Par un communiqué du service de presse, en date du 06 juillet, à l’intention du Maire de la Ville de Thiès du Sénégal souhaitant établir un jumelage avec la Ville de Sébastopol en Crimée qui serait actuellement occupée par l’État de Russie, l’ambassadeur de l’Ukraine au Sénégal a attiré l’attention de Monsieur Babacar Diop, Maire de la Cité des Rails sur les conséquences diplomatiques négatives que ce jumelage pourrait engendrer. Il y rappelle, dans son rôle, l’occupation de la Crimée par la Russie.
En réaction à ce communiqué, le Service de communication de la Ville de Thiès a dégagé sa responsabilité en rappelant une lettre que lui aurait envoyée le Ministère des Affaires Etrangères lui demandant de recevoir l’Ambassadeur de la Russie au Sénégal non sans rappeler la possibilité offerte par le code général des collectivités territoriales.
La lecture de ces échanges épistolaires par voie de presse nous pousse à partager quelques réflexions à travers ces lignes.
Oui, étant dans leur rôle, il est acceptable que les ambassadeurs prennent des initiatives au nom et pour le compte de leurs Etats respectifs dont ils veillent sur les intérêts au sein du pays où ils sont accrédités.
Oui la diplomatie est d’abord et avant une affaire de lettre, d’écrit au regard de son sens épistémologique – diploma- signifiant en grec lettre pliée en deux.
Oui la diplomatie prolongement, complément et suppôt de la politique étrangère d’un pays reste et demeure une chasse gardée des Etats, un domaine de souveraineté pour l’Etat.
Mais mon propos se situe à un autre niveau.
S’il est vrai que la diplomatie a toujours été une sphère d’exclusivité pour les États, il est difficile aujourd’hui de ne pas considérer, avec beaucoup d’espoir, la place importante qu’occupent les villes et leurs réseaux sur la scène internationale.
Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les jumelages sont célébrés entre villes compte non tenu des réalités diplomatiques au niveau des États.
Jean Pierre Elong Mbassi, Secrétaire Général de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLU-A), n’a jamais eu de réponse positive quand il demande si, une seule fois, une ville a-t-elle déclaré la guerre à une autre. Alors que les maires sont toujours présents sous la pluie de bombes et la tornade de missiles lancés de part et d’autre sur ordre des Chefs…d’État. Bravant les dangers au risque de leur vie, ils assurent la délivrance et l’offre de services essentiels au profit des populations qui ne voient personne d’autre que leurs autorités locales. Le jumelage de deux villes de pays, même en guerre, devrait être considéré sans arrière-pensée comme un levier de promotion de la paix, un outil de résolution des conflits en s’appuyant sur les valeurs d’humanisme, de solidarité, de paix que portent les citoyens dans leurs localités respectives. En cela il sera demandé, avec beaucoup d’humilité, à l’Ambassadeur de l’Ukraine de reconsidérer sa lettre… diplomatique.
La diplomatie territoriale enjambe les règles et préséances de la diplomatie des États. Elle l’humanise, la complète, la déverrouille. La dénoncer, c’est frapper un marteau sur cette pratique que tous les théoriciens et adeptes de la diplomatie territoriale considère comme la nouvelle clef de voûte des relations internationales.
Cependant force est de constater qu’une mauvaise compréhension et utilisation de la diplomatie territoriale peut, non seulement porter préjudice à l’élan des villes sur la scène internationale mais, aussi, contribuer à détériorer les rapports déjà exécrables entre pas mal d’Etats.
En fait depuis longtemps les collectivités territoriales ont reçu compétence dans la coopération et développent des actions extérieures à l’international.
La loi 2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités territoriales, en son article 19, dispose, sans ambages que » dans les conditions prévues par le présent code, les collectivités locales peuvent, dans le cadre de leurs compétences propres, entreprendre des actions de coopération qui donnent lieu à des conventions avec des collectivités locales de pays étrangers ou des organismes internationaux publics ou privés de développement »
Pour la manifestation de cette disposition, la collectivité territoriale, après avoir discuté avec l’autre collectivité partenaire sur les orientations de leur projet de coopération, adopte d’abord en conseil municipal ou départemental la délibération portant convention de partenariat. Le Maire, organe exécutif, n’a pas cette prérogative qui relève du conseil municipal.
