L’Arabie Saoudite a tenu en haleine le monde sportif avec la ruée des stars du football vers son championnat national, la Saudi Pro League, rebaptisée « Roshn Saudi League » depuis l’été dernier. Elle fait l’actualité de la presse spécialisée, des plateaux sportifs ainsi que des pages et sites web les plus suivis sans oublier les investisseurs sportifs qui en font leur sujet de discussion de tous les jours.
Or, un an derrière, le championnat saoudien était peu connu et rares étaient les inconditionnels du football qui pouvaient citer ne serait-ce un ou deux clubs saoudiens jusqu’à l’arrivée de Cristiano Ronaldo « en éclaireur » dans ce championnat. Et depuis le dernier mercato, la Saudi Pro League est devenue une destination irrésistible des stars du Football ou « travailleurs footballeurs ».
Pour la période 2022-2023, elle a accueilli le quintuple ballon d’or, les deux meilleurs joueurs du monde pour la saison 2022, Benzama et Sadio Mané classés respectivement 1er et 2ème au classement du Ballon d’Or 2022, le meilleur et le 3ème meilleur joueurs africains au classement CAF Awards 2022, quatre champions d’Afrique, un champion d’Angleterre, d’autres grands noms du football mondial tels que Ngolo Kanté, Riyad Mahrez, Kalidou Coulibaly, Jordan Henderson, Roberto Firmino, Edouard Mendy, le jeune Habib Diallo, pour ne citer que ceux-là.
Le comble c’est avec l’arrivée de la star brésilienne Neymar Junior en provenance de Paris Saint -Germain avec un méga salaire et des avantages qui « dépassent l’entendement ».
BBC estime le coût global des frais liés aux différents transferts de ces footballeurs étrangers à plus de 900 millions de dollars soit plus de 550 milliards de francs CFA. Ce qui classe la Saudi Pro League à la 2ème position en termes de dépenses de transfert derrière La Premier League anglais.
Ainsi, il serait intéressant de s’interroger sur les motivations des autorités saoudiennes à dépenser plusieurs millions d’euros pour débaucher des stars du football, les répercussions de ces transferts sur les joueurs et le championnat Saoudien mais aussi et surtout ce qu’en gagne l’Arabie Saoudite.
Avant cela, retenons que l’Arabie Saoudite officiellement connue sous l’appellation « Royaume d’Arabie Saoudite » est une monarchie islamique dirigée par la dynastie des Saoud, depuis sa création en 1932 par Abdelaziz ibn Saoud. Elle s’étend sur près de 2 250 000 km2 (soit 11 fois plus grand que le Sénégal). Elle est le plus grand pays du Moyen-Orient et le deuxième plus grand pays du monde arabe derrière l’Algérie. Sa population est estimée à 36 408 820 d’habitants (Banque mondiale, 2022), soit plus du double de la population du Sénégal. Sa capitale est Riyad, la plus grande ville.
Le Royaume abrite les deux plus grands lieux saints de l’Islam à savoir la Mosquée Al-Harâm (la Mosquée sacrée) à la Mecque et la Mosquée du Prophète Mouhamed (Paix et Salut sur Lui) à Médine.
L’actuel tenant du trône est Sa Majesté le Roi Salman Bin Abdulaziz Al Saoud, Gardien des Deux Lieux Saints (depuis 2015) et le Premier Ministre, Chef du Gouvernement est Son Altesse Royale le Prince héritier Mohammed Bin Salman Bin Abdulaziz Al-Saoud.
Sur le plan économique, l’Arabie Saoudite est la 17ème puissance mondiale avec un PIB de plus de mille (1 000) milliards de dollars (Banque mondiale, 2022) et constitue la plus grande économie du Moyen-Orient. Elle est le premier pays producteur de pétrole au monde et occupe la 8ème place en matière de production de gaz naturel.
