Son nom est familier aux Sénégalais qui l’ont découvert à travers le petit écran. Seulement, beaucoup ignorent que l’animateur de l’émission «Arènes sénégalaises» sur iTv, El Hadji Ngagne Diagne, est une mine de savoirs. Une culture et un vécu. Dans cet entretien-portrait réalisé par Bès bi le Jour, ce féru de lutte partage ses combats, ses chutes, ses succès. L’homme, très respecté dans cette arène où les coups ne manquent pas, raconte ses premiers pas dans l’audiovisuel, le secret de ses positions tranchées lors de ses émissions, mais surtout les valeurs que doivent incarner la jeunesse. Père Ngagne – comme l’appelle ses familliers – qui connait aussi la politique et les politiques, s’est également prononcé sur divers sujets de l’actualité.
Qui est réellement El Hadji Ngagne Diagne ?
A l’état civil, je réponds au nom de Ngagne Demba Diagne. Je suis un fils de Dakar, né au quartier «Diecko» qui fait partie des 12 «Penc» de Dakar, sis à la Medina. Mes parents sont nés à l’avenue Gambetta ex-Diecko. Je fais partie de la famille Baye Mor Diagne qui est mon grand-père. Je suis 100% lébou, et je peux même dire que je suis un «bété bété» lébou, car mon père est mon oncle, ma mère est ma badiène.
Justement parlez-nous un peu de cette ethnie, les lébous qu’on dit être les premiers à s’installer à Dakar ?
Les lébous sont une ethnie qu’on compare même parfois aux Khouraich, parce qu’ils sont affables, courtois, avenants, très serviables. Mais ils ont du caractère et sont très vertueux. Ils ne sont pas les premiers à s’être installés à Dakar. Les premiers habitants de Dakar, étaient les Capverdiens, après les Socés. Mais quand les lébous sont arrivés ici, Dieu a béni Dakar. Nos maisons étaient des «pey» (concession). Par exemple, chez moi, il y avait 5 portes. C’était une maison de sauvetage pour des personnes qui n’avaient pas où loger à Dakar. Nos parents avaient toujours en réserve de la nourriture pour les imprévus. C’est d’ailleurs de là que vient le fameux «ndioganal» (repas que les enfants mangent vers les coups de 17h). Donc le lébou est quelqu’un de social et très bien éduqué. Et cette éducation civique se faisait autour du bol où se regroupait toute la famille. Et il y a des limites que l’enfant ne devait pas franchir, car quand on mange on ne parle pas, on regarde devant soi, on attrape le bord du bol, on attend qu’on te sert. C’était pour apprendre à l’enfant le sens du partage, la patience…. c’était une école de la vie. Mais hélas tout cela s’est effrité.
Justement, qu’est-ce qui explique cette perte des valeurs?
Cela a commencé lorsque les jeunes ont commencé à choisir leur propre mari, leur propre femme. Or au temps, les parents savaient où se trouve la bonne graine ou la perle rare. La faute incombe à tout le monde. Auparavant l’éducation de l’enfant était gérée par toute la famille et même par ton voisin de quartier. Mais aujourd’hui personne n’ose poser la main sur l’enfant d’autrui.
Comment avez-vous passé votre enfance, dans ce populeux quartier de la Médina ?
C’est vrai que Médina est un quartier bouillonnant. Mais avant d’aller à l’école française, on passait d’abord par l’école coranique. Moi, j’ai fait le primaire à l’école Clemenceau. J’y suis resté jusqu’en classe de 4e puis, j’ai été transféré à l’école Malick Sy sise à la Rts. Et mon cycle secondaire, je l’ai fait au centre de formation professionnel Assalar, option dessin industriel. J’avais un don dans le domaine du dessin, mais je n’ai pas pu continuer, car après je suis allé chercher du travail. J’ai très tôt titillé le football grâce à père Ass Diack qui a formé beaucoup de jeunes de la Médina. Chaque dimanche matin, on était à l’école Médine. Donc, mon enfance, je l’ai faite entre école Médine, le Champ de courses, Soumbédioune et Iba Mar Diop.
C’est pourquoi, je suis aussi calligraphe parce que nous avions appris à écrire avec la plume, l’encre et le buvard. Et avec cette méthode d’apprentissage, non seulement tu es ponctuel, propre, mais appliqué et c’est cela qui explique notre niveau intellectuel, alors que nous n’avons pas fait des études poussées. Nous avions des enseignants qui avaient l’amour du métier, et les élèves respectaient beaucoup plus leurs maîtres que leurs propres parents. Maintenant, il n’y a plus ces valeurs morales. On confond même les enseignants et les élèves. Les directeurs étaient confondus à des ministres de la République, tellement ils étaient très corrects et respectables.
Qu’est-ce qui, selon vous, a changé entre-temps ?
C’est la politique politicienne qui a gangrené tous les secteurs, notamment l’enseignement. Elle a détruit énormément de choses. A cause de la politique, les familles se sont disloquées, les foyers religieux rabaissés. Elle a bafoué nos valeurs.
Etiez-vous un de ces turbulents jeunes qui fréquentaient les boites de nuit à l’époque ?
