L’horizon s’assombrit à l’ouest de l’Afrique. Des régimes kaki dictent leur loi à des populations prises pour chair à canon dans une indescriptible poudrière à l’abri des regards.
Sous l’emprise de ces forces, l’ambiguïté le dispute à l’embrouille, la parole maquille des faiblesses qui ont cours dans des casernes que la raison a désertées en cédant le mirador à des esprits primesautiers.
La récente décision des juntes malienne, nigérienne et burkinabè de quitter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) cache mal le désarroi des militaires face à une conjonction de facteurs qu’aucun d’eux n’envisageait ou n’avait initialement prévu.
Ils invoquent le « manque d’assistance » de la Cedeao pour justifier leur départ que rien ne motive en réalité.
Ils relèvent également son manque de spontanéité dans le soutien à « l’effort de guerre » alors qu’elle a été prompte à brandir des sanctions contre les putschistes.
Nos vaillants soldats, une fois au pouvoir, se sont aperçus des dures réalités de l’exercice qui est loin d’être une comédie de boulevard.
N’avaient- ils pas reproché aux civils leur mollesse et leur indifférence au sort des troupes au front ?
De guerre lasse, ils ont fini par confisquer les pouvoirs écartant du coup des dirigeants élus qu’ils empêchaient même, fusil à la tempe, d’appliquer les programmes pour lesquels leurs peuples respectifs leur ont fait confiance en les portant à la tête des États du Niger, du Faso et du Mali. Un président est détenu contre son gré dans une prison à ciel ouvert, un autre écarté manu militari.
L’interruption des processus démocratiques a de quoi inquiéter riverains et voisins surtout avec l’arrivée en force de troupes russes, notamment Wagner présent sur le sol malien au moment même où les troupes Barkane de l’armée française quittent le pays.
Concordance ? Concomitance ? Coïncidence ? Toujours est-il que ce « jeu de chaises musicales » dénote un renversement de perspective et le surgissement d’une situation inédite gouvernée par un télescopage d’incertitudes.
Dans des figures de styles qui se ressemblent, les trois régimes militaires ont achevé leur mue en montant une Alliance des États du Sahel incapables de se projeter parce que dépourvu de moyens et par conséquent obligés de substituer un parapluie (français) par un autre, russe cette foi, dont les dérives et les travers ne sont pas méconnus en Afrique Centrale et australe.
Les questions de sécurité sont si récentes qu’elles ne figurent pas proprement dans les textes fondateurs de la Cedeao.
Ceux qui se sont empressés de court-circuiter les pouvoirs en place avaient-ils conscience de la difficulté de la tâche et de son immensité ?
Ils n’ignorent pas que le culte des héros est passé de mode depuis l’effacement d’une certaine incarnation : Thomas Sankara, en l’occurrence.
Or en s’accrochant au concept suranné de la gloire, ils se trompent d’époque et mobilisent les populations pour de fausses causes adossées à de fausses lectures de conjoncture qui nous valent ces errements intempestifs.
A quelle logique obéit le retrait des trois pays de l’AES ? Est-il censé de quitter une économie ouverte pour replonger dans une économie fermée ?
L’un des tout premiers acquis de l’intégration régionale est la libre circulation des hommes et des biens sans aucune entrave dans l’espace ouest africain avec plus de 300 millions d’habitants.
Pourquoi se recroqueviller dans des réduits, étouffants, sans épaisseur, sans consistance et surtout sans lendemain quand l’heure est aux grands ensembles beaucoup plus viables en termes de projections ?
Les ressortissants de ces pays se retrouvent dans toute la zone économique. Les économies sont si imbriquées que tenter de les démêler ressemblerait au tonneau des Danaïdes.
Tâche absurde. Coup d’épée dans…le sable mouvant des territoires de l’hinterland. Ils ont autant besoin des pays à façade maritime que ceux-ci consomment les productions animales venant du nord.
Que veulent les dirigeants militaires à travers ce retentissant coup de force qui relève plus de la Communication politique que d’une stratégie réfléchie pour inverser l’encours de l’histoire ?
Les trois lectures de la déclaration commune dans les chaînes de télévision d’État, résument l’état d’esprit qui prévaut dans les palais bunkérisés.
Les moyens de communication utilisés dénotent chez les militaires en question un goût immodéré de la jouissance cathodique. