À vue d’œil, l’industrie décline dans notre pays. Peu s’en émeuvent pourtant. Une telle indifférence inquiète alors que le plongeon détruit des emplois, désarticule le marché où l’offre et la demande font pâle figure. Devant une inflation galopante, la contraction du pouvoir d’achat inflige à la consommation de sévères cures.
N’est-ce pas que toute hausse des prix a pour conséquence d’avantager ou de désavantager ? À fortiori quand il y a plus de désœuvrés que d’actifs ! Des gagnants et des perdants en quelque sorte ! Aussi vieux que le monde, le débat persiste sur le gain social d’une perte de revenus. Il n’ y a jamais de lecture uniforme d’une production de biens, des échanges et des conséquences.
Économes de leurs efforts, les Sénégalais observent ce repli avec étonnement. Toutefois, ils se montrent prudents. La grande boulimie, jadis apanage de nos compatriotes, recule. Elle n’est perceptible que chez de rares personnes aux poches profondes qui se cachent d’ailleurs pour vivre heureuses…
Les dépenses des familles se compriment. Pire, elles se contractent. Pour preuve : l’envol de la vente au détail qui s’étend aux couches sociales relativement aisées. En cas de pénurie, le coup est rude pour plus grand monde. Les voies de survie sont impénétrables. La peur du lendemain tétanise les foyers de plus en plus attentifs aux achats utiles et nécessaires et au demeurant très regardants sur la consommation passive.
Cet état d’esprit ne résulte pas d’une prise de conscience aiguë mais découle d’un réalisme dicté par la conjoncture qui sévit. Tout le monde s’ajuste par nécessité parce que tout le monde adopte des conduites raisonnables. La main-d’œuvre sénégalaise tourne au ralenti. Les investissements actifs fléchissent à cause des chutes de commandes auxquelles sont sensibles les industriels encore téméraires malgré les prévisions de baisse dans un contexte préélectoral plein d’incertitudes.
N’étant pas une nation prospère ce qui peut nous galvaniser viendrait des efforts de tous pour produire davantage ce dont nous avons besoin. Plus le pays produit, moins il a les yeux tournés vers l’extérieur. Prime à la manufacture de chez nous, sans chauvinisme aucun, soit dit en passant. L’impulsion devrait venir de l’État en accroissant la commande publique auprès des entreprises sans « allongement des délais de paiement. »
Les PME redoutent des défaillances du fait de la faiblesse de leurs trésoreries exposées à de « fréquents abus » provenant de la complexité des procédures administratives que rien ne justifie a priori. Or l’efficacité dans le paiement permettrait aux trésoreries d’être renflouées ce qui constituerait une aubaine pour des entreprises très essoufflées.
Elles produisent. Mais les acheteurs sont rares à cause des prix auxquels ils sont cédés. D’où la ruée vers des biens et des services de moindres qualités. Ce spectacle, pas du tout valorisant, nous interpelle. Comment assurer le regain industriel dans l’embellie qui s’annonce ?
La porosité de nos frontières laisse pénétrer toute sorte de marchandises qui, en inondant le marché, perturbent l’organisation au détriment des acteurs nationaux poussés à n’être que des grincheux. L’équilibre de marché est souvent rompu par des facteurs inattendus : achète-t-on moins lorsque les prix montent et plus quand ils baissent ?
Simple ? Pas si sûr. Néanmoins, la prudence doit gouverner nos actes dès lors que l’économie doive s’appréhender sous plusieurs angles. La meilleure posture consiste à faire des choix de cœur en privilégiant les productions intérieures. C’est un moyen sûr de domestiquer les plus-values : se préparer à être forts en ayant le soutien de consommateurs compréhensifs, patients et tolérants.
La réussite étant au bout de l’effort, la compétitivité de nos champions « nationaux » sera un jour brandie comme un trophée conquis de haute lutte. Le modèle sénégalais de performance doit se frayer un chemin au détour d’échecs retentissants qui prédisposent aux réussites de demain.
De fait, l’information suffisante guiderait consommateurs, acheteurs et vendeurs vers des rapports mieux assainis pour la prise de la bonne décision sur une base bien intentionnée.
Pas que des mots pour nous soulager de nos maux, récurrents et nocifs. Une nouvelle race d’entrepreneurs émerge. Ils progressent à pas feutrés et affichent des ambitions industrielles fort légitimes. Issus en majorité de l’univers des « daara », ils allient discrétion et mesure.
Loin d’être naïfs, ils flairent les opportunités, creusent leurs sillons et font appel à des compétences rompues aux techniques et aux tâches de management. Cette soudaine inversion des rôles dissipe bien des malentendus en rapprochant des extrêmes qui s’évitaient ostensiblement.
Ces capitaines d’industries évoluent dans la transformation avec des lignes de production maîtrisées de manière graduelle. Ils apprennent vite et comprennent les procès autant que les ingénieurs travaillant sous leurs ordres. Les uns sont dans les détergents et se distinguent. D’autres dans les boissons naturelles et, avec audace, titillent des « grands aux pieds d’argile ».
D’autres encore investissent dans les usines de montage automobiles, les assemblages complexes, la manufacture, la sous-traitance d’intrants industriels, les emballages et peut-être même le compostage de déchets industriels. Ils travaillent dur et restent intraitables en affaires.
En s’approchant d’eux, on découvre des « héros » empreints d’humanité et de modestie, ouverts et enracinés, modernes et conservateurs, soucieux de poser pieds sur terre ferme plutôt que d’être « hors sol » ! Loin d’eux toute idée de se détacher des réalités qui les environnent. Ils découvrent les monopoles au contact du réel et, avec habileté, ils s’en accommodent sans baisser les bras, convaincus que le temps est leur arme maîtresse.
Les positions qu’ils engrangent et les acquisitions qui tombent dans leur portefeuille laissent deviner leur cheminement vers plus de conquêtes en affichant de subtiles proximités aves les goûts et les préférences des Sénégalais.
Difficile dès lors de dresser le bilan économique de ces entrepreneurs que personne n’a vu venir. La ressemblance de leurs itinéraires de vie ouvre des perspectives de rassemblement.
A n’en pas douter, ces « modèles d’efficacité » ringardisent les patrons endimanchés qui peuvent les percevoir comme une menace par le renouvellement de l’offre de leadership. L’avers de la médaille ! Faut-il se réjouir qu’ils apportent une nouvelle dimension aux affaires ? Vivement…
Eux invoquent productivité, rentabilité ou investissement actif, les autres s’adonnent à la litanie de doléances ou manifestent une nette propension à l’exhibitionnisme et aux dépenses ostentatoires. Signe des temps. Projections et conjectures…! La différence n’est pas que visuelle voire artificielle. D’ailleurs les nouveaux hommes d’affaires ne fréquentent pas les prétendus cercles d’influence dans lesquels fleurissent les esprits connivents. Les actes plaident en leur faveur.
Par le silence, ils transforment le monde !
Par Mamadou NDIAYE