Le sort des paysans préoccupe très peu les citadins. A peine s’ils l’évoquent dans d’oiseuses conversations, façon pour eux de se dédouaner en surfant sur les humeurs et la conjoncture. Depuis le mois d’octobre dernier, ce qui se passe dans le monde rural est tétanisant. Aux termes de dur labeur, ils ont récolté leur champ.
Mais faute d’acquéreurs, ils conservent par devers eux leur production. Autant dire malgré eux ! En vérité, par manque de silo, certains ne peuvent les détenir au risque de les voir se détériorer avec une perte inéluctable de valeur.
La solution : brader (récolte) au plus vite. A n’importe quel prix d’ailleurs. Puisque en ces moments de doute et de diète virtuelle, les intermédiaires nantis écument les campagnes et proposent moins que les tarifs homologués. En un mot, ils dictent leur loi, infamante.
De manière outrecuidante, ils imposent également des points de collectes fictifs et mobiles comme pour échapper à toute filature. Par une tacite entente, ces négociants ramassent à la pelle les graines d’arachides qu’ils comptent revendre au prix coûtant à des Chinois aux aguets. Acheté à 225 francs, le kilo est cédé à 700 au collecteur ! Sans marchandage, s’il vous plaît !
Une substantielle marge qui aiguise les appétits voraces et les soupçons d’une volonté affichée de « tuer » le pays au moyen d’une subtile manipulation émotionnelle. Dans le ciel de la brousse voltigent des rapaces mais au sol, ils ont le visage encagoulé et cherchent coûte que coûte à s’enrichir assez vite et avec une effroyable brutalité.
Les terres pionnières, jadis sources de fierté et de solidarité sont, de nos jours, souillées par la pression de marchés erratiques, instables et capricieux. Car comment contourner le prix officiel de cession sans complicité ou manigance de nombreux rouages intermédiaires qui « se sucrent » à tous les coups. Ces pratiques d’un autre âge subsistent encore. A ce jeu, se construire un avenir relève d’un défi chimérique. L’impuissance de l’Etat accentue le malaise paysan.
Prosaïquement, ce monde agricole est sacrifié sur l’autel de la boulimie. Ce qui nuit à l’évidence au bien-être des populations convaincues que le sentiment de vivre de l’autel n’est rien d’autre qu’un vœu pieux. A cet égard, ils ne nourrissent aucun espoir. Pour peu, ces braves agriculteurs s’en iraient à l’abandon. Résignation ou départ sans retour ?
Ne quittons pas cet univers de nos yeux. Des phénomènes de décrochage s’y déroulent autant que des drames familiaux qui n’émeuvent plus au-delà des limites circonscrites des terroirs. Lesquels abritent une mosaïque de souffrances qui n’inspirent ni commisération ni élan solidaire. Laissés à eux-mêmes, ils constatent la flamme de la ruralité s’auto-consumer.
La tristesse se lit sur tous les visages du bassin arachidier qui s’étend au-delà de sa géographie habituelle. Mais qui de nos jours s’apitoie sur le quotidien des paysans ? Pas grand monde !
Déjà la soudure est une épreuve quand l’hivernage s’installe. En général la saison est précédée d’une stratégie de gestion prévisionnelle de la campagne agricole, avec à chaque étape, une batterie de mesures appropriées. Les nostalgiques des périodes fastes sont inconsolables devant les écarts d’approches et de prises en compte des facteurs de succès liés à la tombée des pluies.
Qui se souvient du dernier conseil interministériel dédié à l’agriculture ? Les lenteurs actuelles ne s’expliquent pas touchant à la tardive mise en place des intrants, de l’encadrement, du capital semencier, du matériel agricole, des produits phytosanitaires ? Non plus, aucun décaissement n’est en vue malgré les promesses avancées avec des échos bruyants relayés dans les médias.
Ces mêmes médias vont devoir se focaliser sur les aptitudes du monde rural à se faire entendre. Des dynamiques feutrées s’ébauchent ici et là. Elles sont le reflet d’un électorat en quête d’homogénéité ?
Son poids démographique équivaut-il à une force politique pouvant se traduire significativement dans les urnes ? Des élections jalonnent (ou balisent) le chemin jusqu’à la prochaine présidentielle. Des prémices de tension alimentent toutefois les stratégies des états-majors politiques qui ne conçoivent pas de laisser le pouvoir seul piloter des initiatives de mobilisation ou de déploiement.
