Le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, a lancé une procédure judiciaire pour faire la lumière sur les violences politiques survenues entre 2021 et 2024. Ces événements tragiques ont causé la mort de plus de 80 personnes à travers le pays. Si l’annonce est saluée par une partie de l’opinion publique, les spécialistes du droit alertent déjà sur les nombreux écueils qui pourraient freiner le processus.
Parmi les principaux obstacles évoqués figurent les protections juridiques dont bénéficient certaines figures impliquées. Interrogé par le quotidien L’Observateur, le Dr Mouhamadou Ba, enseignant-chercheur en droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, estime que la complexité de l’enquête réside dans le statut particulier de certaines personnes potentiellement mises en cause. Selon lui, des hauts responsables des forces de sécurité pourraient être couverts par une immunité pénale s’ils ont agi dans le cadre d’une mission de service public. Quant aux anciens ministres ou chefs d’État, leur mise en cause ne pourrait se faire que selon des mécanismes spécifiques, notamment via la Haute Cour de Justice. Les membres des forces de l’ordre, eux, relèvent de juridictions militaires.
« Ouvrir une enquête, c’est une chose. Établir des responsabilités pénales en est une autre », prévient l’universitaire. Il rappelle également que la distinction entre faute personnelle et faute de service est souvent ténue, rendant les poursuites incertaines et juridiquement fragiles.
Au-delà des obstacles juridiques, des limites pratiques pourraient aussi affaiblir l’enquête. El Amath Thiam, président de l’organisation Justice sans Frontière, évoque la disparition possible de preuves, la difficulté d’identifier les responsables directs et les donneurs d’ordres. Il met également en garde contre une politisation de la procédure, qui risquerait de discréditer l’ensemble du processus. Il appelle à une enquête rigoureuse, impartiale et respectueuse des droits de la défense.
Dans les milieux analystes, certains craignent que cette initiative judiciaire, si elle n’est pas conduite avec une extrême prudence, n’alimente les tensions au lieu de les apaiser. Une comparaison est d’ailleurs faite avec le procès de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale, où malgré un bilan humain bien plus lourd, aucune condamnation n’avait pu être prononcée.
En conclusion, le scepticisme reste de mise. Comme le résume le Dr Mouhamadou Ba : « Des enquêtes seront ouvertes, des auditions menées, mais la montagne risque d’accoucher d’une souris. »
Emedia