La Chine, 9,5 millions de km2, reçoit l’Afrique, 30,4 millions de km2. Par cette logique inversée, la puissance détient la raison. En d’autres termes, la valeur de vérité découle de nos jours du rapport de forces.
Que tout un continent se retrouve à Pékin en dit long sur la nature de la relation entre une Chine organisée et disciplinée face à un univers chaotique dont les dirigeants arrivent en ordre dispersé à Pékin pour les besoins de la 9ème édition du Forum économique et… politique !
Au-delà des symboles, cette rencontre, désormais inscrite dans l’agenda international, met en évidence le pouvoir et ses incarnations. Le système politique tel qu’exercé dans l’Empire du Milieu suscite en Afrique une curiosité renouvelée et inspire bien des régimes, militaires notamment, en mal de cohérence et de légitimité.
Xi Jinping, 71 ans, Président de la Chine depuis 2013, accueille indistinctement ses hôtes sans se soucier de leurs parcours respectifs. Il est habité par le réalisme. En outre, il ne regarde pas les Africains avec commisération. Pas naïf pour autant, il privilégie le contact comme une approche pragmatique consistant à jauger avant de juger pour ensuite se projeter.
Sur le papier, les deux régions pèsent. Elles totalisent plus du tiers de la population mondiale. La Chine vieillit et tente de relancer son quotient familial pour encourager à nouveau un boom démographique. L’Afrique, elle, étonne le monde par la vitalité de sa population si jeune et ses bras valides. Mieux, ses ressources naturelles stupéfient les cercles de pouvoir.
D’ailleurs, nombre de chefs d’Etat qui accourent apprécient d’autant l’attitude chinoise qu’elle ne s’immisce pas dans les « affaires internes » et n’exprime pas ouvertement sa désapprobation ou ses désaccords.
En plus, les Chinois déroulent le tapis rouge, ce qui confère à leur hospitalité toute sa chaleur diplomatique et accrédite en même temps l’idée que les invités sont bien reçus et bien traités « à la hauteur de leur rang et grade…!» Donc silence, on règne !
Les modes de gouvernance, le respect des droits, la démocratie, les règles d’alternance ne figurent pas à l’ordre du jour de ce sommet qui se décompose plutôt en plusieurs rendez-vous bilatéraux.
Preuve s’il en est qu’une Afrique dispersée n’incommode pas Pékin plus enclin à cloisonner ses interventions pour être dans les bonnes grâces des pouvoirs locaux. Lesquels négligent les démarches collectives afin de privilégier les initiatives individuelles qui, une fois couronnées de succès, rejaillissent sur les opinions nationales comme des triomphes issus d’une âpre rivalité.
Le Malien Goïta a exprimé au leader chinois l’insécurité à ses frontières, la pénurie de biens de consommation et le manque de liquidités. Félix Tshisekedi de la RDC, évoque son amitié pour inviter son vis-à-vis à redresser la trajectoire d’une coopération « à sens unique ». Le Sud africain Ramaphosa s’est appesanti sur les déséquilibres de la balance commerciale en faveur de la Chine, la relance économique, l’extension des infrastructures et l’énergie.
A tour de rôle, chaque dirigeant africain a présenté à Xi Jinping son « cahier de doléances » avec l’espoir d’une prise en charge effective de ses préoccupations majeures.
En revanche, aucun d’eux ne s’est improvisé porte-parole du continent pour évoquer des questions transversales ou globales touchant au changement climatique, à l’exploitation frénétique des ressources africaines (mine, minerai, bois, hydrocarbures), à l’endettement massif susceptible de fragiliser davantage des économies déjà vulnérables.
Le Sahel est ignoré alors que les bouleversements climatiques entraînent des pluies diluviennes qui perturbent durablement l’écosystème de la sous-région. Pas même la recherche fondamentale, la technologie, les sciences ou les techniques, les satellites, les fusées, l’espace et les océans afin de préparer les générations futures aux enjeux de savoirs et de connaissances.
Moins ils en parlent, mieux la Chine s’en sort à bons comptes. Naturellement son chéquier en mains, le Président Chinois sait que le retour sur investissement est monstrueusement avantageux pour lui. Il est reproché à son pays, gigantesque à tous égards, de ne pas indexer ses achats massifs en Afrique sur les indices ou les valeurs de référence en cours.
Les paralysies structurelles, lot dans nombre pays africains, favorisent ce comportement de la Chine qui brasse des affaires et embrasse trop de chantiers dans une inversion de proportions qui révèle sa boulimie insatiable. Un tel penchant annonce-t-il des dérives à l’avenir ?
La sphère mercantile s’étend à perte de vue au détriment du besoin de dignité. Des voix s’élèvent pour alerter sur le niveau d’endettement en Afrique. En quittant une tutelle, le continent ploie sous un autre joug. Rien ne change si ce n’est le mode opératoire.
D’où l’intérêt grandissant des investissements chinois avec une extension de sa géographie financière à une échelle plus qu’inquiétante. Devant la Chine, l’Afrique ne parle pas d’une même voix le même langage. Elle se disperse dans des considérations secondaires quand Pékin pénètre en profondeur avec une redoutable efficacité.
Ses entreprises s’installent et rivalisent avec d’autres champions industriels qui considèrent sans gêne le continent noir comme le nouveau vivier de croissance. Il n’y a que les Africains pour ne pas s’en apercevoir. C’est à croire que l’Union Africaine ne représente plus le vecteur (ou le moteur) de l’intégration.
L’institution devient de plus en plus l’ombre d’elle-même. Elle manque de moyens pour financer ses projets, si convaincants soient-ils. L’UA ne parvient à lever des fonds sur les places fortes. Les disputes et les combines de couloirs l’ont affaiblie au point de la rendre peu crédible auprès d’institutions sœurs qui préfèrent s’abstenir de la soutenir de peur de ne pas être emportées par les fréquents tourbillons qui l’agitent.
L’élection prochaine du Président de la Commission constitue un avatar de cette défiguration. La fonction n’attire plus parce que moins prestigieuse. Jaloux de leurs prérogatives, les Chefs d’Etat ne consentent pas à accroître les attributs du Président de la Commission qu’ils considèrent comme un simple collaborateur.
L’épisode de l’ancien président malien, Alpha Oumar Konaré, encouragé par ses pairs d’alors à briguer le poste, s’est transformé en cauchemar quand il a voulu réformer la fonction. Pour l’avoir mal vécue, il l’a quittée, amer, sur la pointe des pieds pour retourner dans son Mali natal. En clair, la présidence de la Commission Africaine ne suscite plus de vocation.
Des hommes et des femmes, il en existe. Mais de grands, une espèce devenue rare de nos jours ! Les Précurseurs dorment du sommeil des Justes. Les œuvres qu’ils ont accomplies survivent certes mais s’empilent dans des dossiers poussiéreux sur des rayons très peu entretenus au siège éthiopien à Addis Abeba, las capitale.
A côté des pères fondateurs, ils ont frayé le chemin en dotant l’institution panafricaine d’une vision et d’une doctrine qui ont transcendé bien des conjonctures. La grandeur ne se mesure pas qu’aux apparences et à un habile usage des médias.
Par Mamadou NDIAYE