Nogaye dort du sommeil d’éternité. Partie sans crier gare, elle emporte dans sa tombe les raisons (et peut-être même les causes) de sa mort. Mais les questions que celle-ci soulève restent sans réponses pour le moment tout au moins. A coup sûr, Thiès s’est réveillée dans l’émoi saisie d’effroi par une tragique nouvelle qui s’était vite répandue.
Le foyer, les marchés, voisins immédiats, le quartier, amis et parents, s’interrogent sur cette énigmatique fin de vie d’une jeune maman aux réelles promesses de fécondité. Elle laisse toutefois un nourrisson, preuve d’une fatale solitude au sein d’une famille qui tente, après le drame, de soigner une image à jamais craquelée. L’effort qu’elle déploie pour se dédouaner révèle des incohérences de situations qui, non seulement l’éclaboussent mais l’enfoncent davantage dans une opinion publique abasourdie et sans voix.
Sans voix, vraiment ? L’affaire s’ébruite et, relayée par les médias, prend une tournure nouvelle avec une succession de confidences sur les antécédents familiaux, les petites jalousies, les mesquineries des belles-sœurs, la brutalité d’assauts inélégants, la faiblesse coupable d’un mari absent et le silence d’une épouse réduite à trouver confort dans un isolement pernicieux. Lequel nuit à sa santé, atteint son esprit et inflige à son corps des douleurs muettes et imperceptibles.
En se retranchant dans sa chambre, avait-elle conscience de se soustraire à ce ruineux huis-clos ? Avait-elle envoyé des signaux tangibles au demeurant mal interprétés par une belle-mère à l’indolence fâcheuse ? D’ordinaire les belles-mères, placées à des positions enviées, observent tout en facilitant l’intégration des épouses de leurs fils.
Elles renforcent leur autorité, donc leur pouvoir par l’influence qu’elles exercent sur ces fils qui, souvent, se montrent accommodants et complaisants à leur égard. Normal, diront les plus naïfs, puisqu’il s’agit de leurs mères. Elles veillent, surveillent et contrôlent. Parfois même, elles élargissent leur « périmètre de compétence » jusqu’à l’intimité des jeunes couples en gestation avec un ancrage qui en dit long sur leur envahissement. De ce fait, les belles-mères jouissent d’une immunité sociale qui leur confère un statut tantôt exagéré, tantôt excessif au risque d’empoisonner les ménages en construction.
Ainsi, la poignante fin de vie de Nogaye illustre l’enfermement dont elle était l’objet au sein de cette famille qui a manifestement opté pour l’omerta. Une telle violence est outrageante. D’autant que la jeune dame, dépourvue de réflexes de résilience, s’abandonne à un sort funeste aggravé par des signes avant-coureurs de tragédie. Mais qui pour déceler (ou détecter) le malheur de Nogaye ?
Personne, a priori. Sauf son propre père, avisé et attentif qui, très tôt percevait des difficultés d’insertion de sa fille. Il reste digne dans l’épreuve qu’il endure et se montre prudent pour indexer qui ce soit. Dans toutes les familles sénégalaises, il existe des angles morts qui dissimulent bien des faiblesses tout en masquant de sournoises injustices.
Toutes les valeurs phares reculent au profit d’une seule et vraie-fausse valeur, l’argent, érigé en dogme d’estime et de considération. Par le clinquant et le rutilant, ceux qui en possèdent à profusion, ne rechignent pas à en administrer la preuve par d’impétueux effets de démonstration. En revanche, ils ne s’attarderont jamais à justifier ou à expliciter l’origine ou la provenance. Moins c’est connu, mieux c’est ! Et bonjour les ébats folâtres, les détentes insouciantes, les farandoles jouissives !
Ces airs de féeries à répétition aiguisent des soupçons, suscitent des bavardages, engendrent des délations et provoquent des dénégations tout au long du «bref cycle de splendeur» qui a sûrement frappé certains esprits. Pas tous les esprits, fort heureusement… Derrière ces scènes de liesse ou de magie, se faufilent des vies très peu avantagées par le sort et la nature.
Bien des familles vivotent avec des moyens rudimentaires et aléatoires. Néanmoins les drames familiaux ne sont pas l’apanage de ces seuls segments de la société. Même si en proportion ils y ont plus cours qu’ailleurs. Les ressorts de la solidarité sont cassés, d’où cette succession ininterrompue de phases de légèreté qui irriguent toute la société. Dans le même temps, la solitude se répand à une vaste échelle.
Combien de femmes vivent seules aujourd’hui avec le poids accru des responsabilités sur les enfants quand l’homme, par lâcheté, s’est éclipsé comme un troubadour de « Ngoyaane ». Nous n’y prêtons pas attention mais la société se transforme en profondeur révélant au grand jour tant de fragilités et de vulnérabilités.
Le plus cocasse c’est que personne ne s’en émeut. Pas plus qu’aucune voix audible ne s’élève à l’image de celle, autrefois du défunt khalife Maame Abdou Aziz SY qui, par son accent (inimitable) et ses intonations (restées uniques), parvenait à retourner des situations désespérées en opportunités de transformation au grand bonheur de gens déviants ou égarés. Sa disparition prive le pays d’un objecteur de conscience attitré.
Ce faisant, les puissances tutélaires s’affaiblissent et s’effacent à vue d’œil avec la montée en puissance d’individualités au parcours ondoyant dont les comportements sont hissés au rang d’exemple face à un déficit de références. Leurs domiciles, repérés par les nécessiteux, deviennent des sites de ralliement avec en prime de soudaines apparitions pour tester leur cote d’estime et d’admiration.
Que ne feraient ces gens pour davantage acquérir du pognon par lequel ils légitiment des accointances avec les pouvoirs ! Ils se perçoivent en héros et subrepticement se prennent pour ce qu’ils ne sont pas : des hérauts. Mais les politesses d’usage qui leur sont manifestées traduisent à la fois «un grain de folie» et un délitement des valeurs avec une grosse perte de repères voire de boussole d’orientation. Délires…
Que ne ferait à son tour l’Etat pour endiguer ces maux ? Des politiques sociales subsistent. Il urge de les fortifier en renforçant leurs prérogatives par une habilitation accrue des relais sociaux. En amont de ces politiques, des études pointues doivent être menées afin de déterminer avec exactitude les facteurs de violences ainsi que les victimes potentielles. La Peur et la honte relèvent du lot.
Articulées au recensement des «foyers tendus» par l’ANSD, ces violences pourraient être circonscrites pour en atténuer les propensions. Le féminicide s’installe. Un cas, pas deux, c’est déjà la cote d’alerte ! Il s’y ajoute l’impérative nécessité d’accroître les revenus pour soutenir les pouvoirs d’achat face à des inflations galopantes. De vrais actes sont attendus des pouvoirs publics. Lesquels ont sans doute eu écho de la fusillade entre jeunes sénégalais dans une proche banlieue de Washington aux Etats-Unis. Visiblement, ils se sont montrés plus Américains que Sénégalais !
Ces malheurs ne sont plus isolés. Il faut s’en faire. La société sénégalaise, friande de spéculations, se voit servie par le niveau alarmant de la violence. Car les percepteurs de vie s’amenuisent. Alors que les hommes jouissent toujours de droits mais s’esbignent devant les devoirs. Là est la source du mal sénégalais récurrent.
Par Mamadou NDIAYE









