Le Sénégal n’a toujours pas affirmé sa véritable volonté de promouvoir la médecine traditionnelle. Alors que plus de 80% de tous les pays ont recours à la médecine traditionnelle, l’Institut de recherche pour le développement (Ird) et ses partenaires veulent aller plus loin pour la mise en place d’une proposition commune pour la promotion de la médecine traditionnelle en Afrique.
«Le projet de loi relatif à la médecine traditionnelle est à l’Assemblée nationale, mais il y a un problème car tout le monde n’est pas d’accord sur ce qui doit être fait». Une déclaration du ministre de la Santé et de l’Action sociale, Marie Khémesse Ngom Ndiaye, lors de son passage au Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct). Au cours de son face à face avec les députés pour défendre son budget 2024, la ministre n’a pas abordé cette question. Ces actes en disent long sur l’engagement politique du Sénégal pour la promotion de la médecine traditionnelle et complémentaire (Mt/Mc). La preuve est que le Plan stratégique national de santé communautaire (2014-2018) et le Plan national de développement sanitaire et social (Pndss) du Sénégal, couvrant la décennie (2019-2028), n’intègrent pas ce volet. Sur le plan règlementaire, des lenteurs sont également notées en faveur de la médecine traditionnelle. Dans une contribution publiée sur Club Mediapart en 2017, Dr Mohamed Lamine Ly, membre de la Coalition pour la Santé (Cosas), avait déploré que «depuis le Conseil interministériel du 13 octobre 1993, qui avait consacré la mise en place d’un comité chargé de poser les bases d’une réglementation, ce n’est que le 31 mai 2017 que le projet de loi relatif à l’exercice de la médecine traditionnelle au Sénégal» a été finalement débarqué à l’Assemblée.
Durant ces dix dernières années, peu d’actes concrets sont posés en faveur de la Mt. «Ces retards dans la promotion et la valorisation de la médecine traditionnelle ont fait de notre pays le dernier de la classe dans la sous-région pour ce qui est de la mise en place d’un cadre légal d’exercice de la médecine traditionnelle», affirme Dr Ly. Dans une contribution publiée en 2018 par Dakaractu, le spécialiste en droit de la santé publique, Dr Tapsirou Bocar Ba avançait que la réglementation de la médecine traditionnelle au Sénégal se heurte à une certaine difficulté liée à la détermination de critères de sélection des médicaments traditionnels, pour en mesurer les propriétés et le dosage au moment de leur utilisation. «L’État du Sénégal doit donc se donner les moyens d’y arriver, d’autant plus que dans un domaine aussi sensible que la santé, il ne doit aucunement exister des zones de non-droit, au nom du principe de précaution et du droit à la sécurité sanitaire», soutient Dr Ba, invitant l’État à s’inspirer des pays asiatiques «qui ont quasiment tous reconnu la médecine traditionnelle comme composante de leurs systèmes de santé».
Des pays font des progrès dans la Région africaine de l’Oms
Depuis l’instauration de la Journée de la médecine traditionnelle africaine en 2003, l’Organisation mondiale de la Santé (Oms) a noté des progrès dans plusieurs pays sur le continent. En se référant sur le Rapport mondial 2019 de l’Oms sur la médecine traditionnelle et complémentaire, la directrice régionale pour l’Afrique, Dr Matshidiso Moeti avait déclaré dans un message à l’occasion de cette célébration, que son institution «a assisté à la mise en œuvre sur le continent des stratégies régionales pour la promotion et le renforcement du rôle de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé pour les périodes 2001-2010 et 2013-2023». Elle ajoute que «plus de 40 pays de la Région africaine ont élaboré des politiques nationales sur la médecine traditionnelle en 2022, contre 8 pays seulement en 2000. 32 ont intégré la médecine traditionnelle dans leurs politiques nationales. En outre, 39 pays ont établi des cadres réglementaires régissant l’activité des tradipraticiens, contre un seul pays en 2000». Le Mali dispose d’une politique nationale de médecine traditionnelle et d’un plan national pour intégrer la Mt dans la prestation des services de santé nationaux. Six nouveaux médicaments à base de plantes ont été développés entre 2005 et 2016. Un programme national de la médecine traditionnelle et complémentaire (Mt/Cm) existe au Sénégal depuis 1995. À la fin de 2016, il n’y avait aucun financement gouvernemental ou public pour la recherche dans ce domaine. Les médicaments essentiels sont définis par l’Oms comme ceux qui répondent aux besoins prioritaires de la population en matière de soins de santé. En 2018, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Ghana, le Cameroun, la République démocratique du Congo et Madagascar ont répondu par l’affirmative à l’inclusion des plantes médicinales dans leur liste nationale des médicaments essentiels (Lnme).
Les chercheurs pour relever les défis
En dépit de «l’Appel d’Abuja» sur le rôle de la médecine traditionnelle, de la «Déclaration de Lusaka» des chefs d’Etats et de Gouvernements faisant de la décennie 2001-2010, celle de la médecine traditionnelle africaine, le Cadre politique et réglementaire harmonisé pour la médecine traditionnelle dans l’espace Cedeao, le Sénégal n’a pas encore cerné pleinement les défis et l’apport de la médecine traditionnelle dans le système de santé national, alors qu’il est estimé que plus de 80% de tous les pays ont recours à la médecine traditionnelle. Il ressort que plus de 40 % des formulations pharmaceutiques sont basées sur des produits naturels et des médicaments issus de la médecine traditionnelle. Conformément aux recommandations de la Journée de la médecine traditionnelle africaine, les pays sont invités à construire une base solide et «à mettre davantage en œuvre des approches de médecine traditionnelle fondées sur des données probantes pour atteindre les objectifs de développement durable liés à la santé et promouvoir la santé et le bien-être pour tous, à tout âge» des données pour la découverte et le développement de médicaments traditionnels africains. L’Institut de recherche pour le développement (Ird) et ses partenaires ont organisé, du 18 au 20 octobre 2023 à Dakar, les premières Assises internationales des médecines traditionnelles sous le thème : «Savoirs, défis, recherches et développement des médecines traditionnelles». La déclaration «One health-african voice» de Dakar, signée entre l’Ird et ses collaborateurs pour la mise en place d’une proposition commune promet un avenir radieux dans la promotion de la médecine traditionnelle au Sénégal.
Fodé Bakary CAMARA