Un sérieux manque de sérieux traverse le Sénégal. La tyrannie de la nouveauté et le désir permanent de réjouissance s’érigent en modes de vie dans toutes les couches de la société.
Même si tout n’est pas permis (du moins pas encore], rien, en revanche, n’est interdit.
Des publics médusés assistent aux chocs des audaces et des culots dans des cérémonies festives qui mêlent indistinctement opulence, arrogance, défiance sur fond d’ambiances qui frisent l’indécence. Les baptêmes constituent des occasions biaisées de démonstrations de puissance et d’alliances de circonstances. Les décès révèlent des dessous cachés et, par le jeu des silences orchestrés à dessein, s’organisent des recompositions ou des ruptures qui en disent long sur le climat familial. Les retours de la Mecque offrent aux pèlerins l’opportunité d’afficher le statut acquis avec à la clé un coefficient de notoriété (ou de prestige) conféré par le Hajj.
Ailleurs dans les grandes familles influentes, dans certains foyers religieux ou chez des personnalités marquantes, la fête est quasi quotidienne, à tour de rôles, selon les affinités, les accointances, les inimitiés et les antipathies.
Le poids des « Berndés », la longueur des convois de rutilantes voiture, la présence ostentatoires de quelques « têtes d’affiche » renseignent sur la cotation de l’événement couru et du niveau de prestation des convives qui ne viennent jamais les « valises vides ».
Les frappantes simulitudes de célébrations rapprochent les intéressés sensibles aux coteries qui les rassemblent. D’ailleurs, ils se ressemblent, redonnant des couleurs au vieil adage…
Sirènes et gyrophare en tête, les délégations font des entrées hollywodiennes, micro central à l’appui sous des applaudissements nourris des audiences rivalisant d’enthousiasme et d’admiration. Les lieux changent au gré des agendas mais le spectacle reste le même en fonction de la grandeur ou de l’importance.
La navrante prolifération des chaînes Youtube se traduit par des « live » impromptus. A longueur de journée ou de soirée ces « medias » moulinent du vide au grand bonheur des publis-cibles. Ils adoptent l’immédiateté et « couvrent » les événements en direct, sans filtre, à mesure quils se deroulent. Du fait de cette profusion de supports, une frange importante de la population se détourne des médias classiques. Ils perdent du terrain et leur impact s’atténue. Le danger guette.
Cependant une cacophonie s’installe et avec elle un désordre indescriptible entretenu par des « hommes forts » locaux en quête de visibilité et d’attention soutenue. Ces chaînes des réseaux sociaux séduisent des acteurs de second plan qui y voient un formidable outil de pénétration des masses.
Juché sur une voiture décapotable, un jeune marabout à récemment « testé » son charisme auprès des foules en levant ses bras au ciel en signe de V comme… Victoire ! Contre Qui au juste ?
Un autre jeune marabout a, lui, bénéficié récemment d’une escorte de sécurité qui confère à sa procession une solennité toute institutionnelle. Que dire de ce célèbre communicateur dont le village natal a été, le temps d’une agape, l’épicentre de l’actualité mondaine et traditionnelle ! Son invitation ne se refuse pas et aucun prétexte ne saurait justifier une quelconque absence.
Chaque jour accroît une certaine légèreté qui nous infantilise. Les plaisirs coupables se multiplient à un rythme inquiétant : l’étendue des dépenses atteste de la naïveté ambiante et fait fi de la la sévère conjoncture socio-économiques.
Nous n’en prenons pas garde alors que la « croisière s’amuse » au moment justement où nombre de concitoyens vivent dans un complet dénuement. La grossièreté côtoie le ridicule dans un puéril comportement des acteurs aux largesses spontanées, de surcroît adeptes de petites passions sans empreintes réelles.
On assiste au recul des « hautes espérances » dans les mœurs politiques désormais placées sous l’emprise des intérêts égoïstes au détriment des grands intérêts du Sénégal, notre cher pays. Est-ce le règne des volontés singulières ? Exit l’intérêt général aux contours mal appréciés ! Maintenant les honneurs se disputent âprement, s’arrachent sans vergogne. Tout se résume au paraître, à l’impression de puissance factice. Les médiocres, torse bombé, paradent avec davantageux airs de parvenus.
Pendant ce temps des gens gémissent quand d’autres se complaignent. Une telle césure laisse apparaître des signes d’une lente ébullition sociale. Il ne faut pas se le dissimuler : l’irruption de ces festins dans le quotidien cache mal une misère qui se répand et que personne ne veut ni voir ni appréhender.
On a comme l’impression que certains avantagés par la nature (et comment !) se fabriquent des supériorités que d’autres affidés s’efforcent de légitimer par des narratifs suspects et tatillons.
Les satisfactions des uns à l’égard des autres se traduisent par de somptueux cadeaux alignés comme des preuves de réussite sociale. Le clinquant et le pimpant à gogo…!
Toutefois ces actes bouffons et les paroles grotesques qui les rehaussent participent d’une percutante extravagance sans limite. Vraiment, sans limite ? Faudra-t-il combattre les fléaux avec de bons arguments ? En clair, le temps est venu pour le Sénégal de se ressaisir…
Les mœurs actuelles s’écartent de notre trajectoire historique : dissipons les ténèbres !
■Par Mamadou NDIAYE