Faire le ménage, nettoyer les écuries d’Augias. La sphère politique n’a pas toujours eu les mains propres. Les épisodes de coups de balai dont elle est remplie sont sa punition. En une génération, un quart de siècle, un triumvirat a été emporté par la bourrasque des alternances. Incarnés par Diouf, Wade puis Macky, ces régimes déchus avaient à leur tête des leaders dotés sans doute de superpouvoirs mais ils n’étaient en rien des supermans dont le rôle est de penser d’abord à la prochaine génération avant la prochaine élection. S’ils avaient fait ce qu’il fallait faire, en fin de mandat, ils n’auraient pas eu besoin de changer de pays parce qu’ils auront d’abord changé le pays. Le premier nommé a été critiqué pour son immobilisme. Le second a été généreux avec l’argent qui n’était pas le sien. Le troisième a trop misé sur les cache-misères. La pierre a été mieux traitée que les hommes en quelque sorte. Senghor aussi n’a pas eu la baraka. Des années de sécheresse ont anéanti sa politique à dominante culturelle. Ceux qu’il avait promus ont immédiatement effacé son souvenir. Tous ses objets qui traînent aujourd’hui dans l’Hexagone le sont parce qu’il a été poignardé dans le dos. Faire le dos rond mais savoir raison garder.
Gérer, c’est arbitrer
Les anciens présidents n’ont pas tout réussi mais n’ont pas échoué sur toute la ligne. Avec des origines immédiates et lointaines, la colère accumulée se déverse dans les urnes. En 2024 encore, le peuple souverain a dit ses quatre vérités. Le camp du pouvoir a été chassé dès le premier round comme un mal- propre. Un phénomène comme on en voit tous les 20 ans a donné une consigne et fait d’un autre moi un «roi». Il a suffi qu’il lève un petit doigt pour que le fruit mûr tombe tout seul. En effet, la crise était mûre. La débandade de la majorité représentée par un candidat fade a fait le reste. C’était encore du jamais vu d’assister à un tel manque de volonté de ce côté. Passer de l’autre côté de l’histoire. Changer de statut est une joie éphémère, une souffrance durable et surtout une immense responsabilité. Gérer, c’est arbitrer et prendre des mesures difficiles et finir par se rendre impopulaire. Les autres avaient tout essayé sans donner grosse satisfaction. Être un phénomène dans l’opposition ne garantit pas qu’on sera phénoménal dans le rôle du gestionnaire. Par les temps qui courent, la gestion de catastrophes est la règle. Sous l’orage, se poser ou reposer sur ses lauriers est l’exception.
Le calme olympien du Président
Continuité ou pas. Rupture ou non, le Sénégal ne sera pas du jour au lendemain un pays neuf. Il ne commence pas avec les nouveaux tenants du pouvoir. Il ne finira pas avec eux. Plein de sang-froid et de courtoisie républicaine, le Président Diomaye a admis l’évidence dans le message du 3 avril. Il peut faire quelque chose de son magistère mais il n’a pas de baguette magique. Peut-être du magnétisme et de l’exemplarité. Ce dont on manque le plus dans la société, c’est ce qu’il a en lui. Discipline et politesse. Rien que pour ça, il faut souhaiter que bien lui arrive. Mais ce dont il est urgent de se méfier, c’est l’addiction aux slogans qui ajoutent du malheur au monde. Qui peut dire ce qu’est le système ? Une histoire à dormir debout et avec laquelle il faut finir. Le mieux à faire est d’avoir un système de jeu qui règle les équations qui se posent. Être simple dans le jeu et aller à l’essentiel. Voilà tout. Vouloir réinventer la roue sera du temps perdu. Et il n’en reste plus beaucoup, même si l’on vient de commencer. Pareil pour les appels à candidatures. Dans l’esprit, c’est positif pour le mérite et la lutte contre le clientélisme. Mais là aussi, les procédures longues vont malmener la vitesse d’exécution. Il y aurait aussi tant à dire sur le vocable de Projet. Est-il approprié s’agissant d’un État qui n’est ni une entreprise ni une officine? Chaque mot est un préjugé mais celui-ci paraît assez faible et réducteur quand on le préfère à la stratégie et autres plans.
Maîtriser son destin, c’est maîtriser ses émotions…
À propos des lanceurs d’alerte, la même réticence subsiste. Imprudence. Boîte de Pandore. Ça pourrait mal finir. Le retour des listes noires comme on l’a connu dans l’histoire n’est pas souhaitable. Fatigués, les Sénégalais souhaitent en finir avec l’incertitude. Ce qu’ils aiment tant, c’est congédier ceux qui ne font rien de leur présidence. Ils aiment changer. Ils ont raison. Sans respiration, on ne vit pas. C’est un politologue qui a le mieux parlé du changement. Il disait que celui-ci «est une loi de la vie. Tout se fait et se défait constamment. Mais le changement véritable est maîtrisé et guidé». Avoir la maîtrise de son destin passe d’abord par maîtriser ses émotions, la communication, à s’entourer de bons conseillers qui aident à relooker les idées. Quand on tient les manettes, on ne peut être déraisonnable. Le calme olympien du nouveau Président sera très utile en ces temps de tempête.
Par Assane GUÈYE