La famille omarienne prépare activement sa Ziarra annuelle. Elle est dédiée aux illustres figures de Thierno Seydou Nourou Tall et Thierno Mountaga Tall. De leur vivant, chacun d’eux a marqué son époque. Le premier, ami et «compagnon» de Senghor, avait conquis les cœurs et imposé sa silhouette sous les chaumières dakaroises. Le second jouissait d’une réputation construite par son ésotérisme et sa connaissance soufie. A eux deux, ils symbolisaient l’ouverture, la coexistence et la légitimité (à intensité égale) de la trajectoire omarienne au Sénégal. L’un et l’autre sont vénérés au-delà des frontières du Sénégal.
L’édition 2024, la 44ème du genre, mobilise avec un rare engagement les fidèles, les oulémas, les héritiers, les organisateurs et les coreligionnaires sous la haute autorité du Serviteur de la Communauté, Thierno Madani Mountaga Tall. Sa résidence de la Médina et le principal lieu de culte, la Grande Mosquée Cheikh Oumar Foutiyou Tall, située sur le boulevard de la Corniche, constituent les pôles de convergence des pèlerins venus des différentes régions, de la sous-région, de l’Europe et des Amériques. Thierno Madani multiplie les rencontres et les audiences et se montre attentif à l’exécution soignée des directives d’organisation. Ses journées se prolongent jusque tard le soir. Mais sans relâche, il se rend disponible, même si son entourage immédiat le ménage pour alléger le poids de la charge. Dépositaire du prestigieux patrimoine, Thierno Madani agit avec subtilité. Son habileté sociale séduit ceux et celles qui ont le bonheur de l’écouter. Chacune de ses adresses est un moment de pédagogie, d’éclairage ou de rectification délivré à l’intention des musulmans. Lesquels s’abreuvent à bonne source chaque fois que l’occasion leur en est donnée. A cet égard, la Ziarra demeure, sans com- paraison aucune, un creuset du savoir pratique, un lieu de réactualisation des connaissances, bref une opportunité de requalification de la pratique religieuse. Le brassage humain qu’occasionne l’événement est vécu par les adeptes comme une purification spirituelle avec à la clé des arguments tirés du Saint Coran pour donner du sens à sa vie d’ici-bas.
Héraut du réajustement du comportement du musulman
Héritier d’une lignée de «waliyu» de renom, Thierno Madani s’impose par ces temps troubles et illisibles, comme le héraut, le visionnaire qui convoque les hadiths et le texte sacré pour réajuster le comportement du musulman en cas d’écart de conduite ou de déviation. Par de solides références, il prône la bonne parole. Son par- cours initiatique est à cet égard un modèle d’exemplarité face à la perte de repères ou de boussole dans un environnement couvert de bruits et de sonorités désagréables. Il a conscience que le monde, par ses multiples fragments, se fragilise. En outre, il reste convaincu que le socle islamique a valeur de réponse aux égarements, aux exclusions et surtout aux embrasements d’une violence qui fait irruption dans nos sociétés. En clair, les intolérances surgissent lorsqu’il y a déficit de foi et surtout quand il y a une fulgurante montée des égoïsmes. Par son éclectisme racé, Thierno Madani, au demeurant très informé sur les tendances lourdes de nos sociétés, prend de la hauteur pour évacuer les fureurs, les foires d’empoigne, les invectives. Il ne cesse d’inviter les musulmans à plus de retenue, au retour à la foi ardente et à l’appropriation des valeurs édictées par l’Islam.
