C’est avec stupeur et indignation que nous vivons le jour le plus sombre de l’histoire politique et nationale du Sénégal. Ce jour décrit, s’il en était encore besoin, le rapport distancié et conflictuel que le pouvoir entretient avec le peuple ces dernières années. Si dans une démocratie, le pouvoir appartient au Peuple, le Président de la République sortant, en abrogeant le décret 2023-2283 du 29 novembre 2023, portant convocation du corps électoral et l’Assemblée Nationale, à travers la proposition de loi prolongeant le mandat de ce même Président de 6 mois, viennent de rompre le pacte républicain et le contrat de confiance qui fondent la légitimité du pouvoir. Cette situation plonge les citoyens dans des inquiétudes et incertitudes.
Une fausse crise institutionnelle ne saurait justifier l’annulation des élections présidentielles du 25 février 2024. Une telle décision vient exacerber une vraie crise sociétale que l’on peine à désamorcer depuis 2021. Ce qui se joue au Sénégal actuellement n’est ni une affaire de juristes, ni une affaire de partis politiques ! Au-delà de l’illégalité et des manœuvres politiques visant l’annulation de l’élection présidentielle et la prolongation du mandat du Président de la République qui constituent une menace pour la cohésion sociale et le vivre ensemble, cette situation fragilise davantage la place du citoyen dans son rapport aux institutions et à la Nation.
Le citoyen a été spolié de son droit élémentaire à choisir, au moment approprié, celui ou celle à qui il confiera la gestion des affaires publiques et qui devra, dans la plus grande des lucidités, décider avec lui et pour lui. Cette tentative de confiscation du pouvoir finira d’installer la royauté où le souverain aurait droit de vie et de mort sur ses sujets. Or, le citoyen n’est pas un sujet !
Ce manque de respect et de considération du citoyen est flagrante : les universités, lieu de savoir et de construction collective de la citoyenneté, sont fermées, toutes les voix discordantes sont matées, le prix des denrées de première nécessité flambe, les dépenses de prestiges interrogent la pertinence et l’opportunité des actions posées, quand la débandade des jeunes est constatée. On en viendrait même à supposer que le départ massif de jeunes dans des embarcations de fortune serait orchestré pour qu’il n’y ait personne pour porter la voix et travailler à une restauration de la démocratie.
La restriction des données mobiles limite sérieusement le doit à l’information, la possibilité de communiquer (indépendamment de la possibilité de s’organiser pour des manifestations), de travailler et d’exercer librement une activité économique. Cette restriction, une fois de plus, représente un manque à gagner important et une entrave aux libertés individuelles et collectives.
Les grandes douleurs sont silencieuses. Ce murmure est pour nous l’occasion de rappeler l’essentiel et l’obligation que nous avons de préserver l’unité et la cohésion sociale. Cette décision d’annulation et de proposition de loi inique sonne comme une claque en pleine figure. Par conséquent, que les citoyens reprennent leur place et leur rôle au nom de la liberté et de la justice sociale et pour notre République, le Sénégal.
Le mandat du Président de la République n’appartient ni au Président, ni à l’Assemblée Nationale, mais au peuple souverain !
Vive le peuple sénégalais, vive le Sénégal
Ziguinchor, le 5 février 2024
Pr Fatoumata HANE, Socio-anthropologue, Université Assane SECK de Ziguinchor Pr Jean Alain GOUDIABY, Sociologue, Université Assane SECK de Ziguinchor