A bien des égards, des ambitions se manifestent. Arrivent-elles tôt ou à temps ? Les partis, toutes tendances confondues, s’efforcent d’exister en brandissant de grands sujets : l’école, l’Université, la santé, la diaspora, la sécurité, les infrastructures, ou alors le renouveau de la Casamance où se trouvait encore ce mardi le Chef de l’Etat dans le cadre d’une tournée économique focalisée sur les réalisations.
Après tout, il est porteur d’un projet intitulé « Plan Diomaye pour la Casamance » qui englobe le sud global dans cette partie du territoire, longtemps en proie à un irrédentisme en régression faute de combattants. Le Président a, de ce fait, ôté toute ambiguïté d’ordre politique à son déplacement.
La taille réduite de sa délégation en dit long sur son intention de ne pas mobiliser les foules sur ses itinéraires à des fins politiques. En évoluant sur les marges, non sans modestie, n’accrédite-t-il pas la thèse d’une mise en situation ? Par les actes qu’il pose à intervalles réguliers, le Président Diomaye Faye ne s’inscrit pas dans l’effacement en laissant le champ libre à qui le voudrait réellement.
D’autres analystes pourraient voir dans ce « jeu silencieux » un marquage serré qui e dit pas son nom. Gare à la faute fatale ! Elle serait de nature à compromettre bien des desseins.
Loin d’être une région isolée, la Casamance qui retrouve son « appellation d’origine » a une position axiale enviée pour jouer d’importants rôles dans la « cour des grands. Sa centralité fait qu’elle polarise plusieurs centres d’intérêts entre la Gambie, la Guinée-Conakry et la Guinée-Bissau.
Une fois ses atouts mis en valeur, combinés à ceux de Kolda, Sédhiou et Vélingara, la zone serait un incomparable pôle d’attraction avec d’énormes enjeux d’influence. Le centralisme a assez sévi pour devoir justifier à la fois une déconcentration et une décentralisation dévolues aux régions intérieures, surtout celles qui sont frontalières de pays à stabilité précaire.
Qui trop embrasse, mal étreint, selon l’adage… Le désengorgement de Dakar relève maintenant d’une nécessité impérative. En, laissant filer tous les excès, la capitale se heurte à une hypertrophie paralysante.
En outre au plan strictement économique les dettes des précédentes campagnes, restées encore impayées, n’incitent pas les créanciers, les banques primaires notamment, à renouveler leur confiance si les engagements antérieurs ne sont pas respectés et honorés. Posture inconfortable de l’Etat dont la dette intérieure croît toujours sans fixation d’une limite indépassable.
Dans cet imbroglio agricole, les maigres stocks s’épuisent. Face aux urgences et aux exigences, les paysans prélèvent des quantités qu’ils vendent à vil prix pour faire face aux besoins. En outre, ils n’ont aucun moyen de conserver les graines. L’humidité et les fortes températures constituent des facteurs aggravant.
En d’autres termes les paysans s’appauvrissent à cause de la baisse substantielle de leurs revenus. Ainsi se délestent-ils de leur maigre patrimoine en les écoulant sur des marchés insensibles aux aléas des marchés et des transactions. Dans une large mesure, la période de soudure se prolonge. Ils l’endurent. Mais ils la supportent, stoïques ! Bref, ils broient du noir.
La phase actuelle est cruciale dans le monde rural d’autant se pose avec acuité la question de survie des hommes et des cheptels. Il est urgent de réagir. Pour sauver un monde. La Chine, destination finale, consomme à grands frais les arachides qui lui parviennent. Tout est prétexte à transformation à partir de l’arachide avec ses nombreux dérivés. Dans l’empire du Milieu, rien ne se perd.
Beaucoup de sous-produits, extraits de l’arachide, reviennent en Afrique sous forme de produits finis pour inonder les nombreux marchés. Un autre modèle agricole reste possible : l’agro-écologie. Nourrir les populations africaines et fournir de la matière aux usines, donc à l’industrie, réservoir d’emplois.
Par Mamadou NDIAYE