Sur le plan sportif notamment le football masculin, l’Arabie Saoudite est classée 54ème sur les 208 sélections nationales (FIFA, 2023) et 5ème en Asie sur 54 pays. Cependant, il importe de rappeler que l’Arabie Saoudite, malgré le classement qui lui est attribué, est le seul pays qui avait battu l’Argentine de Lionnel Messi, équipe championne de la Coupe du Monde FIFA Qatar 2022, lors de la 22ème édition du plus prestigieux tournoi mondial. On pourrait d’ailleurs se demander si un tel exploit n’a pas contribué à aiguiser les appétits sportifs du royaume à relever le niveau de son football local et développer l’industrie du sport.
Selon la Fédération Internationale du Football – Histoire & Statistiques (IFFHS) qui a fait le classement des 80 meilleurs championnats nationaux de football masculin au monde pour l’année 2022, l’Arabie Saoudite occupe la 40ème place au niveau mondial et la 3ème en Asie derrière la Corée du Sud et le Japon qui occupent respectivement les 18ème et 30ème places. En 2021 déjà, l’Arabie Saoudite était classée 48ème au niveau mondial et a gagné 8 places en 2022, le Japon à la 34ème avec un gain de 4 places de même que la Corée du Sud qui était à la 22ème position.
En juin 2023, le site The Kick Algorithms a procédé à un classement des meilleurs championnats asiatiques à l’issue duquel l’Arabie Saoudite s’est hissée à la 1ère place. Elle détrône ainsi la Corée du Sud et le Japon qui se relayaient la première place depuis des dizaines d’années.
Un tel résultat ne surprend guère au regard des ambitions footballistiques affichées par le royaume saoudien qui veut passer de 120 millions d’euros que son championnat a générés en 2022 à plus de 2 milliards d’euros, soit 1 305 milliards de francs CFA à l’horizon 2030 et d’intégrer le top 10 des meilleurs championnats nationaux au monde.
Le recrutement du quintuple ballon d’or Cristiano Ronaldo en début 2023 en qualité de joueur mais aussi d’ambassadeur de la Saudi Pro League suivi de l’arrivée en masse d’autres stars du football, prouve à suffisance que les autorités saoudiennes ne se limitent pas à se fixer des objectifs mais se donnent les moyens de les atteindre. Elles bénéficient également du soutien de leurs recrues en provenance de l’Europe pour matérialiser leur vision du sport.
C’est dans ce cadre d’ailleurs que Cristiano Ronaldo, lors d’une récente conférence de presse, exprimait sa fierté de voir que le niveau du championnat saoudien est très élevé maintenant et souhaite qu’il devienne l’une des meilleures ligues dans les années à venir. Il estime d’ailleurs que le championnat saoudien a dépassé celui de son pays, le Portugal qui était pourtant classé 7ème par IFFHS sur le top 80 des meilleurs championnats au monde en 2022. Il serait ainsi intéressant de découvrir le classement de l’Arabie Saoudite en fin 2023 par les organismes habilités.
Dans tous les cas, force est d’admettre qu’entre 2022 et 2023, l’Arabie Saoudite est à jamais rentrée dans l’histoire du football mondial et s’est fait une place de choix dans les championnats mondiaux les plus convoités et les plus suivis.
Cette réussite est imputable à la volonté politique des autorités saoudiennes notamment du jeune leader, le Prince Héritier Mouhammed Bin Salman, Premier Ministre du Royaume d’Arabie Saoudite, qui a élaboré et est en train de mettre en œuvre la « Vision 2030 » qui vise globalement à moderniser et à diversifier l’économie saoudienne à l’horizon 2030.
