davantage d’acteurs de premier plan privilégient désormais l’énergie responsable en se délestant des activités « hautement polluantes » au profit du gaz naturel, du solaire, de l’éolien, de la biomasse devenus comme par enchantement les leviers de substitution à l’imminence de la raréfaction du pétrole dont l’apogée de situation pâlit inexorablement. Dans de feutrées transactions entamées à l’abri des regards inquisiteurs, les majors ont posé des actes qui en disent long sur les intentions cachées.
Le Groupe Total, devenu TotalEnergies aère son portefeuille pour mieux refléter son ambition multi-énergies. Ce changement d’appellation lui a valu d’être bien en cours dans les cercles de haute décision pour avoir racheté un fabricant de batteries.
Shell a développé une approche similaire en acquérant à son tour un épais réseau de bornes de recharge pour véhicules électrique implantée en Europe. L’élan vers les énergies propres signifie-t-il un abandon implicite du pétrole ? Les spécialistes des hydrocarbures tablent sur vingt ou trente ans de survie de l’or noir. Les géants en seraient affectés certes, disent-ils.
Mais les mêmes s’empressent d’ajouter qu’à cette ultime échéance, qu’aucun parmi les plus grands ne serait pris de court, à l’image des compagnies américaines Exxon et de Chevron, qui misent sur les biocarburants.
Il en est de même de l’italien Eni devenu à son tour spécialiste d’électricité renouvelable et très orienté dans la diversification avec les énergies vertes comme ossature. Une fois posés les grands principes identitaires, les grands compagnies s’organisent pour « affronter » les nouvelles réalités tout en prêtant une oreille attentive aux humeurs des opinions et aux échos des adeptes de la sobriété écologique.
De ce fait, les énergies vertes ont le vent en poupe. Alors quid du pétrole, principalement en Afrique ? Quelle lecture de la conjoncture avoir avec ce virage ? Quel modèle économique s’offre à nous, futurs producteurs d’énergie fossile ? Quelle réponse formuler devant cette levée de bouclier au détriment de l’or noir ?
Tous les pays pétroliers de la façade atlantique s’inquiètent de la convergence des majors à plébisciter la transition énergétique sur laquelle ils n’ont pas prise. De la Mauritanie à Madagascar en passant par le Congo, le Gabon, le Sénégal, le Mozambique ou l’Angola, il n’y a pas de cohésion, pas même de cohérence pour unifier la position africaine et songer à défendre une cause commune.
Or cette absence de consensus fragilise l’Afrique en dépit des richesses qu’elle détient. Le piège risque de se refermer à nouveau sur les matières premières africaines si le continent rate l’occasion de « parler d’une voix » pour arracher des concessions à de grands groupes qui ne comprennent que le langage des rapports de forces.
En les frappant au portefeuille tout en misant sur les énergies de demain sans toutefois renoncer aux hydrocarbures, l’Afrique s’offre une chance rare de peser sur les négociations tout en envisageant le futur avec une certaine sérénité que ne permettrait la course irréfléchie aux gains faciles.
Les oscillations actuelles de l’Arabie Saoudite et les agitations observables dans le pourtour du golfe persique participent d’une stratégie de repositionnement devant des écosystèmes « sans héros pédagogues » pour les sauver de l’inéluctable fatalité.
Seule une façon nouvelle de vivre articulée à une exploitation « raisonnée » des ressources rétablirait les grands équilibres malmenés par l’appétit insatiable de gains entre géants des hydrocarbures. Trop d’alibis subsistent encore.
Certains producteurs évoquent le rôle éminent du pétrole dans la trajectoire industrielle des pays développés pour s’offusquer de ce tardif réveil à propos des énergies renouvelables.
D’autres en revanche pointent l’index sur l’égoïsme des nations prospères pour justifier leur empressement à tourner la page du pétrole dans l’ultime but de maintenir les écarts de progrès. En d’autres termes, le long terme ne s’apprécie par les mêmes termes et de la même façon sur notre planète terre.
Des régions entières se hâtent de domestiquer les évolutions surtout technologiques, d’autres apprivoisent lentement la Nature qui appartient, selon eux, à tous les vivants, donc pas exclusivement à l’homme, fut-il doué de raison. Ont-ils le droit de donner des leçons s’ils ne sont pas des modèles d’exemplarité ?
Le pillage des ressources ne s’oublie pas. A cela s’ajoute aujourd’hui la montée en puissance des « gardiens des temples », des vigies, des veilleurs, des opinions de plus en plus éclairées, des contrepouvoirs, des Parlements, des lanceurs d’alertes, des médias et des partenaires multilatéraux moins complaisants et de plus en plus regardants.
Après tout, les ressources appartiennent au… peuple, dixit la Constitution.
Par Mamadou NDIAYE