L’inspiration de Cheikh Oumar Foutiyou Tall
Ces valeurs ont été puissamment diffusées à une très vaste échelle par son aïeul Cheikh Oumar Foutiyou Tall, intrépide continuateur de la voie tracée par Cheikh Ahmed Tijaane Chérif, fondateur de la confrérie éponyme. Il connaît les hommes et les situations. Il a une connaissance intime des différents Fouta (Sénégal, Mauritanie, Mali, Guinée, Tchad, Niger, et le lointain Soudan). Dans ce dernier pays, existe une branche omarienne incarnée, ironie de l’histoire, par un homonyme portant le même prénom que lui Thierno Madani Tall. Il était venu en 2023 au Sénégal et avait, à l’occasion, fait bonne figure. D’ailleurs, sa ressemblance physique avec Thierno Madani Mountaga est inouïe. Un éblouissant trait de consanguinité. Ainsi donc, il s’imprègne toujours des contextes et des conjonctures. Ses nombreux déplacements, tant à l’intérieur qu’à l’étranger, comblent de bonheur les fidèles qui lui renouvellent, à chaque fois, leur attachement indéfectible. Soucieux d’une féconde transmis- sion des enseignements, il a sponsorisé des «dudal» en un mot des daaras, encourageant les initiateurs à persévérer dans les solidarités générationnelles afin de vivifier la flamme, le savoir, la sociabilité et les précieux trésors légués par l’auguste famille.
Le sabre et la Grande mosquée
Se rappelle-t-on du sabre reçu, sous les dorures du Palais, des mains de l’ancien Premier ministre français Edouard Philippe en présence du président de la République ? Plus tard, ce dernier, apprenant le projet de rénovation de la Grande Mosquée omarienne de la Corniche, s’est beaucoup investi pour convaincre Thierno Madani de son intention de reconstruire le lieu de culte avec des attributs de modernité qui n’effacent pas, loin s’en faut, le cachet soudano-sahélien de l’architecture. Aujourd’hui, l’œuvre est sur son point d’achèvement. L’édifice est imposant. Mieux, il est majestueux par ses minarets qui tutoient le ciel, visible à la ronde avec une touchante proximité de l’océan atlantique. Sa modestie l’empêche d’exhiber la joie contenue qui l’habite. Cependant, il jouit d’une grosse notoriété de reconnaissance auprès des différentes confessions religieuses qui saluent en lui l’homme de Dieu, le pacificateur reconnu, le guide religieux à la posture rayonnante.
La résidence de la Médina, Fouta en miniature
Sa résidence de Médina, sorte de Fouta en miniature, ne désemplit pas à longueur de jour, de semaine ou d’année. Infatigable, il y accomplit divers offices religieux, notamment les mariages qui sont à ses yeux des alliances fortes consolidant des liens séculaires établis depuis des temps immémoriaux.
D’aucuns considèrent les lieux comme un havre de paix où domine la haute mais discrète silhouette longiligne du guide religieux. Dans un passé qui s’éloigne, les regards s’étaient tournés vers l’auguste maison où le patriarche d’alors, Thierno Mountaga Amadou, avait délivré le fameux message de digne sépulture à tous les naufragés du bateau Le Joola en 2001. Une crise morale venait ainsi d’être dénouée par le sage, père de l’actuel khalife Thierno Madani et de l’imam de la Grande Mosquée, Thierno Seydou Nourou Mountaga. Nonobstant les charges qui l’incombent, Thierno Madani entretient des pensées vives à l’égard des démunis qui voient en lui un protecteur de tous les jours. Par-dessus tout, il affiche une affection soutenue à l’égard des enfants qui sont ses «amis et compagnons». Son lien avec eux revêt un cachet naturel et les fréquents instants où ceux-ci récitent le Coran dans ses oreilles chastes lui procurent un bonheur subliminal et implicite. Il a constamment tenu à les célébrer lors du Maouloud ou à l’occasion d’évènements à fort coefficient religieux. Il ne se limite guère au seul champ spirituel. Il élargit son spectre d’action en rendant visite à des malades dans les hôpitaux, à s’enquérir de l’état de santé de convalescents tout en prenant des nouvelles de certains absents dont l’assiduité était reconnue dans les prières collectives. Thierno Madani incarne la prévenance.
Mamadou NDIAYE