(Il éclate de rire jusqu’à se redresser de son fauteuil). A notre époque, c’est les clubs qui existaient. On se cotisait pour organiser un bal ou coladéra. On fabriquait des cartons d’invitation qu’on donnait à nos petites amies. A cette époque, la femme était une perle rare, si tu aimais une fille, c’est à travers une lettre que tu lui exprimais tes sentiments. C’est le jour du bal qu’on saura qui a une copine et qui en n’a pas. La soirée commençait à 21 heures et se terminait à 00 heures.
Et le plus marrant à 00 h pile, toutes les mamans venaient devant la porte pour récupérer leur fille. C’est à 20 ans qu’on a commencé à aller dans les boites de nuit. La Star bande d’Ibra Kassé sise à l’avenue Malick Sy était en vogue. Mais la boite de nuit qui nous a le plus marqué c’était «Diender» ex-«Killy night» quand Youssou Ndour venait de quitter «Star band» pour créer «Etoile de Dakar». A part «Diender», c’était le «Balafon». Nous étions ceinturés par des boites de nuit, mais cela n’a rien gâché de notre adolescence.
C’était quoi votre premier boulot ?
A l’âge de 24 ans, je m’étais déjà marié. Pour mon premier boulot, j’avais opté pour le transit. J’étais à Bourgi transit où j’étais embauché. J’officiais dans l’archivage. J’étais aussi passeur de pièces au niveau de la molle 2. Après des années de service, j’ai démissionné en 1989 pour faire mes propres affaires, suivre ma passion, c’est-à-dire la lutte.
Comment êtes-vous entré dans les médias ?
J’ai toujours aimé la lutte. A bas âge, je fréquentais l’arène sénégalaise. J’ai assisté au combat de lutte Mbaye Guèye- Aliou Seye qui était rude, on a fini même par casser l’arène. Bien avant 2022, j’étais un consultant de lutte à la radio Témoin Fm. C’est en 2022 que j’ai intégré Sport Fm grâce à Ndèye Ndom Thiouf. C’était pour donner un souffle nouveau à la lutte, car il y avait beaucoup de griotisme dans les reportages. Je faisais le duo avec Mamadou Mbaye Garmi. Et la lutte m’a presque tout donné. La connaissance, les relations humaines, etc. Je ne regrette pas d’avoir intégré la communication de la lutte, car je fais partie des personnes qui ont révolutionné et propulsé la lutte.
Comment s’est effectué votre passage de la télé à la radio ?
C’est quand sport Fm s’est arrêté en 2003 et que nous sommes entrés dans le format radio généraliste, dénommée Rfm. Et de fil en aiguille, on a créé la Tfm. Mamadou Garmi et moi, sommes les premiers à animer une émission de lutte intitulée «Roffo».
Quelle lecture faites-vous de l’avènement de Bassirou Diomaye Faye au pouvoir?
Personnellement, c’est avec l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye à la tête du Sénégal que j’ai réalisé véritablement que c’est Dieu qui donne le pouvoir à qui il veut. Trois mois auparavant, en passant devant la Mac de Rebeuss, personne ne pouvait imaginer que le prochain président de la République y est incarcéré. Combien de fois, Diomaye a entendu de l’intérieur de la prison les sirènes du cortège de Macky Sall passant par la corniche ? Mais en aucun moment, il ne se doutait que dans trois mois, ce serait son tour. Qui a travaillé le plus dans le projet Pastef et qui est le plus connu dans ce parti ? C’est incontestablement Ousmane Sonko. Mais c’est Dieu qui en a décidé autrement. Je suis persuadé que le Président Bassirou Diomaye Faye lui-même a tiré une leçon de la façon dont il a été élu. Ce qui fait qu’il ne doit pas accepter qu’on le détourne de sa trajectoire en l’invitant sur le chemin de la vengeance. Moi, je pense qu’il a été mis sur le chemin des Sénégalais par Dieu, car c’est Birame Souléye Diop, le numéro 2 de Pastef, il y a aussi d’autres cadres qui sont dans Pastef, hormis les alliés comme Cheikh Tidiane Dièye et Habib Sy. En fait, c’est parce que justement, Ousmane Sonko sait qu’il est un homme de valeur. Je pense que tous les Sénégalais doivent s’unir derrière le nouveau gouvernement. Qu’on arrête un peu la politique pour retourner au travail. Et sur ce coup-là, j’accuse la presse.
Quel est son degré de responsabilité dans tout cela ?
Parce que c’est la presse qui encourage ce débat dans l’espace public. On a l’impression que la presse n’a pas de programme. En tout cas, elle doit revoir les lignes éditoriales. On ne parle que de politique dans ce pays, on a que des débats politiques, matin et soir. Alors que le pays regorge de personnes de valeur, qui peuvent aider le pays à avancer ou donner de bons exemples à la jeunesse.
Le nouveau gouvernement a lancé le slogan de «Jub, Jubal, Jubanti». Quel sens donnez-vous à ces termes ?
