L’entretien accordé par le président de la République à la presse pour expliquer ce qu’il compte faire pour les prochaines semaines ou les prochains mois, n’a pas permis au chef de l’Etat de convaincre sur les bienfondés de cette crise qu’il évoque pour plaider son devoir de protéger les institutions ou tout au moins, à les faire bien fonctionner.
Que retenir de cet entretien ?
Que le 2 avril 2024, son mandat prend fin n’est vraiment pas une information à laquelle les Sénégalais attendaient du président de la République. Tous, sans exception, le savent dès lors que son mandat ayant débuté le 2 avril 2019, il prend fin cinq ans plus tard jour pour jour.
À quelle date sera organisée l’élection présidentielle ? Son silence sur ce point précis est forcément intrigant. Le président de la République a l’obligation d’organiser sa succession. La constitution l’y oblige. Cette élection doit se tenir dans une période que la constitution précise au jour près. Alors pour quoi, après la décision du Conseil constitutionnel listant les candidats à l’élection présidentielle, il a eu la hardiesse d’annuler le décret convoquant le corps électoral ? Son plaidoyer pro domo porté sur un conflit des institutions n’a jamais existé. Il le sait. Tout le monde le sait. Arguties politiciennes, certainement ! Mais le conseil le lui a rappelé de manière on ne peut plus clairement en déclarant inconstitutionnelle la proposition de loi votée à l’Assemblée et, suprême camouflet, en annulant le décret mal aberrant parce que mal visé qui arrêtait de force la campagne électorale.
Le président de la République a l’obligation, en sa qualité de « gardien de la constitution », de savoir que la constitution l’oblige à organiser une élection présidentielle pour élire son successeur. En ne le faisant pas, il commet un acte gravissime. On devra bien qualifier ce refus d’agir, d’organiser sa succession. Et il le faudra bien parce que c’est un cas que la constitution n’a pas prévu. En prenant acte de la décision du Conseil constitutionnel et à attendre plusieurs jours pour annoncer à la télévision qu’il compte organiser un dialogue ou une concertation sur la date de l’élection, le président poursuit ce que les administrations du ministère de l’Intérieur, certainement malgré elles, avaient fait en refusant de donner suite à deux décisions de justice. Mais là, c’est autrement plus grave parce que la décision concernée par cette défiance vient du juge constitutionnel. Et c’est lui-même, président de la République qui commet cet acte gravissime de remise en cause d’une décision du Conseil constitutionnel.
Sur l’autre annonce tout aussi surprenante venant du président la République qui agite l’article 36 pour « rassurer » qu’il n’y aura pas de vacance de pouvoir, que comprendre ? Très simplement que le président Sall veut obtenir ce que le Conseil constitutionnel lui a refusé avec sa décision du 15 février 2024 c’est-à-dire jouir d’une prolongation de son mandat par le biais de l’article 36 de la constitution ? Ce qui est sidérant, le Conseil constitutionnel le lui ayant déjà signifié vertement dans une décision claire et précise pourquoi vouloir passer par un trou de souris ? L’article 36 agité par lui-même n’est pas destiné pour une quelconque transition ou une prolongation de mandat ou pour éviter une vacance de pouvoir. Cette disposition régit une période très courte qui dura en général quelques jours entre l’élection du président de la République acté par le conseil constitutionnel qui proclame les résultats définitifs et annonce « Monsieur (ou Madame) un tel(le) est élu(e)(e) président(e) de la République » et l’installation de celui-ci (serment passation et port des insignes auquel procède le Conseil de l’Ordre). Ainsi, durant cette période, le pays a deux présidents de la République : le sortant et l’entrant. Quand Wade avait été élu le 19 mars 2000, Diouf est resté en fonction jusqu’à l’installation de Wade. Il en fut de même entre Wade et Sall. Aussi, faire accroire que l’article 36 peut permettre au président d’allonger son mandat est une interprétation grossièrement fausse de cette disposition. Si l’élection présidentielle ne se tient pas avant la fin du mandat, le 2 avril 2024, il y aura vacance du pouvoir. Et c’est incontestable. Dans ce cas, le président de l’Assemblée nationale aura l’obligation de le faire constater par le Conseil constitutionnel qui décidera de ce qu’il convient de faire : installer le président de l’Assemblée nationale et faire appliquer sa décision du 15 février et du 20 janvier qui demeurent dans l’ordonnancement juridique.
Issa Sall
Journaliste