Jamais encore des bureaux de parlotes n’ont construit un pays ni vaincu une désespérance. Mais l’étrangeté n’est plus une surprise. L’excès fait l’idole. La Présidentielle ne leur a pas fait perdre leurs illusions d’instaurer une terreur «respectueuse». Et le pays grouille du bruissement des intelligences perverses. Impossible pour elles de vivre autre que contre les autres. Rien ne semble pouvoir les infléchir. Elles n’explorent plus l’existence bonne et elles s’extasient au mal. Leur horizon serait un crépuscule. Et dans celui des idoles, Friedrich Nietzsche écrit : «On ne peut exclure la danse, sous toutes ses formes, d’une éducation raffinée : savoir danser avec ses pieds, avec des idées, avec les mots. Est-il encore besoin de dire que l’on doit aussi savoir danser avec sa plume…» Aujourd’hui qu’elles ne savent plus danser, elles se chevauchent sur des pistes. Elles se prennent et se méprennent à confondre embrassement et embrasement. En écho de leurs ondes négatives, l’exhalaison de leurs répugnances.
Pour une vie paisible de braves gens, souffrir à assumer ses belles âmes devient un prix à payer. L’éloge de la rancœur et de la perfidie est tel que l’on n’entend plus ces chants cadençant des labeurs d’honnêtes travailleurs implorant ainsi une baraka sur leurs maigres gains selon une culture populaire. Que ressuscités, «Sa-Dagga Ma-Goné le M’Bandakatts, le chanteur – diseur – danseur, le Géant – de – sœur Deghène et son assistant Batj-Guèwel-le-Tambourinaire» ne sauraient plus, à la fraîcheur du soir, égailler ainsi la cité : «Sou Ma yéghone / Doghi n’ghèmbe ! Deuke bi Leghèy ta fi Khèw ! – Dans cette ville / Seul le travail est à la mode !» (voir Contes et lavanes, Birago Diop). Seulement, face aux pitreries, à la prestation des prophètes et autres pasteurs ou khalifes qui se bâtissent par la terreur de la fabulation, le peuple, jamais résigné, garde une grimace heureuse. Certainement en souvenance de ces mots du président Léopold Sédar Senghor : «Au Sénégal, puisque Dieu nous dota d’un don de fabulation, “Radio-cancan” marche à pleines ondes, mais tout cela n’est pas sérieux.» Et le peuple ne court pas des temples où une «piété» offense une dignité, l’humaine condition. Où une beauté s’enfle d’un mot qui tue.
Organisation et méthode : on a tout essayé !
Le peuple laisse respirer que des idiots ne tremblent plus. Ils suivent leur index si aveuglés qu’ils ne regardent plus leur pouce. Réunis dans des bureaux des parlotes, «di wax muy dox», pensent-ils ainsi être dans une transgression et pouvoir bâtir un lendemain meilleur, un pays juste et prospère. C’est peut-être leur compréhension de la notion de rupture. Chez eux, peu leur importe qu’une personne soit «persuadée des choses qui sont dites et (…) consentante aux choses qui sont faites». Leurs mensonges ne leur troublent ni leur étourdissent. C’est à fond dans un manichéisme que «la valeur d’un énoncé ne réside pas dans sa vérité ou dans sa sincérité, mais dans les systèmes de renvoi qui font jouer tel ou tel groupe contre tel ou tel autre» (Gaspard Koenig). Et vers cette musique de l’abîme tendent-ils leurs mains et leurs cœurs croyant entendre leur chant de gloire. L’organisation et la méthode du chemin du salut enfin trouvé.
Comprendre une constance des choix des populations fait-il, par moments, réfléchir ? De Sédar à Diakhar, une même rengaine qui n’a jamais ébranlé les votes des électeurs. Le peuple, souverain qu’il reste, s’est toujours choisi un de ses fils de la périphérie pour le bénir et l’installer au centre. Au Sénégal, jamais un candidat idéal ou de l’idéal de certains autres «bons penseurs» n’a encore été élu. Un président par défaut et fier de l’être sont-ils cinq à devoir assumer cette caricature. Leur destin se confondant à celui d’un pays qui attend toujours de ses enfants qu’ils travaillent à être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain. Qu’ils ferment leurs bureaux des parlotes, bannissent leurs motions incendiaires qu’ils émettent en incrédules qui, ensuite, composent avec de pires adversaires de leurs imaginaires. Au demeurant, peut-être que tout n’a pas encore été essayé dans un Sénégal où rares sont ceux qui se rappellent d’un Bureau organisation et méthode de la présidence de la République et ce à quoi il avait servi.
Par Assane SAADA