Cette Vision devra permettre à l’Arabe Saoudite de mettre en œuvre des politiques sur mesure et des réformes appropriées qui pourront améliorer le climat des affaires, favoriser l’émergence de nouveaux secteurs porteurs, créer plus d’emplois pour les saoudiens, soutenir les entreprises nationales en mettant le focus sur les PME-PMI, inciter l’investissement privé et permettre à l’économie saoudienne d’être plus compétitive au niveau régional et international. La Vision 2030 fait également la promotion des exportations de produits et services non pétroliers. Elle veut accroître la participation des femmes à la population active, encourager le consommer local, promouvoir le « mieux d’Etat » et aller vers une privatisation progressive des actifs publics et l’amélioration de l’efficacité gouvernementale.
Pour matérialiser la Vision 2030, l’Arabie Saoudite s’appuie sur son Fonds Public d’Investissement (PIF) mis en place depuis 1971 et réformé en 2015 pour mieux répondre aux nouvelles aspirations du pays en matière de transformation économique, de progrès social, de diplomatie, de géopolitique, entre autres. Il a pour missions d’investir pour le bien-être social, de soutenir le développement économique et de diversifier les sources de revenus du Royaume d’Arabie Saoudite, entre autres.
Le PIF est classé 6ème plus grand fonds souverain (par actifs sous gestion) au monde en 2022 avec 700 milliards de dollars ce qui équivaut à environ 428 mille milliards de francs CFA, soit plus de 4 le PIB des 8 pays de l’UEMOA réunis (environ 172 milliards de dollars).
Selon les autorités saoudiennes, le PIF a créé 87 sociétés et 560 mille emplois. Il intervient dans 13 secteurs prioritaires dont l’immobilier, les télécommunications, le divertissement, les sports et les loisirs. C’est pour cela d’ailleurs que 3 projets phares de la Vision 2030 sont financés par le PIF à savoir la construction de la Cité futuriste Neom à 500 milliards de dollars, la ville des loisirs, des arts et des sports Qiddiya, un parc d’attractions d’exception au sud de la capitale et le projet touristique relatif à l’aménagement d’une station balnéaire de luxe dénommée Red Sea qui prévoit de transformer une cinquantaine d’îles au large de la côte ouest du pays en destination touristique haut de gamme.
Le PIF agit également comme une agence de participation pour le compte de l’État. Il détient des parts importantes dans de nombreuses sociétés publiques et privées, au niveau national comme international. D’ailleurs en 2021, il a acquis l’un des plus grands clubs d’Angleterre « Newcastle United » dont l’actuel Président est l’Administrateur général du PIF, Yasir Al Rumayyan.
Aussi, récemment le PIF est devenu propriétaire à 75% des quatre plus grands clubs d’Arabie Saoudite à savoir Al-Nassr FC, Al-Hilal SC, Al-Ahli SC et Al-Ittihad Club, le quartet qui a dépouillé les grands clubs d’Europe d’une bonne partie de leurs stars pour se solidifier et renforcer la Saoudi Pro League.
Cette grande offensive saoudienne lors du mercato 2022/2023 a ouvert un boulevard d’opportunités pour le Royaume d’Arabie Saoudite et lui a conféré des atouts réels en termes de relèvement du niveau et de la qualité de son championnat, de promotion touristique, de vitrine pour les transformations positives qui sont en train d’être opérées par le régime actuel, et j’en passe.
Aussi, la diffusion de la Saudi Pro League par Canal Plus Sports au même titre que les championnats européens dès cette année, les abonnements sur les pages officielles de la Saudi Pro League et des Clubs saoudiens qui ne cessent de grimper de jour en jour, la ruée des fans vers les points de vente des maillots des clubs d’accueil des nouvelles recrues ainsi que la grande couverture par la presse internationale des différents transferts ont donné un coup de projecteur inédit sur le Royaume d’Arabie Saoudite qui suscite la curiosité partout dans le monde.
