Le 20 juillet 2000, le Premier ministre Moustapha Niasse avait présenté sa Déclaration de Politique Générale (DPG) devant une Assemblée nationale dominée, majoritairement, par les socialistes. Il est connu que cela a été rendu possible grâce aux contacts directs que le Président Wade et son Premier ministre, Moustapha Niasse, avaient établis avec les responsables socialistes. La dissolution de l’Assemblée nationale n’était intervenue que postérieurement, soit le 15 février 2001 et de nouvelles élections législatives tenues le 29 avril 2001. Le Président Wade et son Premier ministre s’étaient alors montrés à la hauteur de leurs fonctions en prenant l’initiative d’ouvrir des discussions directes avec leur opposition à l’Assemblée nationale, en l’occurrence les responsables socialistes, pour arriver à ce dénouement heureux et éviter au Sénégal une crise politique, voire institutionnelle inutile.
Une crise institutionnelle qui s’installe
Vingt-quatre ans après, rebelote. Le Sénégal se retrouve dans la même situation (le PR et son PM font face à une Assemblée nationale dominée par BBY). À la différence de ce qui s’était passé en 2000, tous les ingrédients d’une crise institutionnelle sont réunis cette fois-ci. En effet, les membres du groupe parlementaire de la Coalition Yewwi Askan Wi, par la voix de son nouveau Président, Ayib Daffé, affirment que «la déclaration de politique générale n’existe plus dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale». La conséquence qu’il faut en tirer est simple : le Premier ministre actuel n’est pas tenu, en l’état actuel des choses, de venir présenter sa DGP devant la présente institution parlementaire. Guy Marius Sagna leur emboîte le pas par voie épistolaire en suggérant à Ousmane Sonko de ne pas venir présenter sa DPG à l’Assemblée nationale au prétexte de l’existence «d’un faux règlement intérieur qui fait référence à des dispositions sur le Premier ministre abrogées depuis bientôt cinq ans». Le principal concerné, Ousmane Sonko, en réponse à Guy Marius Sagna, rajoute de l’huile sur le feu, comme à son habitude. Il menace qu’en cas de carence de l’Assemblée nationale d’ici le 15 juillet 2024, il pourrait faire sa DPG devant «une assemblée constituée du peuple sénégalais souverain, de partenaires du Sénégal et d’un jury composé d’universitaires, d’intellectuels et d’acteurs citoyens apolitiques». La réaction du Bureau de l’Assemblée nationale ne s’est pas faite attendre face à ce que l’institution parlementaire considère comme des «propos discourtois», ayant un «caractère outrageant», des «injonctions inacceptables», une «violation des règles de fonctionnement des Institutions, de la séparation des pouvoirs» et constitutifs d’une «menace réelle sur le fonctionnement normal des institutions de la République et sur la préservation des valeurs républicaines» : la décision de sursoir à la tenue du Débat d’Orientation budgétaire (DOB) prévu ce jour.
Dans un État normal, un Premier ministre ne peut parler de l’Assemblée nationale avec les termes utilisés par Ousmane Sonko au nom du principe de la séparation des pouvoirs. Il ne lui ne revient pas, non plus, de choisir les parlementaires devant qui il devra faire sa DPG. C’est une prérogative du peuple, qui les a élus comme il a élu le Président Diomaye Faye.
Ousmane Sonko : l’art de créer de faux problèmes et des polémiques stériles
Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation qui ne pourrait qu’être préjudiciable au Sénégal ? Le partisanisme aveugle, au nom de la «défense d’un vote» (celui ayant porté le Président BDF au pouvoir) et le recours au juridisme à géométrie variable (c’est avec le même RI que son prédécesseur, Amadou Ba, avait présenté sa DPG et le groupe parlementaire de la Coalition Yewwi Askan Wi déposa une motion de censure) ne permettront pas de répondre à cette question. Sans ambages, il faut avoir le courage de le dire : cette situation n’incombe qu’à Ousmane Sonko et au Président Diomaye Faye. Depuis leur installation qu’ont-ils fait pour éviter la chienlit en ouvrant des discussions franches et ouvertes avec la majorité parlementaire actuelle pour faire passer les lois qu’ils considèrent comme prioritaires et pour faire passer, sans anicroches, la DPG ? Rien à ce que nous sachons. Ils n’ont pas encore montré l’ouverture, l’humilité et la grandeur nécessaires pour aller vers tous les segments de la société, pour discuter avec eux en vue de lever tout ce qui pourrait être un obstacle à la réalisation de certains engagements pris auprès des populations sénégalaises, en attendant que l’Assemble nationale soit dissoute et de nouvelles élections convoquées. Par exemple, la dissolution des institutions budgétivores comme le CESE et la HCCT attendent encore. Il est également noté à l’égard des autorités municipales de Dakar, une solitude institutionnelle que le couple Diomaye – Sonko a fini de d’installer. De ce duo, c’est Ousmane Sonko qui se fait remarquer par une attitude belliqueuse, voire dominatrice avec une volonté d’écraser ses adversaires. Ce qui est inadmissible ! Tout semble indiquer que Ousmane Sonko n’est pas encore parvenu à entrer dans les fonctions d’un Premier ministre comme le prouve son langage fait de menaces et d’outrances à chacune de ses sorties. Au lieu de travailler à l’apaisement et à créer un environnement favorable au déroulement du programme qui les a fait élire, il se plaît à créer de faux problèmes dont il pouvait faire l’économie. Il installe la polémique dès qu’il prend la parole. Sa vision du Sénégal semble binaire : ceux qui sont avec nous et ceux qui sont contre nous. Il continue de se complaire dans des communications au sens unidirectionnel avec les populations, c’est-à-dire des monologues stériles, sans débats ni contradictions. Ce qui est anachronique dans la gestion d’un État dont les qualités requises sont notamment le sens de l’écoute, l’ouverture d’esprit, la clarté, l’équilibre et le caractère rassurant.
La crise en cours sur la DPG pouvait être évitée. La DPG est selon Marchand (2010), «une occasion unique pour un gouvernement d’exposer son analyse de la situation du pays, ses intentions d’action et les valeurs qui la sous-tendent». Ce qui fait dire au même auteur et dans un autre article que la DPG peut être considérée comme «un rituel» (Marchand, 2008). Dans une République, les rituels sont faits pour être respectés comme le prouve les pratiques et mœurs politiques dans de nombreux pays, surtout occidentaux. Beaucoup de choses doivent se réaliser dans le respect des valeurs, des coutumes, des usages et des traditions démocratiques. Parmi celle-ci, figure la DPG devant l’Assemblée, dans les meilleurs délais et peu importe sa composition ! C’est malheureux de perdre, inutilement, du temps là-dessus alors que d’autres priorités nous attendent et que les populations continuent de souffrir dans la misère, le manque d’éducation, l’accès à des soins suffisants et appropriés, etc.
Cheikh Faye, Ph.D
CANADA