C’est vers les coups de 18h 30 qu’il a foulé le sol du groupe Emedia-invest. Habillé d’un tee-shirt beige, assorti d’un pantalon noir avec des chaussures basket, les cheveux bien soignés, une petite moustache. Kéba Biaye était accompagné de membres de son staff, notamment Hélène. Artiste, auteur, compositeur, calme et posé, ce chanteur non voyant vient de sortir son premier single intitulé «Silmakha». Une ode dédiée aux handicapés visuels. Dans cet entretien avec Bés bi, le natif de Colobane est revient sur son parcours, sa maladie, sa vie familiale et artistique.
Kéba Biaye, chanteur. Qui se cache derrière cette personne ?
Je me nomme Kéba Biaye, j’habite Colobane rue 41 X 39, un quartier où il fait bon vivre. Il y a une solidarité agissante, contrairement à ce que les gens pensent. J’ai fréquenté l’école primaire de Cité Niakh jusqu’en classe Cm2, à Saint-Louis. J’ai perdu très tôt ma mère, alors que j’avais juste 12 ans. C’est pour cela que je suis retourné à Dakar, à la Médina, à la Rue 49. Je suis de nature timide, car j’avais peur, mais comme tout enfant, je jouais avec mes camarades. J’adorais le football, c’est ma passion d’ailleurs. Après, j’ai fait le Cem Mame Thierno Birahim Mbacké en classe de 6e. J’ai fait une année, avant d’être exclu. Parce que nous aimons le football, on perturbait les classes en chantonnant. C’est comme ça que j’ai arrêté mes études. (…) Je faisais du commerce à Centenaire pendant un an et 6 mois. C’était une boutique de chaussures chinoise pour laquelle je faisais monter et descendre des cartons à longueur de journée. C’était dur. Je peux dire que c’est là que j’ai commencé à sentir des piquants dans mes yeux. Car il faisait chaud dans le magazine et je faisais face à un contraste entre lumière et pénombre. C’est pour- quoi j’ai d’ailleurs fini par arrêter ce boulot.
Vous venez de sortir fraichement un single «Silmakha» qui cartonne en ce moment et tourne en boucle sur les ondes. Est-ce une surprise ?
Moi-même cela m’a dépassé parce que depuis la sortie de ce single «Silmakha», les Sénégalais l’ont adopté à l’unanimité. Ce morceau, je l’ai chanté pour la première fois dans un mariage dans notre quartier, et tout le monde était en train de pleurer. C’est l’animateur qui m’a chuchoté à l’oreille que les gens sont en train de pleurer, j’ai arrêté par la suite. C’est peut-être grâce au thème, car je dis dans la chanson qu’il faut considérer les non- voyants, rien n’est plus dur de perdre la vue du jour au lendemain. Mais, je rends grâce à Dieu, c’est mon destin je l’accepte, même si c’est dur.
Comment vous est venue la composition de ce morceau ?
Par rapportà mon vécu, je voulais lancer un message à la population, surtout la jeunesse. C’est une manière de montrer que dans la vie rien n’est acquis, la vie ne tient qu’à un petit bout de fil. Nul ne peut échapper à son destin. Ce single est ma première production professionnelle, et j’ai eu un retour positif.
Comment vous est arrivé ce subit handicap ?
C’est en 2019. J’avais 25 ans à l’époque, aujourd’hui je suis dans mes 30 ans. On n’avait une place qu’on appelle «Café ngua keur Serigne ba». Et c’est toujours fréquenté par les habitants de Fass-Colobane. Un jour, vers 12, 13h, je suis passé pour acheter du café, j’avais remarqué que mes yeux étaient flous, je ne vois que de la couche blanche, mais je disais que ce n’est rien. Ce jour-là, j’avais des migraines, des maux de tête, je me suis accroupi sous un arbre un instant. Quelques minutes après, j’ai repris conscience quand j’ai ouvert mes yeux je ne voyais que du blanc. C’est depuis cette matinée de 2019 que j’ai perdu la faculté de mes yeux. Je ne comprenais rien du tout. C’était difficile. Des suggéré d’aller en Tunisie, car ils sont excellents, mais les moyens ne sont pas là.
Qu’est-ce qui vous est venu à l’esprit lorsque vous avez perdu la vue ?
J’ai pensé automatiquement aux amis que je fréquentais, nos moments de joie en jouant au football, j’ai fait tout ce qu’une per- sonne valide pouvait faire. Aujourd’hui, si quelqu’un ne m’aide pas je ne peux pas le faire seul. Je ne peux plus suivre un match de football et commenter, moi qui suis un passionné de foot. Quand il y a match, je prends ma radio pour écouter, mais Dieu l’a voulu ainsi.
Est-ce qu’on peut soigner cette cécité ?
Je suis parti à l’hôpital de Ouakam, le major m’a montré un tableau avec des chiffres et des lettres. Mais pratiquement, j’ai faussé presque toutes les réponses. Après, il m’a prescrit un médicament. Il nous a recommandé d’aller en urgence à l’hôpital Le Dantec et le médecin a tenté de nous rassurer en disant que ce n’est rien, il faut juste prendre les médicaments correctement. Après, on va passer à l’opération par laser. Mais c’était juste pour me rassurer et me redonner de l’espoir. Je demande partout com- ment on peut soigner mes yeux, mais on me dit tout le temps ils sont en train de faire des recherches, jus- qu’à présent rien. Dieu merci, il y a des personnes qui m’aident, le rappeur Zipkha, les membres de mon staff m’aident beau- coup pour mieux booster ma carrière musicale.
Comment votre femme l’a vécu ?
C’est difficile aussi pour elle car il y a des personnes animées de mauvaise foi qui tentent de la dissuader. Mais c’est une femme très courageuse, qui me soutient, et me motive. Dieu nous a gratifiés d’un garçon. Quand je prends mon enfant, je ne peux pas me déplacer loin avec lui, parfois il prend le téléphone de sa mère pour me montrer des choses que je ne peux pas voir. Si Dieu pouvait me donner quelques secondes pour que je puisse voir mon fils et redevenir aveugle…
Avez-vous un groupe ?
Oui, il s’appelle «Etoile brillante», mais les musiciens ne sont pas fixes. A part le bassiste, les autres sont des requins. Si nous avons un programme, je fais appelle à eux, après on les paye. C’est très dur côté fiances, je suis obligé de faire appel à un soutien avec des cartes «Je sou- tiens mon artiste» que je vends à 1000 FCFA. Cela m’aide à payer le transport des musiciens. Pour le moment, nous nous concentrons sur ce single pour sa promotion. J’ai mon compte YouTube pour pouvoir monétiser ce que je fais, car le digital aussi, c’est l’avenir. Je veux faire des évènements pour avoir des revenus et pou- voir poursuivre ma carrière musicale. Le projet, c’est aussi de faire un album, parce que mon crédo, c’est de composer des thèmes utiles.
Adama Aïdara KANTÉ