Pour certains, il n’est rien d’autre qu’un arbre banal qui jonche le long de la plage. Pour d’autres, il est juste épineux sans saveur ni douceur. Mais lui l’adoube. Mieux, El Hadji Malick Sagne le transforme en énergie bio et en engrais. Une initiative verte d’un jeune ingénieur sénégalais, militant des énergies renouvelables. Et ce, dans un contexte où le nord et le sud peinent à accorder leur violon à propos des énergies fossiles.
À l’Institut Supérieur de Formation Agricole et Rurale de Bambey (ISRA), il suffit de dire son prénom, pour qu’on vous indique son lieu de prédilection. Un champ de cactus, clôturé par des branches d’arbres. A l’entrée un réservoir d’eau, à l’extrémité une bâche flottante à côté d’un tuyau relié à un sceau noir. Il s’agit là d’un laboratoire à ciel ouvert pour El Hadji Malick Sagne. Mais aujourd’hui, l’ingénieur en travaux agricoles semble dépassé la phase expérimentale. En cause : dans ce périmètre agricole jaillit de l’énergie bio. Et comment ? Muni de gangs en cuir de couleur rouge, en face d’un seau bleu, El Hadji Malick Sagne découpe les feuilles de cactus avec un couteau. « Ça devrait suffire ! » s’exclame-t-il avec le sourire. L’autre étape, moins épineuse, est aussi cruciale. À l’aide d’une broyeuse, il réduit la matière avant d’y ajouter de l’eau. Un mélange de « solution verte » pour lancer l’ultime phase. Le sceau bleu à la main droite, un autre rempli d’eau à la main gauche. Le jeune ingénieur, front en sueur, un chapeau-noir en cuir contre les rayons ardents du soleil, se dirige vers le dispositif de digesteur à bâche. « le digesteur, rempli de ce mélange cactus – eau, va nous permettre, après quelques heures, de produire du biogaz », explique El Hadji Malick Sagne. Une quête d’énergie verte dont l’origine repose sur sa terre natale.
Son village, la salinisation et l’expérience
La découverte « Cactus » de El Hadji Malick Sagne, n’est pas le fruit du hasard. Tout est parti d’une observation. « Le verger de notre village (Mbour) est affecté par la salinité. Les plantes mouraient. Face à cette situation en tant qu’agronome, j’étais, en permanence, à la recherche de solutions », raconte-t-il. « Un jour, de retour du sport, l’eau de la mer avait débordé à cause de la pluie. Et j’ai constaté que l’arbre (le cactus) résistait malgré la forte teneur en sel », ajoute l’ingénieur trentenaire. Une simple observation qui va s’avérer concluante. Le cactus résiste, s’adapte et protège les autres plantes qui parviennent à se développer. Pour percer les mystères de la plante, pour ne pas dire les épines, l’ingénieur fait des prélèvements. Pour démarrer, El Hadji Malick Sagne veut connaitre sa composition exacte. Une fois à l’ISRA, il lance une étude chimique. Débordant de curiosité scientifique, il enferme les échantillons dans des boîtes. Au bout de 24 heures, des éléments naturels promoteurs (glucides, eau… ) qui participent à la méthanisation s’y dégagent. Le mystère percé, l’enfant de Mbour est convaincu que « de la fermentation, jaillira la lumière ». Il voit juste puisque « la solution fermentée » remplie dans le sac de stockage et branché à un réchaud à gaz, produit du biogaz. Une découverte qui met sur orbite « Cactus-Innovation ». Objectif, au-delà du feu sans fumée, exposer les autres vertus cachées de la plante.
Le cactus, fertilisant et sécurisant
L’image repoussante qu’il renvoie à cause de ses épines, est trompeuse. En effet, le Cactus-raquette est non seulement source d’énergie, il est également un fertilisant. « Regardez, ce liquide issu de la production d’énergie, c’est du digestat ! », se réjouit El Malick Sagne.
Il affirme que des études scientifiques ont permis de prouver que chaque litre contient « 100 grammes d’azote, 200 grammes de phosphore et 500 grammes de patassium ». Des compositions qui lui permettent d’échapper aux engrais chimiques et de produire des légumes et fruits sans pesticides. Conséquence : le cactus permet de préserver ou restaurer le sol et de lutter contre le stress hydrique. « Il fait partie des plantes xérophytes », explique le pensionnaire de l’Institut Supérieur de Formation Agricole et Rurale de Bambey. C’est-à-dire : « des plantes qui stockent de l’eau et au besoin peuvent alimenter les autres ». Tout ceci pour dire que ses éléments minéraux et organiques sont vecteurs d’autonomie agricole.
La plante reflète le modèle intégré tant vanté par les militants de l’environnement : une ferme, une énergie sans pollution et une récolte sans pesticide. S’y ajoute ses épines qui jouent un rôle de protection et de barrière. « Elles sont aussi efficaces contre les rongeurs » d’après lui. Il explique « qu’une fois la plante fixée, elle peut servir à limiter ses éléments nuisibles. »
Malgré toutes ses vertus mises en exergue, El Malick ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. L’ingénieur veut désormais contourner les épines. Il mène des recherches pour trouver une variété moins épineuse afin de faciliter la manipulation. Fort de son expérience, il a initié une association entre la variété locale et celle mexicaine ou marocaine. Autant de travaux et défis qui lui ont déjà valu quelques récompenses nationales et internationales. El Malick Sagne et Cactus-Innovation ont remporté l’édition 2023 de Falling Walls Lab Dakar. Une plateforme mondiale d’échanges scientifiques qui met en évidence des projets innovants. Et d’ailleurs, représentant du Sénégal lors de la finale mondiale du Falling Walls Lab, Elhadji Malick Sagne s’est encore illustré de la plus belle des manières. Le pensionnaire de l’Institut Supérieur de Formation Agricole et Rurale vient de remporter à Berlin, en Allemagne, la catégorie talents émergents.
Toujours au plan international, « l’homo-cactus » comme le surnomment ces proches, a raflé la mise de l’innovation lors d’un concours organisé par l’entreprise Eiffage à Paris devant le Maroc, la France et d’autres pays. Des récompenses qui lui ont permis de moderniser son site de production de biogaz. Malgré ses succès, le jeune ingénieur a le triomphe modeste. Son vœu le plus cher : fournir de l’électricité à base de cactus aux zones les plus reculées du pays, pour rendre leur quotidien moins épineux.
Pape Ibrahima NDIAYE