Alors que le pays s’apprête à engager un nouveau cycle de concertations entre partis politiques et mouvements, centré sur la rationalisation de l’espace partisan, le financement public des partis ou encore les réformes électorales, il est légitime de saluer cette démarche de pacification démocratique. Le dialogue politique, lorsqu’il est sincère et inclusif, reste en effet « le plus civilisé des moyens pour harmoniser les désaccords » comme le soulignait Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU. Cependant, dans un contexte de profondes mutations sociales, économiques et géopolitiques, il est crucial de se poser une question fondamentale : peut-on réformer durablement le champ politique sans avoir d’abord défini le projet de société autour duquel il devrait s’ordonner ?
La société sénégalaise, à l’instar de nombreuses nations africaines, est aujourd’hui traversée par des transformations structurelles majeures. Le système éducatif est à un tournant, confronté à l’impératif d’intégrer les compétences numériques, l’intelligence artificielle et les nouveaux métiers. Le chômage des jeunes reste massif — 18,8 % selon la Banque mondiale en 2023 — malgré une vitalité entrepreneuriale remarquable. L’économie, encore trop dépendante des matières premières brutes (or, arachide, phosphate, pêche), peine à se diversifier et à monter en valeur ajoutée.
Dans ce contexte, le dialogue socio-économique devrait précéder — ou au moins accompagner — le dialogue politique, afin de définir collectivement les bases d’un nouveau contrat social. Il ne s’agit pas seulement de se pencher sur des indicateurs macroéconomiques, mais bien de réfléchir à un modèle de société fondé sur la justice sociale, la transformation locale des ressources, la valorisation du capital humain et la souveraineté économique.
Une exigence stratégique dans un monde en recomposition
Sur le plan international, le monde connaît une reconfiguration accélérée des équilibres géopolitiques. Le retour de la conflictualité entre grandes puissances — États-Unis, Chine, Russie —, les tensions en mer de Chine, la guerre en Ukraine, la crise au Proche-Orient, sans oublier les coups d’État et transitions militaires en Afrique de l’Ouest, montrent à quel point l’ordre mondial est en mutation.
Dans un récent rapport, le Forum Économique Mondial (Davos 2024) souligne que les prochaines années seront marquées par une forte instabilité économique, un recul de la coopération multilatérale et une compétition accrue pour les ressources stratégiques, notamment dans les domaines de l’énergie, des métaux rares et de l’agriculture. L’Afrique, avec ses richesses, attire à la fois convoitises et partenariats opportunistes. Si nous ne définissons pas nous-mêmes notre modèle de développement, d’autres le feront à notre place.
La transition énergétique, le basculement vers une économie numérique, la sécurité alimentaire et la souveraineté technologique doivent être au cœur d’un dialogue économique structurant, qui pose des choix collectifs sur les politiques industrielles, la formation professionnelle, la réforme foncière, l’accès à l’énergie ou encore l’intégration régionale (ZLECAf).
Donner un sens au politique par l’économie et le social
Un dialogue politique, pour être fécond et durable, doit s’inscrire dans un cadre plus large. À quoi sert-il de rationaliser les partis politiques si ceux-ci ne sont pas capables de proposer des visions économiques claires et cohérentes avec les réalités du pays ? Sans projet économique collectif, le champ politique reste prisonnier de luttes de pouvoir personnelles.
Il est temps de remettre l’économie et le social au cœur du débat national. Comme le disait John Rawls : « La justice est la première vertu des institutions sociales, comme la vérité est celle des systèmes de pensée. » La justice sociale, la redistribution équitable des fruits de la croissance, l’égalité des chances et la participation active des citoyens doivent être les piliers du nouveau contrat social à construire.
Ce dialogue ne doit pas être technocratique ou réservé à une élite. Il doit associer les collectivités territoriales, les organisations syndicales, les entreprises, les universitaires, les jeunes et les femmes. À défaut, nous risquons de reconduire des solutions superficielles à des problèmes profondément enracinés.
L’initiative du programme PASC avec « Le Dialogue Structuré » est un exemple de mécanisme de consultation innovant entre les différentes parties prenantes (OSC, syndicats, organisations de jeunes et de femmes, secteur privé, secteur informel, etc.) et l’Etat. Si le processus de consultation arrive à termes, il pourrait ressortir de fortes recommandations qui enrichiront forcément le dialogue des associations de partis et mouvements politiques. l abouti,
Réconcilier les Sénégalais entre eux, restaurer la confiance dans les institutions, promouvoir la stabilité, cela commence par définir ensemble ce que signifie vivre dignement dans le Sénégal du XXIe siècle. Ce n’est qu’à partir de ce socle partagé qu’un dialogue politique pourra véritablement conduire à un renouveau démocratique durable.
Cheikhou Oumar Sy
Ancien Député
Président de l’OSIDEA