«La cote d’un artiste est aussi fonction du lieu où il est exposé», dit la formule. L’intellectuel fait partie du gratin de la société. Ce sont donc des artistes. Ils n’ont pas le droit de mettre le doigt n’importe où ni de signer n’importe quelle feuille volante. Pour tout ce qui nous arrive, il est vrai, la lumière d’un phare aide à retrouver le chemin pour qu’on ne soit pas des gens de mille chemins au gré du vent. Le besoin se fait toujours sentir d’avoir sa grille de lecture. De voir comment il manie avec dextérité les nouveaux concepts face à l’émergence des quiproquos et des platitudes. En lui manquant de respect, on tombe pratiquement dans le nihilisme qui dévalorise toutes les valeurs. L’intellectuel a bien vocation à prendre position dans le sens qu’il souhaite. L’intolérance est de le traiter de tous les noms d’oiseaux. L’intello est à l’évidence celui qui utilise le mieux ses neurones de bon sens. Il peut viser juste ou passer complètement à côté de la plaque. C’est son droit le plus absolu de se tromper. Car c’est en se trompant qu’on a conscience d’être en vie.
Dans sa pétition, la coalition sénégalaise des défenseurs des droits humains a quelque peu raté sa sortie pour avoir été trop aspirée par la politique politicienne. S’il est un supplément d’âme et d’humanité de souhaiter le vent de la liberté pour un détenu pas comme les autres, les pétitionnaires trébuchent aussi en insinuant un moratoire sur la séparation des pouvoirs. Si nous-mêmes continuons à penser que sa place n’est pas en prison, il n’en reste pas moins qu’il est un justiciable comme tous les autres pas au-dessus des lois. Il faut donc laisser la justice suivre son cours. Que l’on soit d’accord ou pas avec la façon dont elle est distribuée. La pétition a oublié de demander au concerné qu’il mette fin à sa grève de la faim. Quand elle va trop loin, c’est périlleux. Manger est un acte biologique.
Les quelque 140 personnalités ont aussi suggéré l’exhumation de la formation politique les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). Si les auteurs de la pétition franchissent un tel rubicon, c’est peut-être qu’ils n’ont aucun grief à l’encontre de Pastef coupable par contre, selon le ministre de l’Intérieur, d’un «sérieux et permanent manquement aux obligations des partis politiques». Si le même ministère régalien qui lui a délivré un récépissé le 6 février 2015 en arrive à décider de son retrait pur et simple, c’est sans doute qu’il doit être en possession de données et d’informations que le vulgum pecus n’a pas. Il peut s’agir aussi d’une logique d’épuration. Qui sait ? Mais chacun à sa place et les vaches seront bien gardées. C’est ça la grande prudence.
Un intello n’est pas un influenceur
La faiblesse de la démarche de ces intellos, sans doute pas autoproclamés, est qu’ils sont emportés par l’écume des vagues. Le superfétatoire plus que l’essentiel. Un intellectuel est par essence celui dont le cerveau a moins de plaies que le commun des mortels. Son ascèse est de précéder le mouvement au lieu de le suivre. Personne ne lui pardonne la turpitude de lâcher la proie pour l’ombre. Il est attendu de lui qu’il anticipe et explique par exemple le pogrom des jeunes africains sur fond d’émigration clandestine. L’intello avec ou sans lunettes doit pouvoir appréhender pourquoi des cinglés fomentent aussi facilement des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest. C’est ça le véritable précipice démocratique.
Le rôle d’un cénacle est en particulier de baliser le terrain de l’émerveillement, la soif de connaissance. La véritable cerise sur le gâteau. L’honneur de celui qui prétend être un intellectuel en fin de compte est de donner envie au plus grand nombre de se cultiver, de s’améliorer, de se transformer. La connaissance et le bien-être vont toujours de pair. Au fond, l’accoucheur d’esprit et d’idées cherche toujours à se placer au-dessus de la mêlée pour ne pas s’emmêler les pinceaux. C’est uniquement en fréquentant le sommet des collines qu’il s’élève et prend à son compte la maïeutique socratique. C’est le même philosophe qui disait préférer subir l’injustice que la commettre. Un intellectuel ne commet une faute en se comportant comme un influenceur avec ses sautes d’humeur. Il prend le risque d’être sous influence et pire de perdre toute crédibilité.