Les Etats-Unis de 1933 étaient encore en proie aux répliques du krach boursier de 1929. Contexte choisi par Franklin Delano Roosevelt pour demander à ses compatriotes de lui accorder cent jours aux termes desquels ces derniers auraient toute latitude de juger et, le cas échéant, de remettre en cause sa stratégie de sortie de crise. Grâce à un programme préalablement défini et une volonté politique ferme, il entama sans délais la mise en œuvre des mesures inscrites dans son fameux New Deal, un plan quinquennal de redressement économique et social. Avant la fin de la période des cent jours, le président américain redonna espoir à ses concitoyens, notamment aux couches les plus vulnérables, malgré les difficultés persistantes et les manquements.
Cent jours. Durée arbitraire. Durée symbolique. Durée courte pour évaluer l’action d’un nouveau régime. Cependant, durée suffisante pour afficher les signes avant-coureurs d’un avenir prometteur. Tel Roosevelt.
Que retenir des cent premiers jours du régime du Président Bassirou Diomaye Faye ?
Il est difficile de répondre à cette question de manière rigoureuse en raison de l’absence de référentiels précis. Les Sénégalais ont besoin de connaître le contenu de deux documents annoncés mais non encore disponibles : celui de la Vision 2050 censé donner le cadre stratégique global pour les 25 ans à venir et la Déclaration de politique générale (DPG) qui doit décliner les orientations fondamentales retenues pour ce quinquennat.
Ces deux pièces maîtresses sont essentielles pour l’élaboration d’un Programme d’action gouvernementale (PAG) structurée et lisible. Une des conséquences du retard accusé dans leur diffusion a été la livraison par à-coups des initiatives prises par le gouvernement depuis sa mise en place. L’inconvénient d’un tel état de fait est de donner le primat au conjoncturel, au détriment du structurel.
L’esprit indulgent peut évoquer, non sans raison, des circonstances atténuantes : les turbulences qui ont précédé l’élection présidentielle ainsi que la détention en prison des deux chefs de l’Exécutif actuel jusqu’à la veille de la campagne électorale de mars 2024, n’ont pas été favorables à l’affinement de programmes aujourd’hui confrontés aux données issues de l’état des lieux, d’autant plus que la quasi-totalité des nouveaux dirigeants découvrent pour la première fois les hautes sphères de l’Etat.
Le samedi 13 juillet 2024, le Président Diomaye Faye a accordé à des médias sénégalais un entretien d’environ deux heures d’horloge, pour rendre compte de mesures prises au cours des cent premiers jours de son magistère. Ceci ne remplaçant pas cela, l’exercice – au demeurant louable – n’a fait que conforter l’approche fragmentée de la vision.
La présentation de la DPG serait imminente et la « Projet », censé englober la Vision, est promis pour septembre prochain. Posés, ces actes devraient être des jalons importants d’édification des citoyens par rapport aux orientations choisies. En attendant, l’appréciation des cent premiers jours du régime en place ne peut être que fragmentaire.
Parmi les initiatives à saluer, l’on peut citer les suivantes : la volonté affichée de s’attaquer à la prédation foncière, pour un accès plus équitable à la terre et à l’air marin ; la publication de tous les rapports des corps de contrôle et l’engagement à lever toute entrave à leur traitement adéquat, dans le cadre de la lutte contre le fléau de la corruption et ses différentes variantes ; une diplomatie sous-régionale fédératrice et constructive, fondement de l’acceptation tacite du leadership de la nouvelle équipe sénégalaise, aussi bien par les Etats de l’AES que de la CEDEAO ; la décision d’accorder la priorité au développement du secteur primaire (agriculture, élevage, pêche), base à laquelle doivent s’articuler les autres maillons d’une grande chaîne de valeurs (transformation industrielle ; distribution locale et exportation) ; etc.
Cependant, il faut noter qu’aucune de ces politiques n’est en soi une innovation. En effet, de Senghor à Macky Sall, la quasi-totalité des plans de développement contenaient ces orientations. En revanche, les résultats obtenus ont été bien souvent mitigés, par manque de vision à long terme et/ou de volonté politique. Par exemple, tout le monde peut comprendre que la question foncière est une bombe en puissance. En 1960, le Sénégal comptait 3 273 000 habitants pour une superficie de 196 722 Km2 ; en 2023 (dernier recensement de l’ANSD), nous sommes 18 126 390 habitants sur la même superficie de 196 722 km2. Malgré la législation en vigueur (loi sur le domaine national, …) et les nombreuses commissions mises en place par les régimes successifs (Commission Me Ndoye ; Commission Pr. Sourang ; etc.), le pillage des terres par une minorité de ploutocrates ne s’est jamais arrêté. Pire, en l’absence d’un plan d’aménagement global bien structuré et prospectif, nous assistons à un véritable déchiquetage : des zones cultivables ou de pâturage sont parcellisées et transformées en lieux d’habitation. Or, l’espace sénégalais est minuscule. Ajoutez à la boulimie foncière des dirigeants et autres fonctionnaires véreux l’érosion côtière qui réduit la terre sèche à vue d’œil, vous comprendrez alors que si l’on n’y prend garde les générations futures seront confrontées à de sérieux problèmes de survie.
