Déjà dans l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, il est clairement repris les sept aspirations d’une prospérité partagée. Ces aspirations, avec leurs déclinaisons en objectifs, devraient, pour rester sur les rails, résister aux assauts égoïstes du nouveau monde incarné, entre autres, par :
une Amérique audacieuse et extravagante en protectionnisme ;
une vieille Europe fébrile en voie de sevrage de l’OTAN ;
une Russie taquine qui teste, par l’Ukraine, sa renaissance conquérante ;
une Chine non encore rassasiée et en course résolue pour la première place économique mondiale ;
des BRICS interloqués de voir de nouvelles haies dressées sur la piste commune vers la prospérité ;
un monde arabe brusquement las de se voir enfermé dans son rôle de bailleur impuissant ;
Bref, un monde en mode stress et inquiétudes pour tous, en dépit des propos guerriers.
Et l’Afrique dans tout ça ? Elle est dans les guerres et incertitudes importées, avec encore le jeu des puissances en dessous des cartes. L’Afrique, pour les autres, est une variable d’ajustement à maintenir dans un rôle congru.
Au même moment, l’Afrique est sous emprise des géants du Web désignés sous le nom de GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), parmi lesquels il faut aussi ajouter Microsoft, Twitter, Uber, Yahoo, Airbnb, Booking.com, LinkedIn, Meta, Netflix, Alibaba Group, Alphabet, etc. L’Afrique, dans cet univers du web, est utilisée, en conscience et subconscient, pour façonner ses avis et ses envies.
Sa jeunesse n’échappe pas à l’appel des sirènes du combat enivrant et sonore contre de vieilles puissances coloniales manifestement en déclin irréversible. Elle ne sait pas, cette jeunesse, que son combat est de faire face aux colons virtuels qui agissent dans le subconscient pour imposer un way of life nouveau. L’Afrique a sans doute intérêt à sortir de ce débat scotché sur le rétroviseur pour poser les questions essentielles de la stratégie d’indépendance progressive vis-à-vis des puissances, qui toutes sont dans la manipulation pour se servir du continent noir à la fois comme réserve et marché du monde.
Comment, sans emprise, asseoir le développement, la stabilité, la démocratie et les libertés, qui toutes devraient garantir la prospérité partagée ?
Cette question devrait pousser l’Afrique et ses dirigeants à revoir l’échéancier de l’Agenda 2063 avec, à notre humble avis, la mise en place des cinq (5) structures ci-dessous, qui devraient travailler rapidement, avec froideur et sans populisme béat, autour d’échéances et d’objectifs précis de mise en place d’une superpuissance africaine. L’Afrique, à travers les mécanismes de l’Union Africaine, doit :
1▪︎ Mettre sur pied, suivant un modèle de partenariat public-privé, une véritable banque souveraine africaine avec un actionnariat majoritairement africain. Cette banque devrait, dans les cinq prochaines années, être la première en termes de financement des États et des entreprises africaines. Il faut dépasser le fétichisme de la monnaie unique, qui devrait être un objectif ultime. Le plus important pour l’Afrique sera le financement de ses économies nationales à des conditions favorables.
2▪︎ Mettre en place une armée africaine par la contribution des États en effectifs et moyens, sans altérer les armées nationales. Cette armée africaine pourrait représenter entre 5 et 10 % en moyens et effectifs de chaque pays. Elle devrait avoir un commandement unifié avec (pourquoi pas ?) une base autonome dans chaque pays. Son rôle devra être axé sur la pacification et la protection endogène du continent.
3▪︎ Mettre en place un ministère africain chargé des relations avec le reste du monde, avec pour mission la prise de position africaine commune sur toutes les questions politiques, économiques, sécuritaires et sociales. En plus de la prise de positions communes, il faudra travailler à leur mise en œuvre, notamment pour appliquer au reste du monde une stratégie commune claire de réciprocité. Vis-à-vis du reste du monde, l’Afrique devrait parler vite et bien, d’une seule voix, afin de se faire respecter.
4▪︎ Transformer le secrétariat permanent de la ZLECAF en ministère continental chargé d’harmoniser les investissements essentiels, de nature à garantir les connectivités physiques, numériques et logistiques entre les États. Ce secrétariat pourra également définir et suivre la stratégie de transformation industrielle des matières premières africaines, sans oublier la supervision des actions d’intégration des économies africaines par une maîtrise endogène de toutes les chaînes logistiques.
5▪︎ Mettre en place un ministère africain en charge de la médiation, des libertés, de la démocratie et de la résolution préventive des conflits internes. Ce ministère sera l’avocat des peuples autour de principes universels. Il ne s’agira pas d’être le relais des positions conjoncturelles des puissances du reste du monde. Il s’agira, en totale liberté, d’être dans la prévention et le partage de bonnes pratiques, avec une réaffirmation de la souveraineté des peuples.
En définitive, avec la mise en place de ces cinq structures, sur la base d’objectifs et de moyens adossés à un agenda de réalisation clair, l’Afrique pourra accélérer les objectifs de l’Agenda 2063, sans remettre en cause l’immense travail fait par les pères fondateurs de l’OUA et de l’UA.
Il s’agira d’être dans le pragmatisme à travers une banque commune, une armée commune, une politique étrangère commune, des solutions logistiques communes, sans oublier un mécanisme commun de pacification et de protection des peuples.
Face au nouveau monde, l’Afrique devra vite s’adapter. Ce monde impitoyable, et certainement plus effroyable que les précédents, est déjà dans des formes de collision et de collusion incertaines, d’intérêts en roue libre, sur les autoroutes du numérique et de l’intelligence artificielle, qui sont les chevaux de Troie difficilement arrêtables des nouveaux maîtres politiques et économiques, qui prennent les autres comme de simples pions d’un échiquier.
Le nouveau monde, comme celui qui donna les deux grandes guerres, sera plus effroyable encore, avec les mêmes principes de déni sournois du droit, sous le couvert d’un universalisme extravagant à géométrie variable. Ce monde est — et sera toujours — dans l’ADN de la loi des plus forts, qui tous ont de l’Afrique un regard peu glorieux en trois prismes :
la pourvoyeuse de matières premières,
la consommatrice de produits importés,
la zone d’influence pour affaiblir l’adversaire du moment.
Face à ce regard condescendant, l’Afrique, sans être dans la dénonciation stérile, doit agir, s’adapter ou périr. S’adapter, c’est bâtir tout de suite, sans fanfaronnade, les piliers d’une superpuissance africaine libre vis-à-vis du reste du monde. Sans cette superpuissance libre, l’Afrique continuera d’être à la remorque du nouveau monde fou des GAFA, des nouveaux souverainistes naissants en Europe et en Amérique, et des faiseurs de guerres froides et chaudes.
L’Afrique ne devrait pas privilégier un remorquage vers des cadres abstraits, comme c’est le cas du Sud Global. Elle doit baser sa stratégie sur la géographie africaine avant de s’ouvrir aux autres, en privilégiant ses seuls intérêts.
La superpuissance africaine aura l’avantage comparatif de compter déjà sur plus de 1,5 milliard d’habitants — la population la plus jeune du monde — adossée à plus de 65 % des terres arables non cultivées de la planète et près de 30 % des réserves mondiales de pétrole, de gaz et de minéraux. Les richesses immenses du continent, berceau de l’humanité, constituent un enjeu majeur du nouveau monde, qui sera africain ou ne sera pas.
Tout dépendra de ce que les Africains actuels feront de l’Afrique dès maintenant.
Par Mamadou NDIONE
Économiste, écrivain
Maire de Diass (Sénégal)
Président du parti BEUG SENEGAL