Dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 15 février dernier on pouvait lire dans le Considérant 20 qui dit que : « considérant que le Conseil constitutionnel, constatant l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue, invite les autorités compétentes à la tenir, dans les meilleurs délais ». Invité de l’émission Jury du Dimanche, une question a été posée au Professeur Ameth Ndiaye, Maître de conférences, titulaire (CAMES) en droit public à l’Ucad de savoir : « quand le Conseil dit dans les meilleurs délais, cela veut dire quoi ? ». Pour répondre à cette interrogation, il a rétorqué que : « c’est là que commence la grimace. C’est là que le Conseil commence à rebrousser chemin et à ramer à contre-courant. Le Conseil, jusque-là, était dans des habits parfaits. Et arrivé face à l’une des questions les plus décisives et les plus importantes, on a l’impression que le Conseil constitutionnel se dérobe. Parce que demander aux autorités compétentes d’organiser dans les meilleurs délais l’élection présidentielle, c’est nous replonger dans des interrogations, des doutes, des incompréhensions mais d’incertitudes. Parce que là, il est important que les autorités compétentes s’organisent dans les meilleurs délais. Moi, je dis que le Conseil a délimité le périmètre d’action du président de la République pour lui dire, attention, la durée du mandat du président de la République est fixée à 5 ans. Vous arrivez au terme de ce mandat-là le 2 avril 2024. Et donc, tout ce qui va se passer à partir du 3 avril va générer des difficultés. Et donc, le Conseil invite le président de la République à presser le pas. Et lui dit, trouvez les ressources avec toutes les autorités compétentes, pour que cette rencontre entre des candidats et leur peuple puisse se tenir dans des délais très raisonnables, c’est-à-dire avant le 2 avril 2024. Mais moi, je fais partie de l’école qui pense que le Conseil constitutionnel, à travers ses décisions, avait la possibilité de marquer durablement les esprits et le temps. En faisant quoi ? Il aurait dû s’arroger la compétence de mettre en place un calendrier électoral clairement défini ».
« Est-ce que c’est dans ses prérogatives ? ». « Ah oui ! La preuve ? Il le dit même dans la décision : ni l’Assemblée nationale, ni le président de la République ne peuvent reporter une élection présidentielle. Et en cas de difficulté, seul le Conseil constitutionnel a compétence pour réaménager une nouvelle date pour l’élection. Et donc, quand on se base sur les articles 29-30, il est possible de fonder la compétence des juges constitutionnels. Il le peut et il le doit. Et mieux, pour illustrer mon propos, certainement, nous sommes tous d’accord que l’élection présidentielle, ne saurait être objectivement et subjectivement reportée. Mais, combien de fois dans ce pays, on a touché aux élections législatives ou locales ? Et pourtant, même dans ce cas de figure, je vais convoquer deux décisions qui règlent tous les problèmes. Il y a une décision, mais tout simplement du 16 juillet 2017, combinée à une autre, qui est la décision du 28 juillet 2017 (…) », a-t-il expliqué. « Donc le Conseil constitutionnel n’est pas allé au bout de sa logique ? », lui a-t-on encore demandé. Il répond : « loin de là. Moi, je dirais qu’il est à mi-chemin. Mais ce qui est formidable, c’est qu’on a des acquis, et on s’y agrippe. Mais maintenant, comme je dis, il y a des zones d’ombre. Le président de la République a sorti un communiqué pour dire qu’il compte exécuter pleinement la décision du Conseil. Les vertus de l’article, ou la rigueur des dispositions de l’article 92, nous les acceptons. La loi est dure, mais c’est la loi. C’est ce que semble nous dire le président de la République. Mais avec un communiqué élastique, qui fait que tout est possible à l’intérieur de ce communiqué mais assez précis quand même. »
Par ailleurs, si le président de l’Assemblée nationale, qui doit saisir le Conseil constitutionnel pour lui dire « qu’on est le 2 avril, il n’y a pas d’élection, il n’y a pas de nouveau président, je dois remplacer le président sortant. S’il ne le fait pas, qu’est-ce qu’il va se passer ? », le Professeur Ameth Ndiaye, maître de conférences, titulaire (CAMES) en droit public / Ucad pense que : « ce qui va se passer, c’est que le Conseil constitutionnel ne peut pas s’ébranler de son propre mouvement et de sa propre énergie. Il ne peut pas venir dire, voilà, le pouvoir est vacant, à moins que dans la décision rendue, mais qu’il nous édifie clairement sur cette possibilité pour dire, attention, monsieur le président, au-delà du 2 avril, vous êtes dans une durée illégale de votre mandat et cela aura comme conséquence immédiate la constatation de la vacance de la présidence de la République. Ça aurait été formidable, ça aurait été téméraire, et ça aurait été justifié et justifiable. Mais maintenant, de ce point de vue-là, le Conseil constitutionnel n’a rien dit. Il n’a pas émis de calendrier électoral précis. Et quand on va dans le code électoral même, lorsque les candidats, retenus sur la liste du Conseil constitutionnel, lorsque cette liste-là est affichée, ces candidats-là ont un délai de 48 heures pour saisir le président de la République. Et là, la Constitution dit, au président de la République, vous devez statuer sans délai. Ça veut dire en droit statuer sans délai, c’est presque statuer demain après-demain, en tout cas dans les 3, 4, 5 jours à venir. Sans délai, c’est plus précis que dans les meilleurs délais ».
Cheikh Moussa SARR et Doudou DIALLO (Photo)