Entre l’affirmation et la rétraction, une hypothèse crédible émerge : c’est que s’il ne connaissait pas tout, il en saurait au moins beaucoup. Dans une démocratie normale où existe une justice libre, l’ancien garde des sceaux serait au moins un témoin dans l’enquête sur la disparition des deux militaires (Sambou et Badji) qu’il inclurait ainsi dans le champ d’application d’une loi d’amnistie couvrant des délits et crimes de nature politique. Le lapsus évoqué ensuite pour se rétracter, venant d’un ancien ministre de la justice en poste durant les faits « incriminés », est en réalité un aveu. Non, ce n’est pas le subconscient qui a parlé ni l’inconscient; c’est bien la conscience, mais la mauvaise conscience. Pour paraphraser Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, les auteurs ou complices d’un crime n’auront jamais la conscience tranquille. L’excuse évoquée ensuite sous couvert d’une mauvaise expression et sur fond de supposée faute professionnelle de la journaliste (coupable du « délit de curieuse relance »), relève en fait d’un pur cynisme. Et c’est ce cynisme et cette étrange légèreté dans le traitement de l’horreur et de l’innommable qui nous ont gouvernés ces douze dernières années. Ne serait-ce que pour cela, le 24 mars 2024 aura été plus qu’une révolution, c’est une délivrance collective qui porte la main d’un Dieu qui aime encore les Sénégalais. Cette révolution devra rendre justice aux familles des deux officiers et de toutes les autres victimes, ou alors elle n’aura pas servi à grand-chose d’un point de vue purement symbolique. Le message symbolique qui passe par la justice sera : PLUS JAMAIS ÇA !!
Oui, la révolution entamée le 24 mars 2024 ne sera pas une réussite seulement parce qu’elle mettra fin à 64 ans du système néo-patrimonial renvoyant au « prebendalism », à la corruption, à la concussion, à la politique du ventre. Cette révolution sera vraiment une réussite lorsque dans ce pays, plus personne ne pensera à tuer pour conserver le pouvoir, parce que les coupables seront lourdement sanctionnés par une vraie justice rendue au nom du peuple pour soulager un tant soit peu la douleur des victimes. Cette révolution sera une réussite quand les piètres « carriéristes » prêts à tout pour réussir socialement comprendront que leurs préoccupations bassement matérielles ne valaient guère plus que la santé, l’intégrité physique et la vie de ceux qui faisaient obstacle à leurs jouissances terriennes qu’ils s’imaginaient éternelles. Cette révolution sera une réussite quand les partisans du moindre effort qui se bousculaient sur la fusée menant vers l’enrichissement illicite lorsqu’au même moment l’ascenseur social était en panne chronique depuis presque toujours, comprendront que leur vie d’en haut ne tenait qu’à l’effort pourtant mal rétribué des gens d’en bas qu’ils narguaient, méprisaient et écrasaient.
Les années socialistes furent injustes et dures pour les plus démunis; celles des libéraux de Wade catastrophiques en termes de gouvernance. Les 12 ans de Macky Sall auront plagié les mêmes maux que ceux des régimes précédents, mais en y rajoutant de façon volontaire et inexplicable la déraison, la méchanceté, le cynisme, la lâcheté, les meurtres, la froideur et le flegme condescendants, les contorsions faites au droit, la déchéance morale et les compromissions intellectuelles poussées à leur paroxysme, bref l’extrême violence d’un système clanique aux allures protéiformes qui s’épuise certes aujourd’hui, mais non sans résistance.
Ndiaga Loum, professeur titulaire, UQO