Chaque année, des milliers de jeunes africains rêvant de percer dans le football professionnel tombent dans les filets de faux agents. Attirés par des promesses d’essais en Europe, ils s’endettent, quittent leurs familles, traversent des frontières et sacrifient tout pour une carrière qui, souvent, n’existe que dans les discours manipulateurs de leurs recruteurs. Ces arnaques, en constante recrudescence, brisent des vies, volent des jeunesses et parfois, ôtent même des vies.
Cheikh Touré n’avait que ses gants, son talent et son rêve. Formé à l’académie Esprit Foot Yeumbeul, le jeune gardien sénégalais était connu pour sa rigueur, son humilité et sa détermination. Comme tant d’autres avant lui, il a cru à la proposition d’un essai dans un club professionnel. C’était au Ghana. Mais cette promesse, comme beaucoup, était un leurre. Ce voyage s’est terminé dans l’horreur : Cheikh a été enlevé, séquestré, puis exécuté lorsque sa famille n’a pas pu payer la rançon exigée par ses ravisseurs. Le choc a été brutal à Yeumbeul, où l’annonce de sa mort a plongé tout un quartier dans la stupeur et la douleur.
Le cas de Cheikh n’est pas isolé. Une enquête de la FIFPRO menée dans sept pays africains a révélé que plus de 70 % des joueurs interrogés ont été contactés par des individus leur proposant de changer de club. Plus de la moitié de ces promesses n’ont jamais abouti. Pire encore, certains se retrouvent abandonnés à l’étranger, sans contrat, sans ressources, dans des logements insalubres, travaillant parfois dans des usines ou des salons de coiffure pour survivre. À Casablanca, plusieurs dizaines de jeunes venus de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Nigeria ou encore de Guinée vivent ainsi, bloqués, oubliés, humiliés.
Les noms de Drogba, Eto’o, Salah, Mané ou encore Osimhen sont utilisés comme appâts. Ces légendes du football africain incarnent le rêve européen, l’ascension fulgurante, la réussite méritée. Mais dans l’ombre de ces carrières dorées, une industrie parallèle s’est développée : celle du trafic d’espoir. Des pseudo-agents, souvent sans licence, profitent de la crédulité et de la détresse économique des jeunes pour les piéger. Moyennant des sommes importantes – parfois les économies de toute une famille – ils promettent des essais fictifs, des contrats truqués, des visas jamais délivrés.
La FIFA interdit formellement toute transaction financière liée à un essai, mais sur le terrain, ces règlements sont souvent contournés. Et quand les choses tournent mal, les jeunes n’ont aucun recours. Le rêve tourne alors au cauchemar. Le talent est écrasé, l’identité détruite, la dignité volée.
Le drame de Cheikh Touré rappelle que le football, en Afrique, est bien plus qu’un sport : c’est un espoir collectif. C’est aussi une faille exploitée sans scrupule par des réseaux mafieux. Face à ce fléau, il est urgent de réagir. Les États doivent protéger leurs jeunes, les fédérations doivent renforcer le contrôle des intermédiaires, et les clubs européens doivent cesser de fermer les yeux sur les circuits d’acheminement douteux de certains jeunes joueurs.
À Yeumbeul, on pleure Cheikh. On pleure un fils, un frère, un ami, une étoile trop tôt éteinte. Mais au-delà des larmes, c’est un cri qui s’élève : plus jamais ça. Le football doit redevenir un rêve construit, encadré, honnête mais pas un piège qui tue.
Emedia