La démocratie sénégalaise a plié mais n’a pas rompu ; ce, grâce aux forces vives du pays qui, dans leur diversité, ont fait bloc pour barrer la route à la tentative indécente de reporter l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. Le calendrier a été perturbé mais le plus important a été préservé pour le moment : le respect de la volonté des citoyens. Rarement une initiative a été aussi impopulaire. Le président s’est retrouvé seul contre tous, aussi bien à l‘intérieur qu’à l’extérieur du pays.
En annulant le décret et en abrogeant la loi sur le report, le Conseil constitutionnel (CC) fait d’une pierre plusieurs coups : il redore son blason en restaurant l’autorité de la constitution, exauce le vœu de la majorité des Sénégalais et tend une bouée de sauvetage au Président Macky Sall.
Il faut se féliciter que le président ait saisi la perche pour éviter le pire, pour le pays et pour lui-même, car nombreux sont les leaders politiques africains qui persistent dans la dérive, souvent au prix de centaines de vies humaines. Malheureusement, pour arriver à cette sortie de crise, il a fallu payer un lourd tribut : en vingt-quatre heures, trois jeunes Sénégalais ont trouvé la mort. Nous nous inclinons devant leur mémoire.
A présent, il faut aller de l’avant, en prenant des mesures lucides. La première chose est d’arrêter le débat sémantique byzantin : dans le contexte actuel, les notions de «dialogue national», «concertations» et «élections inclusives» sonnent comme des slogans creux, des anachronismes.
Où en sommes-nous ?
Le CC a fixé une date butoir : les conditions doivent être réunies afin que le président Macky Sall passe la main le 02 avril 2024, à son successeur élu. Pour respecter cette décision qui relève de la constitution, l’élection doit se tenir au plus tard le dimanche 03 mars 2024. En effet, selon l’article 31, «Le scrutin pour l’élection du Président de la République a lieu quarante-cinq jours francs au plus et trente jours francs au moins avant la date de l’expiration du mandat du Président de la République en fonction». Ici, en l’occurrence, la durée minimale requise (les 30 jours) correspond à la période du 03 mars au 02 avril 2024.
Avec des termes aussi clairs, il s’agit de retenir la date et de donner instruction aux structures compétentes pour que le travail soit fait : Ministère de l’Intérieur, DGE, CENA, administration territoriale, forces de défense et de sécurité ; en somme, les services techniques appropriés. Il n’y a plus de place pour des conciliabules entre politiciens. D’autant plus le processus était déjà dans sa phase ultime avant d’être bloqué à quelques heures du début de la campagne électorale.
Les candidatures ne peuvent être que celles validées par le CC en date du 20 janvier 2024. Même si, de l’aveu général, il y a eu beaucoup de manquements dans la procédure de contrôle et de validation des candidatures, l’on ne peut raisonnablement pas interrompre le match et le renvoyer sous prétexte que l’arbitre a commis des erreurs, quelle que soit leur gravité. Il faut prendre bonne note pour éviter l’ultérieure récidive.
Toutefois, le principal ainsi exposé ne doit pas faire perdre de vue le secondaire, en raison du caractère sérieux de celui-ci.
D’abord, il y a les graves accusations que le PDS, soutenu maladroitement par Benno Bokk Yakaar, a portées contre le PM Amadou Bâ et deux membres du CC. L’enquête doit aller jusqu’au bout afin d’identifier les vrais coupables, entre les accusateurs et les accusés. En attendant, les personnes incriminées sont présumées innocentes et doivent continuer à faire leur travail. Dissoudre le CC ou toute autre juridiction à chaque fois que quelqu’un accuse leurs membres de quelque péché équivaudrait à placer une arme dangereuse dans les mains de n’importe qui.
Le deuxième point qui mérite une attention particulière est le parjure relatif à la question de la nationalité exclusive. La faute est grave : dire des contre-vérités de manière volontaire à des gens dont vous sollicitez la confiance est injustifiable. La déclaration sur l’honneur a montré ses limites. A l’heure du bilan, il faudra trouver des alternatives. En attendant, j’exhorte Mme Vardini à retirer elle-même sa candidature et à faire face à la justice, pour laver son honneur si elle est innocente ou subir la sanction le cas échéant. Par ailleurs, j’invite la société civile à demander aux dix-neuf candidats restants de renouveler publiquement leur serment qu’ils sont effectivement de nationalité exclusivement sénégalaise.
Enfin, le dernier point est relatif à l’idée agitée d’une amnistie générale qui couvrirait tous les faits liés aux événements de mars 2021 et juin 2023. Je me félicite de constater qu’une telle proposition n’a pas prospéré. Des actes d’une extrême gravité ont été posés au cours desdits événements. De nombreux morts ont été enregistrés. Que dirait-on aux parents des deux sœurs brûlées vives dans le bus Tata à Yarakh ? Comment leur expliquer qu’au nom d’une «paix des braves» entre adversaires politiques, il a été décidé de mettre la mort de leurs filles au compte de pertes et profits ? Ce ne serait pas une première, hélas : la Loi Ezzan a imposé ce drame aux enfants de Me Babacar Sèye, qui continuent à réclamer que la lumière soit faite sur les circonstances de l’assassinat de leur père et que justice soit rendue.
Je me félicite de la libération au cas par cas de prisonniers dont la plupart étaient sans doute détenus à tort. Mais on ne doit pas réparer une injustice en créant une autre injustice encore plus insupportable puisqu’ayant impliqué mort d’homme.
Diom Wouro BÂ