L’idée est géniale : réentendre le sifflement du train, et surtout sur l’axe Touba-Diourbel. C’est une volonté des autorités politiques, exprimée en juillet dernier, pour faciliter le transport des personnes lors du Magal. Précisément par le Directeur général du Chemin de fer du Sénégal (Cfs), Malick Ndoye, lors d’une réunion d’information, le 18 juillet dernier, consacrée à la réhabilitation du chemin de fer sur l’axe Dakar-Tambacounda. Et on était à seulement 45 jours de l’événement religieux. Il y avait tout de même des préalables, beaucoup d’ailleurs, pour y arriver.
Le Dg du Cfs avait indiqué que la circulation du train entre Diourbel et Touba est assujettie à des conditions dont «le visa technique» qui est délivré par l’ingénierie. Mais cette remise en service serait «exceptionnelle», juste pour les besoins du Grand Magal de Touba, parce qu’il y a des travaux de sécurité à mener. Pour le cas spécifique du tronçon Diourbel-Touba, voici les éléments marquants du projet de réhabilitation du chemin de fer : «45 km de ligne à rouvrir, 700m de renouvellement de voie, 13 passages à niveau à sécuriser, 14 appareils de voie à renouveler ou à entretenir, 230m d’ouvrages hydrauliques à régénérer ou à entretenir, 1 ouvrage busé à rétablir, 700 m de dressage, nivellement et bourrage mécanique lourd et 2000 tonnes de ballasts à remettre en voie.»
Sans doute, tout cela a été fait ou en tout cas le maximum pour procéder même à des essais. Puisque le «voyage inaugural» a été fait, jeudi, avec une grosse satisfaction du ministre des Transports. «Cela veut dire que 72 heures avant le Magal, le train va commencer à rouler de Thiès vers Touba ou bien de Diourbel vers Touba, vice-versa, pour transporter les fidèles en période de Magal», s’est réjoui Mansour Faye à l’Aps. Trois jours après le Magal également, «le train va continuer à desservir les fidèles pour leur retour après avoir célébré cet évènement religieux», a-t-il ajouté. Il a, en outre, salué le travail «remarquable» du directeur général des Chemins de fer du Sénégal. Mais des spécialistes émettent des réserves sur cette mise en circulation du train.
«Un risque de faire circuler des trains en période de grande affluence»
A l’appui de documents, des spécialistes du chemin de fer doutent sérieusement des garanties de sécurité pour remettre le train sur les rails. «Les rails actuels datent de l’époque colonial et ne sont plus fabriqués dans le monde entier. D’autres types de rails devraient être trouvés mais, cela n’a pas été fait», affirment-ils. Rien que pour cela, estiment-ils, «c’est un risque d’y faire circuler des trains, surtout en période de grande affluence des passagers comme le Magal». Dans un document sous forme de contre-rapport technique, ils sont formels : «Il est impossible de rendre opérationnel en deux mois un train, même un train de marchandises. Ils font du rafistolage. C’est quelque chose de très sérieux le transport des fidèles, et il faut le traiter de façon sérieuse. C’est un show politique qui peut nous coûter très cher en vie humaines parce qu’on ne démarre pas un nouveau service en période de rush. Le programme de restauration des gares est non effectif. Mieux, les gares ne sont pas sécurisées. Le système de communication est défaillant pour ne pas dire inexistant, pas de système signalétique ni de passages à niveau sécurisés. Il y a des risques de déraillement parce qu’en période de magal, on ne contrôle plus les charges au niveau des voitures encore moins au niveau des trains. Maintenant, si on veut escamoter les procédures et faire du show politique en mettant en jeu des vies humaines sur une période aussi sensible que le magal, si on laisse faire et on se tait, on est tous complices.»
Et ces techniciens estiment que, «techniquement, un train qui n’a pas roulé pendant plus de trois ans, qu’on veut remettre dans un timing de deux mois, cela pose problème». Ils ajoutent : «Ils sont en train de poser des traverses, c’est très risqué de faire rouler en période de magal. Il n’ y a pas eu de test de circulation grandeur nature sur le tronçon Thiès-Diourbel, encore moins sur l’axe Diourbel-Touba où on fait du rafistolage. Cela devient un problème.» S’agissant de la démolition de rails et traverses existants, soulignent-ils, il n’est pas complètement réalisé sur toute la ligne ferroviaire du tronçon Diourbel-Bambey. S’agissant des passages à niveau et des emprises, aucune mesure n’a été prise. Ces mêmes techniciens confient : «Les emprises des passages à niveau dénombrés au niveau des communes de Diourbel, Bambey, ne sont pas sécurisés.» Cette même préoccupation a été faite lors du Comité régional de développement consacré à la relance du chemin de fer par le préfet du département de Bambey.
