Dans les marchés de la capitale, les smartphones et autres appareils numériques sont vendus comme des petits pains. Sans facture, encore moins de garantie, ces outils technologiques constituent souvent un danger mortel entre les mains des utilisateurs. L’attaque numérique de l’armée israélienne traduite par l’explosion de bipeurs tuant et blessant des dizaines de membres du Hezbollah illustre la dangerosité de ces moyens de communication. En immersion, Bès bi a exploré certains recoins du marché noir dédié au business des téléphones portables.
La scène est inédite ! Fatou Sané, une jeune dame accompagnée par son mari, est sur le point de péter un câble. Elle s’étrangle de colère. Debout sur son jean bleu aux bas larges, baskets bien lacés, elle brandit une plainte. «Avant-hier, vous m’avez vendu un smartphone à 210 000 F CFA avec une garantie d’un an. Toute la journée d’hier (vendredi 20 septembre), je chargeais le téléphone. Ma petite fille m’avait dit que la batterie chauffait grave. Je lui avais dit de ne surtout pas toucher le téléphone que j’avais déposé sur mon matelas sans drap. Et bizarrement, vers 22h, le téléphone a pris feu. Tu m’as vendu une pacotille !», s’étrangle-t-elle de colère. Dans la foulée, le jeune boutiquier demande à son vigile de fermer la porte. «Issa, que personne n’entre !», hausse-t-il le ton. Le jeune vendeur de portables et d’accessoires semble être pris au dépourvu par cette mésaventure qui dépasse l’entendement. Mais il est loin de se tirer d’affaires. «Cela fait plus de 15 ans que je vends des portables. Mes matériels sont de qualités parce que je collabore avec une grosse marque. Pas besoin de plainte madame ! Montre-moi d’abord le portable», tempère le boutiquier, le visage niché dans une barbe touffue. A sa grande surprise, le mari de la dame est un policier originaire du (Blouf) dans le département de Bignona. Le limier fait la médiation et demande au boutiquier de trouver un terrain d’entente avec sa femme. Dans la foulée, le boutiquier demande à la dame de choisir un autre téléphone. «Si vous branchez votre téléphone, ne le déposez plus sur votre matelas parce que la matière est inflammable. En tout cas, c’est la première fois que j’entends une telle histoire», regrette le vendeur qui lui délivre une nouvelle facture. Déposé sur la baie vitrée, l’appareil porte les stigmates des flammes. Seulement, le limier, lui, a fini de mesurer la dangerosité des smartphones. «Les téléphones sont des armes explosives qui peuvent causer des dégâts énormes. Je ne sais pas si vous êtes au courant des appareils explosifs au Liban. En tout cas, nous devons être vigilants avec ces appareils numériques», suggère l’homme de tenue.
En effet, le 18 septembre dernier, le monde s’est réveillé ébahi par 20 morts et des centaines de blessés causés par des explosions d’appareils de communication appartenant à des membres du Hezbollah au Liban. A Dakar, dans certains magasins spécialisés dans la vente des appareils de communication et électroniques, cette tragédie est passée inaperçue !
Le silence coupable des vendeurs
Le soleil est au zénith à Keur Massar lorsqu’une longue file de voitures se dresse sur l’asphalte. Le vrombissement des moteurs de voitures chauffe l’atmosphère. Des mendiants squattent les artères de la ville. A côté de la station service, un magasin spécialisé dans la vente de smartphones ouvre ses portes aux clients. Ici, la consigne est claire. Hors de question de communiquer sur la dangerosité et surtout l’aspect explosif des engins électroniques qui fait l’actualité au Moyen-Orient. Une jeune dame de teint basané qui assure l’accueil reste ferme. «Ne nous crée surtout pas de problème avec cette histoire. Nous ne pouvons répondre à ce genre de questions», clôt-elle le sujet. Une autre demoiselle pointe la porte du responsable du magasin. Une fois dans le bureau, un homme assis sur sa chaise tient un Coran entre les mains. «Ne perdez pas votre temps ! Je ne peux rien vous dire», coupe-t-il court. Juste à côté, Bara, l’un des vendeurs de portables les plus populaires du marché, se barricade derrière le silence. «Nous commerçants de portables sommes au courant de ce qui se passe au Liban. Je n’ai pas de commentaire. Pourquoi les journalistes ne cherchent que des problèmes ?», raille-t-il.
Par contre, un responsable de marketing d’une marque soutient sous l’anonymat qu’il est temps que les autorités contrôlent le marché des appareils numériques. «Le danger, c’est qu’en Afrique, nous consommons souvent les produits de seconde main ou de bas de gamme. Très souvent, ces produits ont des défauts de fabrication. En ce qui concerne les smartphones, les batteries ne sont pas bonnes. Le danger est palpable», met en garde le spécialiste.
Au marché noir, aucune règle de vente n’est respectée
En dessous de l’autopont de Keur Massar, un véritable marché noir s’est installé. Il est très convoité par les riverains. Ils ne se cachent plus ! Même devant les éléments de la gendarmerie qui assurent la circulation au niveau du rond-point de la station de service, les jeunes vendeurs de portables ne se soucient point de l’inégalité de leur activité commerciale. Ils ont transformé l’espace public en-dessous de l’autopont en un marché noir spécialisé dans la vente de portables. Ici, la loi est simple : pas de facture ni de garantie. Interpellés sur la dangerosité des smartphones, les jeunes commerçants ne sont au courant de rien. «Depuis la nuit des temps, avez-vous vu un appareil exploser ?», renvoie Moussa, muni d’un petit sac à dos. Dans cette ambiance électrique, certains vendeurs prennent place sur les barrières. Une jeune dame est sur le point de marchander un portable. «Je suis consciente de la dangerosité des appareils, surtout ceux de seconde main que nous achetons ici. Mais que faire si nous n’avons pas les moyens de payer un smartphone de 100 000 F CFA? Ici, avec 50 000, vous pouvez avoir un bon portable», justifie la femme de ménage. Cette même hypothèse est soutenue par Guedda Samb. «Ce marché est pour nous les pauvres. Si j’ai les moyens je n’y mettrai jamais les pieds parce que ce n’est pas sûr. Dans ces parages, on peut vous vendre un appareil volé», confirme la jeune dame aux ongles émaillés.
Par Maxime DIASSY