À ma famille, à mes proches, à mes amis, à la poésie, à ceux qui ont perdu leur maman chérie, j’annonce la mort de ma mère. J’annonce la perte de mon unique trésor, de mon unique jardin, de mon unique banque, de mon unique poème, de mon unique livre, de mon unique foi. La mort ne m’a rien demandé en venant visiter celle qui a fait de moi ce que je suis devenu. Elle sait que je lui aurais donné ma vie à la place de celle qu’elle est venue prendre ce matin et dans mes bras. Il est des dettes que l’on ne peut rembourser que par sa propre vie. Neuf mois de loyer dans le ventre d’une mère sans rien payer, sans compter tout le reste qui suit et qui n’a pas de prix ! Mais ce ne sont pas nous qui décidons !
La mort s’est trompée en croyant m’avoir pris ma mère ce lundi 04 septembre 2023, Jour de la grande fête religieuse du Magal de Touba au Sénégal ! Ceux qui nous ont donné la vie ne devraient jamais mourir sous nos yeux. Mais l’étrange alchimie du temps en décide souvent bien autrement. Mon espérance s’est fragmentée, la beauté des fleurs ne sera plus la même. Le grand pétale s’est éteint. Ma foi s’est lézardée mais elle seule vaincra la douleur et les doutes. Il y faudra du temps. Je m’agrippe pour l’instant au vent, au vide, au néant. Je flotte. J’ai perdu le plus beau, le plus reposant des refuges : ma maman, la belle bergère peule de Pal !
Elle était ma muse ! Mon jardin tant chanté, tant arrosé vient de se faner. Pourquoi ? Pourquoi la mort se croit-elle toujours tout permis ? Pardonnez-moi Seigneur de blasphémer, tant la douleur est incisive ! J’ai perdu et tout perdu ! Mon cœur s’éteint comme une lampe morte. Seigneur, accueille-la ! Accueille-la donc Toi-Même. Place ma mère dans Ton Patrimoine le plus chéri, dans Ton Jardin le plus jaloux qui n’accueille que ceux que Ton Cœur a choisis parce que Toi Seul sais. Elle T’aimait ma mère. Elle avait choisi ton prophète Mohamed comme chant de jour et chant de nuit, comme chapelet, comme tapis de prière, comme bague à son doigt, comme galet de prière quand le poids de l’âge se passait des ablutions.
« Salue donc le prophète Mohamed qui est venu me tenir compagnie, avant que tu ne viennes t’assoir à mes côtés », me disait-elle quand j’entrais dans sa chambre qui faisait face à la mienne dans ma maison que je partageais avec elle depuis plus de 40 ans. J’étais allé la chercher à la maison paternelle de Kaolack pour venir vivre avec moi, à Dakar, sous ma propre et entière servitude. Je la voulais proche, heureuse et toujours comblée. Elle ne m’avait pas seulement donné la vie. Elle m’avait également donné le monde. Un monde lié aux vertus de mon sang, de ma culture, du respect des autres, de la découverte des autres, de la rencontre avec les autres, de leur écoute, de l’amour.
« N’aie pas peur. Ne t’inquiète pas si demain les Blancs t’appréciaient plus que tes propres compatriotes. C’est inscrit dans la légende de notre sang. Nous sommes hors frontière. Tu seras hors des frontières », me confia-t-elle un jour. J’avoue avoir pris du temps pour comprendre, savoir. Quand une poétesse peule parle, le lait se pare de signes !
Oui, maman, tu m’as donné la vie et tu m’as donné au monde comme tu dis ! Tu me manqueras. Tu me manqueras beaucoup. Mais je sais que tu seras là. Toujours. Maintenant que tu es partie, que je ne te verrais plus au petit matin en ouvrant ma porte qui donne sur ta porte, laisse-moi te dire combien je t’ai aimée et surtout combien j’ai hâte de te rejoindre là où tu reposes. Oui, j’ai hâte de venir dormir à tes côtés, comme jadis, comme toujours quand je reviens des longs voyages. Maman, je suis si fatigué moi aussi. Si fatigué et désenchanté.
J’avais à peine 10 ans maman, quand papa nous a quittés. Tu as tenu. L’école primaire. Le lycée. L’université. Le monde. Tu as tenu. Tu as assurée et toute seule le pain, l’eau, le sel, les cartables, les cahiers, les encouragements, les veilles, les prières, la tendresse infinie. J’ai 72ans. Tu me quittes à deux pas de tes 101 ans. Tu as tenu. Tu as tenu à rester là, à veiller sur moi. Merci. Merci pour tout.
La mort souveraine, conquérante, sans permission, est parvenue à t’arracher à ma tendresse. Dieu qui ne sait pas tout – mesure-t-IL le poids de ma douleur ? – a laissé faire. Puisqu’IL a laissé faire, nous nous agenouillons devant Sa Volonté. Nous nous remettons à Lui et à Sa Miséricorde et ses Promesses. Merci. Merci maman. À bientôt. Juste comme toi, préparer le chemin.
Dakar, ce lundi saint, mais si tuméfié du 04 septembre 2023.