Dans les lambris du Palais, précédé par le gouverneur des lieux jusqu’à la sortie d’un couloir, c’est en franchissant le seuil d’une salle que le Président l’accueille. Le contact entre les deux hommes s’enchaine avec une poignée de mains, regards croisés, sourires modelés. Lunettes claires vissées sur l’étroite figure, la silhouette longiligne drapée de son ample veste, Amadou Ba est prié par son hôte de s’installer sur un fauteuil douillet. Comme pour recevoir les premières instructions devant fonder l’action de son gouvernement dit «de combat».
Dehors, c’est à travers ces images, instantanément répandues sur la toile, que tombe, le 17 septembre dernier, la nouvelle de sa nomination au poste de Premier ministre avant même la lecture du décret l’officialisant. Le retour de ce poste, supprimé pendant presque 2 ans, augurait une préparation d’un dauphin. Le retour en même temps d’un homme, mis au frigo un temps. Mais, il fallait à Ba un fusible moins visible. Un Pm dans l’ombre. Supporter le «test» d’un chef presque sans… bureau. Cela peut être vu comme un manque de personnalité. Mais ça peut être aussi un passage pour se faire une carapace. Car, Macky Sall a besoin d’un homme qui sache faire face à des durs à cuire. En exposant les arguments qui ont pesé dans son choix, devant Boun Dionne, Aly Ngouille, ADD et autres, Macky Sall en fait un choix incontournable. Mais c’est que Ba s’est aussi imposé.
Le prix de la loyauté… politique
10 mois plus tard, l’homme est de nouveau sous le feu des projecteurs. Après que le Président Sall a décidé de ne pas briguer un 3e mandat, et donc de laisser s’exprimer les ambitions. Cette fois ci, pour avoir été choisi, par le même, comme candidat du pouvoir à la Présidentielle de 2024. Comment est-il sorti du lot pour se hisser à cette position si convoitée par plusieurs ténors du régime ? C’est comme qui dirait qu’il s’attendait à ce tournant crucial de sa carrière politique. Un moment où le Président Macky Sall se retrouverait dans une situation de fait accompli qui lui impose Amadou parmi ses proches. Et pour cela, l’on peut retenir que l’énarque a su développer un sens élevé de la loyauté politique. Frôlant même, quelques fois, la docilité. Tantôt peint comme un homme dépourvu d’une once de courage que requiert toute ambition présidentielle sous nos cieux, tantôt il est affiché à l’image d’un sauveur sur qui comptent ses compagnons politiques.
Directeur général des impôts et domaines de 2006 à 2013, le responsable de l’Apr aux Parcelles assainies, homme d’appareil, a gardé la confiance des Présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall. Ancien responsable socialiste pro Mamadou Diop, dans les années 1990, Ba, tel un enfant du système, a su se rendre indispensable. Sans carte de membre du Parti démocratique sénégalais, c’était un militant de l’ombre, la «colonne bleue» pour reprendre le jargon des libéraux pour qualifier les fonctionnaires qui appuient le Pds. «Je suis un haut fonctionnaire. La loyauté est une vertu avec laquelle je ne transige pas. Je ne peux pas être dans un parti, être membre du Secrétariat exécutif d’un parti, avoir la confiance du chef du parti, travailler pour sa réélection, et en même temps mettre en œuvre une politique contraire pour donner des moyens ou des ressources à quelqu’un qui cherche à détruire le système», se défend au Jury du dimanche de iRadio et iTv du 29 décembre 2019. C’était pour mettre fin à la polémique autour de ses relations avec Ousmane Sonko.
Une force tranquille
Mise impeccable, souvent en costume, front lisse, qui traduit une sérénité, Amadou Ba est décrit comme quelqu’un de «très simple» et «travailleur» par ses collaborateurs. «Il vient à 9h et ne rentre jamais avant 2h ou 3 h. C’est un féru du travail, quitte à mettre entre parenthèse sa famille. Pour résumer, je dirais qu’il consacre 80% de son temps au travail et 20% à la famille», raconte Babacar Mbaye, son Directeur de cabinet. Toujours bien rasé, la chevelure teintée en noir qui cache la blancheur du poids des années, Amadou Ba n’est pas, cependant, un «saint» d’après ses détracteurs. «Il a une capacité de nuisance extraordinaire. Il a ses réseaux dans les médias, chez les marabouts, les bailleurs de fonds. A un moment donné, il faisait de l’ombre au président de la République quand il était au ministère de l’Economie et des finances», glisse un cadre de l’Apr.
Né le 17 mai 1961 à Grand-Dakar, quartier populeux de la capitale, le 14e Premier ministre du Sénégal est aussi dépeint comme un homme qui veut toujours être devant. Son passage au ministère de l’Economie et des finances a laissé des traces. Lors de certaines réunions des cadres de l’Apr, des ministres se plaignaient des longues procédures pour accéder à certains budgets. D’après eux, c’était fait à dessein par Amadou Ba à cause de leurs divergences politiques. Une surpuissance de l’ex-locataire du 6ème étage de l’immeuble Peytavin qui a convaincu Macky Sall d’éclater ce département en deux ministères.
Lors de son entrée en politique en 2016, au moment du référendum, celui qui s’est «beaucoup inspiré» de Babacar Ba, ancien ministre des Finances durant le régime socialiste, n’a pas hésité à bousculer le leadership de Diouf Sarr dans la capitale. En juillet 2017, il est tête de liste départementale à Dakar pour les Législatives qu’il gagne face à «Manko taxawu Sénégal» de Khalifa Sall, en prison.
Un candidat fortuné
En outre, un des concepteurs du Plan Sénégal émergent, l’un des critères qui ont dicté le choix du président Sall, est appelé à s’expliquer sur le «patrimoine immense» qu’on lui attribue. Sa résidence sise aux Almadies est digne d’un nanti et relance le débat sur la richesse de certains hauts fonctionnaires, notamment ceux de la Direction générale des impôts et domaines. Issu d’une famille modeste, Ba a arraché sa part du destin pour se faire une place au soleil. Il a contribué à hauteur de 50 millions pour la réfection de la grande mosquée mouride de l’Unité 13 des Parcelles assainies. Il a aussi aidé l’Eglise à obtenir les titres de propriété aux Parcelles sans oublier les appuis à l’occasion des fêtes.
Homme de réseau et d’influence, Amadou Ba aurait de bons rapports avec les tenants des institutions internationales et on le présente comme proche de Christine Lagarde, ex directrice générale du Fmi. Clivant, c’est l’autre face que d’aucuns voient en Amadou Ba. Toujours sans nouvelle d’une déclaration de son patrimoine à l’Ofnac, bien que sa puissance financière soit connue, le poids en question demeure un mystère. «Amadou Ba évite toujours de frustrer ses proches et préfère les laisser faire. L’un de ses plus grands défauts en tant que politique, c’est cette difficulté d’accéder à lui mais aussi surtout sa présence physique constante sur le terrain politique. Les gens ne l’aperçoivent que pendant les élections. Même s’il a construit un siège disponible pour tous les Parcellois, il n’anime pas des rencontres politiques, ni avec ses responsables ni avec les militants, si ce n’est des assemblées générales», déplore un membre de l’Apr. En attendant, Amadou Ba alias Bayal, marié et père de 3 enfants, va défendre les couleurs de Bby.