Lancée en grande pompe le 30 novembre dernier à Dubaï et en présence de nombreux chefs d’États et gouvernements, l’atterrissage de la COP 28 s’annonce mouvementé sur la piste finale. Sur la table, dans les coulisses, la fracture reste énorme entre les pays qui veulent fermer définitivement les portes des énergies fossiles et d’autres qui réclament du temps. Face à ce bras de fer, le Secrétaire général des Nations-Unies est monté au front pour mettre la pression sur les négociateurs. Mais l’opposition de certains dont le Sénégal sur l’épineuse question semble porter ses fruits. Le mot » sortie » pourrait sauter du texte final au profit de réduction.
Dans ce dernier virage, chaque détail compte. Même le décor des prises de parole est soigné à la lettre. Celui de la déclaration du Secrétaire général des Nations-Unies l’est encore plus. La preuve : alors que la presse mondiale a pris de l’avance sur l’heure annoncée ( 11 H 45 heure locale à Dubaï), une femme du protocole d’António Guterres s’agite. Au bout de quelques minutes d’échanges avec un agent de la sécurité, elle fait enlever le drapeau des Émirats arabes unis, placé derrière le pupitre. Il est remplacé par celui de la COP 28 en vert et au milieu on peut lire « COP 28 UAE » écrit en blanc.
Sur scène également, les couleurs des Nations-Unies sont bien visibles. Le fait peut sembler banal, mais il est important. L’objectif du chef de l’ONU est de s’offrir une tribune neutre pour parler de l’urgence climatique. D’emblée, il rappelle deux fronts à gagner pour limiter le réchauffement climatique à 1.5 degrés Celsius tel que prévu dans l’accord de Paris sur le climat. Il s’agit de la réduction des émissions fossiles et de la justice climatique. Pour se faire, le diplomate a demandé aux négociateurs de faire preuve de « bonne foi et de flexibilité pour la sortie de toutes les énergies fossiles ». Un appel que certains pays auront du mal à attendre. Des pays qui maintiennent leur position sur la question. C’est le cas du Sénégal.
Baba Dramé, Directeur de l’Environnement et des Établissements Classés : « la question de la transition énergétique, est une question de survie économique »
Baba Dramé n’y va pas par quatre chemins. Selon lui, le groupe des pays les moins avancés dont le Sénégal assure la présidence « ne peut pas accepter que la transition énergétique soit focalisée seulement sur les énergies fossiles. ». Une posture que partage l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) informe le membre officiel de la délégation sénégalaise. Baba Dramé ajoute que «c’est une réaction normale car les pays développés doivent respecter le principe d’équité». Autrement dit, ces pays doivent sortir dans « un délai précoce raisonnable des énergies fossiles et les autres comme le Sénégal dans un horizon plus éloigné ». Et ce pour leur permettre de mettre sur pied une politique de transition énergétique pour tourner le dos aux fossiles progressivement.
« Personne n’a dit que des pays comme le Sénégal sortent du jour au lendemain des énergies fossiles », a réagi sur ce bras Romain Loualalen. Le spécialiste des politiques climatiques à Oil Change International dénonce la matière dont cette question est traitée dans les négociations. Il demande aux pays industrialisés de sortir des « fossiles d’abord avant de l’exiger et de mettre sur la table de l’argent pour permettre aux autres de faire la transition vers les énergies propres ». Pourtant, Romain Loualalen parle d’un combat collectif à mener pour sauver le climat et refuse le statu quo. S’exprimant sur le perron du centre des médias, il affirme que la mouture du texte final posée sur la table de la COP 28, ne mentionne pas une sortie des énergies fossiles.
Vers un changement de ton et de Cap ?
« Actuellement, on est train d’adapter un langage pour respecter le principe d’équité ». La phrase lâchée un peu plus tôt par le Directeur de l’Environnement et des Établissements Classés a annoncé la couleur sans doute de la déclaration finale et principalement sur les énergies fossiles. Un changement de ton et de Cap qui s’est confirmé par la suite. D’après Romain Loualalen, le texte présenté aux pays ne parle pas de « sortie », mais plutôt de « réduction ». Il ne cache pas sa déception et s’empresse de préciser que les lignes peuvent encore bougées. D’après le spécialiste des politiques climatiques à Oil Change International, « il se pourrait que des pays s’y opposent encore et réclament une sortie ». Il pense que la position et pression d’un pays comme l’Arabie Saoudite ont pesé sur la balance des négociations sur les énergies fossiles. Mais rien n’est encore gagné d’avance. En attendant la déclaration finale, la fumée de la discorde provenant du charbon, du pétrole et du gaz continue de planer sur les négociations à Dubaï.
Pape Ibrahima NDIAYE (Envoyé spécial à Dubaï)