L’art d’offrir une victoire gratuite sur un plateau d’or à son adversaire. En introduisant le projet de loi portant révision de la Constitution sans consensus préalable, le pouvoir a donné le bâton à la majorité parlementaire pour se faire battre. Il a donc trébuché par manque de méthode et de dialogue. Il faut d’ailleurs être particulièrement téméraire pour oser demander à des ennemis jurés de rendre un service qui ressemble à de la servitude. Le groupe des députés de BBY n’a pas eu totalement tort de refuser de faire ce qu’on pourrait appeler «le sale boulot». Il a même bien joué pour avoir laissé la vie sauve au Haut conseil et au Conseil économique où des camarades de parti sont massivement représentés. Le bloc ne s’est pas fissuré dans un hémicycle nouvellement décoré et plus beau à voir.
Le groupe majoritaire n’a pas pris le risque de s’aliéner des proches siégeant dans un contexte de recomposition et d’emballement. Les naufragés du 24 mars ne se sont pas transformés en naufrageurs et ont fait d’une pierre plusieurs coups. Ils prennent une petite revanche en infligeant un revers politique à ceux qui les avaient défaits par un coup KO. Aux camarades dont ils ont sauvé les emplois et les sièges, ils ont démontré de la franche camaraderie. Mais le fait le plus marquant à retenir est qu’il n’y a eu ni capitulation ni lâcheté de leur part. Ce sont des points précieux en direction des prochaines échéances. Il y a du mérite à ne pas ruser avec les principes.
Motion de censure bancale
Seulement, le groupe victorieux qui a fait capoter le projet de dissolution pourrait tomber dans les mêmes excès que le camp d’en face. Il a succombé à l’émotion en initiant une motion de censure bancale. Après avoir montré de la solidité, il fallait avoir le triomphe modeste, voire s’autocensurer pour éviter de donner le sentiment de pratiquer la politique de la terre brûlée. Vouloir faire tomber le gouvernement dans la foulée relève d’une jubilation enfantine. Et d’ailleurs, tout le mérite ne leur revient pas. Le rejet a bénéficié du soutien considérable d’un député de Wallu qui s’est fait porte-voix des transporteurs dépités par le nouveau régime. La fin de non-recevoir a profité d’un contexte où le pouvoir et plusieurs catégories socioprofessionnelles ne sont pas en odeur de sainteté. Il y a aussi que la seule et unique députée de Rewmi a pesé de tout son poids pour la censure de la copie de l’Exécutif. Quand le vote peut pencher d’un cheveu d’un côté ou de l’autre, chaque voix compte et vaut son pesant d’or. Enfin, la plénière de lundi, longue et interminable, a confirmé qu’on était au parlement. Et les parlementaires ont vocation à parler. Mais cette propension à trop parler et à manger le temps rappelle aussi qu’on est en pleine civilisation orale où la parole remplace l’action. L’action de censure qu’a voulu introduire la majorité parlementaire a été tuée dans l’œuf. L’Exécutif a trou- vé l’ingrédient redoutable pour couper l’herbe sous le pied à la nouvelle opposition «radicale». Il ne pouvait se payer le luxe de subir un double camouflet en quelques jours. Sur ce point, il n’y a pas eu de symbole d’amateurisme le concernant. De son côté, le groupe de Benno a intérêt à soigner davantage sa sortie. Celle-ci doit être digne et honorable. L’éviction des présidents du Hcct et du Cese ne fait pas honneur non plus aux excommuniés. Celui qui les avait placés à leur poste a été bougé. Ils doivent s’attendre aussi à bouger à tout moment. Au demeurant, ce n’est une mauvaise nouvelle en soi. Ces dirigeants d’institutions figurent parmi les plus inaccessibles qui soient.
Par Assane GUÈYE