En rapprochant toutes ces stars du football du plus grand marché mondial (l’Asie), les autorités saoudiennes contribuent ainsi à démocratiser le football de haut niveau et à le rendre plus accessible. Il est clair que plusieurs fans de Cristiano, de Neymar, de Benzema ou de Sadio Mané n’hésiteront pas à faire le déplacement pour regarder leurs stars jouer surtout que le prix à payer pour les regarder jouer est désormais à la portée de plusieurs consommateurs du marché asiatique.
Par ailleurs, ces footballeurs précurseurs du renouveau du championnat saoudien vont tirer leur épingle du jeu, en portant leur tenue de travailleurs contractuels, en ce sens qu’ils allient profit et passion. Ils ont le double avantage de jouer dans un championnat prestigieux et très juteux mais aussi d’être dans un pays qui tend vers la qualité et le grand luxe avec les mégaprojets de la Vision 2030.
De l’autre côté également, les joueurs évoluant dans la Saudi Pro League gagneront plus en technicité et en confiance mais aussi rentreront désormais dans le mercato du fait de la visibilité qu’ils ont à se frotter toutes les semaines à des joueurs de classe mondiale.
Aussi, cette allure qu’a pris la Saudi Pro League va impacter directement ou indirectement le quotidien des saoudiens dont 70% de la population est âgé de moins de 40 ans. Or, au-delà de son effet d’entrainement sur la vie économique d’un pays, le sport notamment le football a ce pouvoir magique de procurer des petits plaisirs et joies indescriptibles pouvant contribuer à changer l’humeur de tout un quartier, de toute une ville et de toute une nation. Elle peut également, dans une certaine mesure, impacter positivement ou négativement la perception du monde extérieur vis-à-vis d’un pays.
C’est d’ailleurs ce pouvoir magique du football et ses capacités à agir sur la sensibilité des humains ou à redorer l’image des pays qui fait que certains détracteurs de l’Arabie Saoudite qualifient de « sportswashing » les efforts immenses consentis par les autorités saoudiennes dans le domaine du sport et des loisirs. En effet, On parle de sportswashing quand un pays utilise le sport « pour détourner l’attention du public des questions relatives aux droits humains ».
Cependant, force est de constater que lorsque l’Arabie Saoudite rachetait le Newcastle United et le Qatar avait acquis le Paris Saint-Germain, les médias occidentaux ne parlaient pas de sportswashing mais plutôt de « soft power » c’est-à-dire « la capacité d’un Etat à exercer une influence sur la scène internationale ». Est-ce parce que les intérêts de l’Europe étaient bien sauvegardés ? On ne saurait le dire mais la coïncidence est troublante.
En définitive, retenons que cette grande offensive des autorités saoudiennes pour développer l’industrie du sport et des loisirs rentre dans sa stratégie globale de diversification de son économie qui dépend à 90% du pétrole et du gaz. Ce qui permettra au royaume d’éviter le syndrome hollandais ou encore les effets négatifs de la dépendance d’une économie sur une rente pétrolière.
En outre, au regard des percées du Royaume d’Arabie Saoudite dans le domaine du sport, le Sénégal gagnerait à étendre sa coopération bilatérale avec l’Arabie Saoudite au secteur des sports et loisirs. Ce qui permettrait de nouer des partenariats spécifiques avec les clubs et le secteur privé saoudiens en vue d’accroitre les investissements dans le sport et les activités connexes favorisant la formation dans les métiers du sport et le développement des pépinières, des académies de football, des infrastructures, etc. Le Sénégal pourra ainsi développer son championnat local et être un important pourvoyeur de talents aux championnats saoudiens et asiatiques mais aussi au marché mondial du sport.
Aussi, au regard du rôle pivot que joue le fonds souverain du Royaume d’Arabie Saoudite dans la transformation structurelle de son économie, il est recommandable que le Sénégal s’inspire de l’expérience du Fonds Public d’Investissement de l’Arabie Saoudite pour se doter d’un outil adapté et suffisamment efficace pour tirer meilleur profit de nos ressources pétrolières et gazières dont les premières retombées sont attendues dans les mois à venir.