Les revendications des travailleurs
Pour mener à bien les missions à eux confiées, les travailleurs, par la voix de Babacar Gaye, Secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs du rail (Sutrail) veulent être «bien équipés et motivés», pour accomplir leur travail en toute quiétude. «Le Grand Magal, étant un service spécial, doit être une totale réussite, d’autant que tout le monde nous regarde pour ce qu’on va donner en termes de résultat. Raison pour laquelle, la Direction générale doit renforcer les moyens pour accompagner les braves agents de la Direction des infrastructures ferroviaires (Dif), de la Direction du matériel roulant (Dmr), de la Direction de l’exploitation (Dex) et de la Surveillance générale, tous engagés pour accomplir la mission. Certes, il y a des efforts consentis, mais ils méritent d’être augmentés».
Mansour Faye, ministre des Transports : «C’est un test grandeur nature»
Le ministre des Transports, Mansour Faye est ravi que le train recommence à siffler pour faciliter le transport des fidèles. Mais il précise : «Si toutes les conditions sécuritaires sont réunies, un plan de circulation sera mis à la disposition des voyageurs et des populations à l’occasion du Grand Magal. C’est un test grandeur nature qu’on va apprécier, analyser pour la suite à donner, en vue de prendre les dispositions appropriées pour un transport des voyageurs par train.»
L’histoire de Touba avec le rail
Entre la confrérie mouride et le chemin de fer, c’est une longue histoire. En effet, pour la construction de la grande mosquée de Touba, Cheikh Mouhamadou Moustapha Mbacké avait mobilisé les fidèles mourides. Ce sont ces derniers qui ont financé sur fonds propres les travaux. Cet attachement au rail explique sans nul doute, l’enthousiasme qui a accueilli l’arrivée du train, jeudi dernier, au niveau des gares ferroviaires de Mbacké et de Touba.
Malick Ndoye, Dg des Cfs: «Les résultats de l’audit du matériel roulant sont rassurants»
Interpellé sur ces risques de faire circuler le train durant le magal, le Directeur général des Chemins de fer du Sénégal renvoie au Directeur général des Grands trains du Sénégal (Gts) : «On devrait terminer avant le Magal comme indiqué précédemment, sauf cas de force majeure. Pour les trains, je vous prie de contacter M. (Samba) Ndiaye qui en a la charge. Je suis en charge de la voie ferrée des bâtiments gares/exploitation et des trains de fret. En complement, je peux d’ores et déjà vous dire qu’on a mandaté un auditeur pour inspecter les trains avant de les autoriser à rouler sur notre réseau. Les résultats de l’audit du matériel roulant sont rassurants ; d’où l’autorisation de faire les tests de rodage à partir d’aujourd’hui (17 août).»
Sur la question des risques de faire rouler le train, Babacar Gaye, Secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs du rail (Sutrail), confie : «Rassurez-vous, aucun risque ne sera pris pour la circulation des trains lors du Magal, car la plate-forme est en train d’être reprise pour soutenir la voie ferrée. L’expertise est avérée à tous les niveaux pour garantir la sécurité des circulations. L’infrastructure est renforcée, et côté matériel aussi, des tests sont en train d’être effectués avec les rames des Grands trains du Sénégal, avant tout transport de pèlerins. Donc, on va s’assurer de tous les aspects liés à la sécurité et au confort avant démarrage.»
Samba Ndiaye, Dg des Gts : «Toutes les conditions techniques et humaines sont réunies pour aller à Touba »
Le Directeur général des Grands trains du sénégal (Gts), Samba Ndiaye, déclarait à l’Aps, le 17 août, lors d’une remise de dons au daara de Coki, dans la région de Louga : «Il n’y a que quelques réajustements à faire sur un train, c’est pour dire que toutes les conditions techniques et humaines sont réunies pour que nous puissions aller à Touba pendant le Magal. Le personnel a été formé en conséquence, et le matériel a été inspecté, il y a deux jours, ce qui a donné des résultats favorables.» Pour lui, «cette volonté d’aller à Touba pendant le Magal s’inscrit dans le cadre de la Stratégie nationale ferroviaire déclinée par le président de la République». Laquelle a pour objectif de relancer le trafic ferroviaire sur l’ensemble du territoire national.
Les Gts sont dotés d’un parc de trains constitué de trois rames réversibles de 240 places chacune et d’un train express de 392 places. «Aujourd’hui, la dynamique, c’est que nous devons aller à Touba pendant le Magal. Alors, on espère que les moyens financiers suivront pour que véritablement cet outil de transport de masse qui garantit la sécurité et le confort des voyageurs puisse faire son travail d’antan, qui constituait à transporter les populations vers des destinations comme Saint-Louis, Bamako et Touba», a-t-il dit. Jeudi dernier, le ministre des Transports terrestres, Mansour Faye déclarait à l’issue du voyage entre Diourbel et Touba par le train : «Je suis très satisfait de l’état d’avancement des travaux de réhabilitation du chemin de fer Dakar-Diourbel, surtout par rapport à la diligence apportée à ces travaux en cours, dont la réception est prévue au mois de décembre prochain».