Ce 31 décembre 2023, Macky Sall délivre son dernier message de nouvel an à la nation sénégalaise en sa qualité de président de la République. Il sera le second président, après Senghor, à prononcer un discours d’adieu. En outre, il détient dans ses mains et garde à l’esprit le scénario de son départ qu’il avait du reste brossé dans de rares confidences.
L’occasion, comme les précédentes, va revêtir une réelle solennité teintée d’émotion contenue. Pareil moment ne s’oublie pas ou, plus prosaïquement ne s’efface pas des mémoires. Au contraire l’événement revêt un cachet historique.
Sans être un enfant de chœur, il n’occulte pas la dimension affective de cette prise de parole attendue par tout un peuple qui lui sait gré d’avoir renoncé de son propre gré à prolonger un bail avec la fonction présidentielle. Sa décision a écourté les spéculations et déjoué les pronostics de mauvais goût. La République est sauve.
Parce que le président sortant a compris qu’il exerce un pouvoir en vertu « d‘un mandat conféré par le corps social ». Les pangols du Sine sont insondables, mais une ode à la gloire d’un fils du mythique terroir ne serait pas qu’un bruit de fond. Il a déployé un trésor d’énergie pour impulser des dynamiques de transformation d’un pays paralysé par le verbiage et très peu inspiré.
L’affligeante pauvreté de pensée (ou de réflexion aboutie) inquiète dans ce Sénégal inondé de soupçons, de dénis, de mensonges et de médisances au moment justement où une partie de l’intelligentsia célèbre le centenaire de Cheikh Anta Diop, un pharaon du savoir s’il en est.
Le président Sall s’apprête donc à retracer son parcours, à faire son bilan et surtout à camper la perspective qui pourrait se dessiner dans un contexte trouble et turbulent. Ses compatriotes traînent, eux aussi, des souvenirs discordants sur ses deux mandats à la tête de l’Etat.
L’unanimité n’étant pas de ce monde, son action politique divise alors que ses gestes socio-économiques le portent au pinacle. Par ce contraste se construit le récit d’une époque nourrie de sentiments mitigés, de tensions permanentes, de crises perlées et de décrispations momentanées.
À sa façon, il a gouverné le Sénégal qu’il n’a pas changé de fond en comble. Loin de là. Sûrement se désole-t-il de la crispation politique et de l’absence d’un dialogue fécond au sein d’une classe dirigeante navigant entre les extrêmes.
La démocratie sénégalaise s’honore-t-elle de ce déficit de discussions ? À coup sûr elle se serait passée de ces épisodes houleux dont est friande une certaine opinion adepte d’une théâtralisation de l’échiquier politique truffé d’acteurs à l’imagination indigente amplifiée par une presse peu regardante sur les contenus et leur valeur informative.
En revanche, Macky Sall a doté le pays d’infrastructures d’écrin qui le prédisposent à s’ouvrir au monde, à se préparer aux défis de demain et surtout à jouer les premiers rôles dans d’âpres luttes de compétitivité qui s’annoncent. Ne nous voilons pas la face. Nos voisins s’installent en grand nombre au Sénégal. Le pays attire et peu de gens s’en aperçoivent.
Ce saut qualitatif s’incarne dans le projet Diamniadio, érigé en ville pour désengorger Dakar en proie à la saturation et au gonflement démographique. L’effort se constate de visu. Mais la proximité avec la capitale ne règle pas la mobilité urbaine.
Entre les deux pôles, le mouvement pendulaire s’est très vite reconstitué occasionnant des embouteillages paralysants sur l’ensemble des axes routiers. Si bien que les pertes de temps sur les trajets, ajoutées aux inconforts dénotent un défaut de projection sur le long terme.
Autrement dit, Diamniadio ne résout que partiellement l’équation de la concentration. Certains n’hésitent même pas à considérer que la nouvelle ville détrône la capitale et la confine dans sa forme d’entonnoir pour davantage l’isoler. Les transports, publics et privés, échappent à toute raison.
Atypique, le secteur manquait de fluidité. Quelconques et aléatoires, les dessertes étaient mal assurées par un parc vétuste que les usagers s’obligeaient à emprunter faute de mieux. Or, ces inconvénients coûtent à l’économie près 610 milliards de francs par ans, soit près 14 % du PIB.
La minuscule région de Dakar occupe 15 % du territoire national mais absorbe 50 % des emplois, ne laissant aux autres entités que la portion congrue. D’aucuns avaient cru que l’amélioration de la circulation dans l’agglomération allait changer sa physionomie. Ce qui n’est pas faux du reste.
Il en découlait toutefois un accroissement du parc automobile et d’autres moyens roulant au détriment des modes de transports collectifs. Ceux-ci, malgré des faillites retentissantes, étaient perçus comme une panacée dans le domaine économique et social.
Le TER et le BRT prochainement, répondent-ils aux attentes des Sénégalais ? Plébiscitent-ils la mobilité collective en dépit des externalités négatives, comme le soutiennent certains spécialistes des transports modulaires ?
Le couloir du BRT permet-il un rabattement pertinent le long de son itinéraire ? Sommes-nous à la veille des villes du quart d’heure ? Le débat s’anime à mesure que s’accroissent les difficultés de déplacement d’un point à un autre dans des villes tentaculaires.
En 2021, la pandémie du Covid-19 avait donné lieu à l’expérimentation du travail à distance, suscitant l’intérêt du « home work » comme réponse à la tentation de la zonification.
Désormais, l’approche consistant à rapprocher le travail du lieu de résidence séduit grand monde, notamment chez les experts qui préconisent une proximité des services face à un « urbanisme étalé ». Macky Sall a lancé des travaux d’amélioration de la vie urbaine.
À son successeur d’ajouter une couche. Pas de magie. Mais du réalisme adossé à du concret pour dissiper les appréhensions. L’industrie sénégalaise somnole. L’économie enregistre plus de fermetures que d’ouvertures d’unités industrielles.
Ce paradoxe persiste alors que fleurissent les opportunités d’investissement et de création d’entreprises de transformation ou de fabrication. Le secteur secondaire a besoin d’un coup de fouet qui n’aurait d’effet tangible que si les politiques se convainquent du vivier d’emploi qu’il représente.
À cet égard, Diamniadio, en tant que « cité ouverte », quelque peu « show off », dégage des espaces dédiés au sein desquels s’activent des unités industrielles gourmandes en capitaux et en quête de développement. Il faudra aller au-delà de cette « zone de confort » pour inventorier les métiers du futur et les chantiers en devenir.
Naturellement, une telle opération requiert un savoir-faire distinctif afin de renforcer les avantages comparatifs du pays qui ambitionne de se poser en pôle économique émergent d’ici 2035.
Le temps fille. Et une avalanche de dispositions sont à prendre pour « tuer » dans l’œuf les lenteurs qui inhibent l’expansion de notre économie encore et toujours extravertie.
Par Mamadou NDIAYE