«Jub, Jubal, Jubanti» c’est bien, mais ils ont oublié d’y ajouter «Joyanti». Et cela les concerne directement. Ils doivent avoir une bonne capacité d’écoute et un esprit d’ouverture. Ils sont devant, mais ils doivent prêter une oreille attentive à la population. Qu’on ne les mette pas en mal avec un tel ou tel groupe de presse au motif qu’ils sont contre eux. Je pense même, qu’ils doivent plus tendre l’oreille à ceux qui les attaquent pour en tirer profit.
Justement, que pensez-vous des lanceurs d’alerte dont on parle ?
Je les ai entendus parler de lanceurs d’alerte, mais pour moi c’est une catastrophe. Et je demande solennellement au Président Bassirou Diomaye Faye de bien réfléchir sur cela. Un lanceur d’alerte, c’est ce qu’on appelle en Wolof «thiokoto». C’est quelqu’un qui te fréquente rien que pour tirer des informations sur toi pour finalement te trahir. Le problème qui se pose, c’est si ce dernier doit être protégé ou pas. Et s’ils ne disent pas la vérité ou inventent des choses ? Doit-on toujours les protéger ? C’est une porte ouverte pour le chantage.
Quelle est votre position par rapport à la dernière sortie de Birame Soulèye Diop à propos des ministres qu’on parraine des activités comme la lutte ?
En fait, Birame Souleye a d’abord commencé à mettre en garde sa propre famille et ses proches, en disant qu’on ne compte pas sur eux pour parrainer les baptêmes, les combats de lutte ou matchs de football. S’il s’agit de baptême, il faut avoir une certaine affinité ou liens de parenté avec quelqu’un pour qu’il te parraine. Et puisqu’il n’a pas épargné sa propre famille, moi je lui pardonne son dérapage. Il n’a qu’à cesser d’aller à des cérémonies familiales ou des funérailles. Moi, personnellement, je ne vais plus m’attarder sur cette question. En fait être nommé à un quelconque poste et être un «Kilifeu», c’est diamétralement opposé.
Pourtant le Président du Cng de lutte, Bira Sène, a fait une sortie demandant qu’on fasse preuve de compréhension à l’égard de Birame Soulèye. Le président Bira Sène est un «Kilifeu» qui dirige plusieurs personnes. Donc, il ne peut pas avoir une autre position. Pour le moment, il ne sait pas ce qui adviendra de sa relation avec le nouveau gouvernement, donc c’est normal qu’il soit prudent, car c’est un comité national provisoire de lutte. Et je suis tout à fait en phase avec lui.
Que pensez-vous de la fusion des ministères du Sport, de la Jeunesse et de la Culture ?
Cette fusion est une aubaine pour la lutte, car j’ai toujours pensé que ces secteurs ne devraient jamais être dissociés. La lutte par exemple, c’est un sport, mais elle a un aspect culturel et même touristique, et il y a aussi la jeunesse. En réalité, dans la lutte, il n’y a qu’une infime partie de sport, car après le coup de sifflet de l’arbitre, le combat ne dure pas longtemps. Donc presque tout est culturelle (les chants, les chorégraphies, les déguisements, les marabouts…). C’est pourquoi je demande solennellement au ministre de mettre en place un musée pour la lutte afin qu’elle marque son empreinte dans ce ministère. Elle ne peut plus rien faire de spécial pour la lutte, car Matar Ba a posé la première pierre et a inauguré l’arène nationale. La seule chose qui reste à faire, c’est de créer un musée à l’intérieur de l’arène nationale. Ainsi on pourra revisiter l’histoire de la lutte de 1942 à 1968, le drapeau de l’Aof.
Que pouvez-vous nous dire sur l’état actuel de la lutte traditionnelle ?
Est-ce que vous savez que la lutte traditionnelle, c’est du social ? Elle œuvre même plus que l’Etat dans le domaine du social. En réalité, les promoteurs de lutte traditionnelle, ce sont des associations villageoises. Ce sont eux qui achètent les licences et les mettent au nom d’un tel ou tel lutteur. Ensuite, ils organisent des «mbapatt» et utilisent les recettes pour la construction des cases de santé, des mosquées, des églises. Ils utilisent également cet argent pour acheter des médicaments ou soigner les populations. En fait, c’est pourquoi les séances de lutte traditionnelle ont un enjeu important. Puisque c’est tout un village qui mise sur un lutteur. Par exemple, si tu mises 2 millions, tu peuxteretrouverfacilementavec7 millions de francs Cfa. Il faut remonter jusqu’à Yékini ou Manga 2, Amadou Diouf… ils ont des troupeaux et ils se sont faits de l’argent, bien avant de venir dans la lutte avec frappe.
On a remarqué que lors de votre émission de lutte sur iTv «Arènes sénégalaises», vous laissez de plus en plus de place à Mamady Diouf et à Salla Bigué. Êtes-vous en train de préparer votre retraite ?
Mais c’est très normal. Il faut qu’on commence à chercher des relèves pour les émissions. Maintenant, c’est Mamady Diouf ou Salla Bigué qui ouvre l’émission et je ne fais que les accompagner. C’est cela assurer la relève. C’est cela la transmission du savoir.
Entretien réalisé par Ndèye Anna NDIAYE et Adama Aïdara KANTÉ