Une crise signifie des sacrifices. Sommes-nous prêts au Sénégal à l’accepter si tous s’accordent sur les causes, les conséquences et les effets ?
La crise économique, et non politique, sévit donc dans notre pays qui peine à trouver la voie de l’embellie. Aux yeux de beaucoup, la période reste agitée. Que faire ? D’abord convaincre, puis mobiliser et enfin agir.
Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres. Dans un tel contexte, le Premier ministre Ousmane Sonko a présenté aux forces vives de la nation son plan de redressement économique et social.
Il est encore l’homme politique le plus populaire. De ce fait, il jouit d’une confiance dont il commence à appréhender la fragilité. Elle se maintient quand les résultats suivent. En revanche elle s’érode lorsque les signes d’amélioration tardent à se manifester.
Le voilà, sabre au clair, qui soumet à l’opinion une corbeille de mesures et un paquet d’actions à mener dans l’optique de dompter la conjoncture et d’offrir à ses compatriotes une perspective salutaire.
A-t-il cerné les risques qui jalonnent le chemin ainsi tracé ? Qu’est-ce qui trotte dans la tête d’un dirigeant populaire qui s’apprête à aligner des mesures… impopulaires ? Souhaite-t-il esquiver les bailleurs traditionnels en collant aux populations pour mieux consolider son ancrage politique ?
L’exercice est périlleux. D’autant que la volonté qui l’anime prend appui sur le soutien massif du pays profond pénétré de la « droiture » de l’homme et de la « justesse » de son Projet de transformation systémique de la société sénégalaise.
Son intention première ne s’écarte pas -loin s’en faut- de son dessein de voir les Sénégalais s’approprier le Plan destiné à redresser des torts et à remettre l’économie à l’endroit.
Sonko mise sur la ressource interne pour financer le plan. Au bas mot, l’adhésion ajoutée à la confiance (déjà acquise, selon lui) donne au Plan de substantiels moyens de réalisation sans recourir à l’aide extérieure. L’idée de Grandeur habite le Premier ministre fouetté par un orgueil difficile à cerner.
Or en chiffrant à plus de six mille milliards, le montant à dégager, il ne décortique pas pour autant les apports des différentes sources de contribution. Les services fiscaux sont certes mobilisés au maximum pour des collectes exceptionnelles. Il en est de même des douanes dont le cordon va désormais se déployer plus que d’ordinaire.
Cette mission dévolue aux « soldats de l’économie » contient un paradoxe apparent : doivent-ils décourager les importations en favorisant des objectifs de production afin de faire renaître le tissu industriel national ?
Un tel jeu d’équilibriste tiendra-t-il sur la longue durée dans cet univers clos de pratiques pour le moins licites ? Toutes les mesures ont des avantages et des inconvénients.
Elles se heurtent néanmoins à la réalité de l’économie : allègement du coût du travail, suppressions de charges des bas salaires, faible taux d’activités des séniors, emplois libérés suite au nombreux départs à la retraite, identification de nouveaux contribuables, équité fiscale, élargissement de l’assiette et efficience dans la collecte des impôts vidés de leur ruineuse complaisance.
On le voit, frauder le fisc est une faute grave. Qui l’ignore ? Personne a priori. Ce jeu vicieux prend une toute envergure chez nous : ceux qui s’y adonnent bénéficient d’un privilège jouissif et ne se privent pas d’afficher leur intelligence.
Les riches de chez nous sont très peu taxés. Et beaucoup d’autres détenteurs de réels actifs échappent à « l’épée fiscale » sans raison connue. Ces différences de traitement engendrent des frustrations qui peuvent déboucher sur des déviances voire des défiances.
Est-ce tout ? Certainement pas. Car la fontaine d’abondance s’étend aux recettes tirées du pétrole et du gaz. Elles pourraient être abondantes selon les conjonctures.
A l’échelle mondiale une surproduction en vue de l’or noir menace de faire baisser drastiquement le prix du baril. Un avertissement sans frais aux pays producteurs membres ou non de l’OPEP.
En même temps, un éventuel retournement de conjoncture serait de nature à obérer les chances de réussite de l’opération redressement de l’économie. Les prévisionnistes qui entourent le Premier ministre ont sûrement anticipé sur ce scénario pour envisager une hypothèse autre afin de surmonter les obstacles. A cet égard, il serait intéressant de savoir sur quel prix du baril se fondent les auteurs du Plan pour bâtir leur projection et les simulations allant avec !
La politique est le domaine des idées. Celles-ci cèdent la place aux affrontement partisans. Assez souvent, les subtilités trahissent des penchants. Quant à l’économie réelle, elle constitue le champ ouvert des ambitions, des initiatives, basées sur de justes appréciations des facteurs.
Le redressement préconisé est-il l’antichambre de la restructuration ? Le Premier ministre ne le dit pas. Il s’est même montré quelque peu circonspect pour identifier le carcan qui étouffe l’économie sénégalaise. D’une certaine manière l’administration est indexée pour ses lourdeurs et ses rigidités fonctionnelles et surtout son manque de flexibilité face aux urgences du moment. Elle procède rarement à une introspection pour gagner en souplesse sans toutefois perdre son âme flemmarde et indolente à la fois.
Son rapport à l’échiquier industriel est souvent heurté, teinté de méfiance ou de mépris. Les chefs d’entreprises ne sont pas assez écoutés pour être entendus alors que le processus de transformation enclenché les concerne au plus haut point. Ils reprochent à l’administration son déficit d’immersion et sa connaissance sommaire des acteurs clés de l’économie. Un coup de pied dans la fourmilière allégerait le poids excessif de la puissance publique sur la marche des affaires.
L’opinion ne cède pas à la candeur. Elle accroît sa vigilance tout en privilégiant les preuves issues des épreuves de vie.
La seule crainte non encore dissipée demeure le surgissement impromptu des lanceurs d’alerte adoubés par le Premier ministre et le Président de la République. Une loi les protégeant sera votée bientôt au Parlement qui s’enthousiasme déjà ! C’est dire….
Les allusions vont pleuvoir. De même que les abus et leur cohorte d’approximation imputable à l’empressement, à l’imprécision, au manque de recul et à l’étalage indécent de la vie des autres sans les précautions d’usage.
Est-ce une vraie avancée de transparence ? Les lanceurs d’alerte ne travaillent pas sur la matière information qu’ils ne peuvent du reste traiter dans une touchante simplicité professionnelle. A quoi servirait alors l’indiscrétion si son utilité n’est ni étayée, ni établie ? Des conséquences incalculables pointent à l’horizon.
Nos dirigeants en ont-ils conscience ? Ils sont aux premières loges de l’actualité. Leur interactivité avec les médias est à géométrie variable.
Un monde s’en va… Quel monde va venir ?