Ensuite le projet de coopération doit porter sur un domaine qui relève des compétences de la collectivité territoriale. Le transport ferroviaire ne fait pas encore partie des compétences transférées aux collectivités territoriales.
Enfin la délibération est obligatoirement transmise au représentant de l’État (Préfet ou Sous-préfet) pour approbation. Cette approbation est préalable à toute exécution d’une convention de partenariat. Il est à déplorer l’absence de référentiel à la disposition des Représentants de l’État afin de pouvoir vérifier la conformité du projet de coopération d’avec la ligne diplomatique de l’État. L’ouverture d’un bureau dédié pour avis conforme serait d’une grande utilité pour l’accompagnement diplomatique de ces projets de coopération.
Dans l’esprit du législateur, le respect strict de ce processus est une garantie et une sécurité pour la réussite de projets de coopération initiés par les collectivités territoriales au Sénégal.
Ne pas respecter la procédure ainsi décrite rendrait nul l’acte supposé par le Maire de Thiès.
Sur un autre registre, plutôt que de tirer sur elles, il est souhaitable d’appréhender cette propension des autorités locales à chercher ailleurs, partout et par tout moyen des recettes pour pouvoir apporter des réponses adéquates aux nombreuses et complexes préoccupations de leurs territoires et de leurs habitants, sous l’angle de leur volonté de mobiliser des ressources substantielles par la coopération décentralisée. Non, les produits de coopération constituent l’une des trois sources de revenus des collectivités territoriales avec les recettes fiscales et les transferts étatiques qui permettent de financer le développement local au Sénégal.
Des dispositifs sont mis en place par certains pays.
La France et le Sénégal ont mis place un dispositif conjoint qui permet de d’accompagner, d’encadrer et de financer les projets de coopération entre collectivités françaises et sénégalaises.
A travers ce dispositif des infrastructures et services sociaux de base sont réalisés, des échanges de bonnes pratiques sont effectués, un appui technique et financier est apporté aux collectivités territoriales sénégalaises, des bourses de formations accordées aux personnels et acteurs territoriaux et surtout des relations entre citoyens français et sénégalais sont nouées dans la joie, la fraternité, la cordialité, la générosité, la solidarité, l’hospitalité, l’humanisme, l’élégance territoriales. Récemment, un groupe de jeunes volontaires français de la Ville de Compiègne (France) sont venus réhabiliter deux salles de classe dans la commune de Saly Portudal (Sénégal) au grand bonheur des élèves de l’école Saly Bambara.
De même, le Maroc et le Sénégal ont mis en place un autre dispositif conjoint à travers le Fonds Africain de Coopération Décentralisée International (FACDI) lancé en 2018 à Marrakech lors du 8ième Sommet AFRICITES qui regroupe tous les ans les collectivités territoriales africaines. A cette occasion dix villes marocaines ont signé des conventions de partenariat avec dix autres de l’Afrique sub-saharienne dont celles de Dakar et de Rufisque du Sénégal.
A travers ce FACDI, la Ville de Rufisque, en partenariat avec celle de Dakhla (Maroc), a bénéficié d’un financement d’un montant de 350 000 pour le réaménagement paysager du Jardin Public situé en face de l’hôtel de Ville sur le boulevard Maurice Gueye.
C’est pourquoi, si la Russie souhaite vraiment et objectivement promouvoir des partenariats et des coopérations entre collectivités territoriales sénégalaises et villes russes, il lui faut impérativement développer une stratégie de promotion et mettre en place un dispositif de financement et d’accompagnement de la coopération décentralisée connu de tous et soutenu par le Ministère des Affaires Etrangères et celui chargé des Collectivités Territoriales à l’instar de la France et du Maroc pour ne citer que ces deux pays.
Pour finir, à défaut d’un ministère de coopération décentralisée, une direction chargée du secteur comme la fameuse DIRCOD qui, impulsa, dès 2003 à Kolda, l’organisation des premières journées de la Coopération décentralisée et plus tard l’élaboration de guides de la Coopération décentralisée, serait appréciée par tous et éviterait pareilles situations.