Comme le disait Mao, « C’est par la pratique que l’on conçoit la vérité ». Ce qui est attendu de nos dirigeants, ce sont des actes pertinents et des résultats à impact sur l’économie et le bien-être des populations.
Jusque-là, le Président Bassirou Diomaye Faye a séduit par sa retenue, sa courtoisie et une détermination affichée de servir son pays avec loyauté et transparence. C’est pourquoi plusieurs observateurs ont été surpris par deux maladresses notées lors de sa conférence de presse du 13 courant : la première concerne son envolée lyrique relative à ses relations avec le PM Ousmane Sonko. Dans son effort de convaincre que ces relations sont faites d’harmonie, le Président de la République dit en substance au peuple qui vient de l’élire pour cinq ans, qu’il est devenu Chef d’Etat par accident, que la place qu’il occupe devrait revenir à son PM. Propos inappropriés, qui jurent avec la sérénité et la mesure auxquelles le Président nous avait habitués. De la même manière, son annonce selon laquelle il aurait trouvé la caisse des fonds politiques vide était inopportune puisqu’elle rabaissait le niveau du débat. Si l’information est avérée, il suffit de demander aux corps de contrôle de vérifier la régularité ou non des dépenses engagées et d’en tirer les conséquences.
Cela nous mène à la communication du gouvernement : nous assistons à un contraste entre le volontarisme louable du PM et des ministres, d’une part, et, d’autre part, leurs nombreuses annonces sur toutes sortes de questions dont le dénominateur commun est de démontrer qu’ils ont «hérité» d’un pays en décrépitude. Ce second aspect est contre-productif : il donne un sentiment de tentative de justification. La sagesse institutionnelle voudrait que l’on attende la fin des diagnostics et de l’instruction des dossiers pour juger de l’opportunité de partager les résultats obtenus avec les citoyens. Le cas échéant, laisser aux personnes attitrées s’acquitter de cette tâche. Autrement, consciemment ou inconsciemment, on s’inscrit dans la stratégie de rejeter ses propres carences sur le dos des autres.
A ce propos, c’est indiscutablement le PM Ousmane Sonko qui doit rectifier sa politique de communication. Lors du meeting au Grand Théâtre, alors que l’opposition potentielle était plongée dans la léthargie par la victoire écrasante et sans ambages du Président Diomaye Faye dès le premier tour de la présidentielle et que les nombreux jeunes du pays, pleins d’espoir, attendaient ses orientations pour un Sénégal meilleur, le PM ouvre des fronts artificiels en s’attaquant à la presse, aux magistrats, et à la muette opposition, créant ainsi, dès le lendemain, une levée de boucliers générale. De la même manière, à l’occasion de sa descente au marché Colobane, il a enchaîné les maladresses, résultats d’improvisations politiciennes. Le désencombrement de l’espace public fait partie des obligations de l’administration et des collectivités territoriales. Elles doivent s’en acquitter, sans avoir à en informer qui que ce soit, dans l’intérêt du grand nombre.
Enfin, les vraies ruptures requièrent des réformes structurelles. En maintenant la quasi-totalité des structures héritées de l’ancien régime et en procédant à des nominations massives dans ces structures, on ne rassure guère. La priorité devrait être leur réorganisation afin de les rendre plus efficaces et plus efficientes. On pense notamment à la multitude de Directions chargées de gérer des fonds destinés à l’emploi des jeunes, avec leur cortège d’équipes coûteuses (DER, …). De la même manière, si l’on pense résoudre le problème de tabliers et de marchands ambulants en leur trouvant des lieux de recasement, on se trompe : recaser cent aujourd’hui, vous en aurez demain deux cents. La solution est de former ces jeunes à des métiers plus valorisants et producteurs de richesses pour eux-mêmes mais aussi pour le pays tout entier.
L’espoir de la jeunesse et sa foi dans la nouvelle équipe sont immenses. Cette jeunesse se veut compréhensive, voire bienveillante, à l’égard des nouveaux élus. Cependant, on aurait tort de se faire des illusions, car sa patience ne durera guère plus longtemps qu’un feu de paille. Bientôt les paroles ne suffiront plus. Il faudra des actes forts, qui laissent entrevoir un mieux-être.
Pour le moment, en dépit des manquements, l’espoir est permis. Nous encourageons et souhaitons bonne chance à nos dirigeants.
Diom Wouro BÂ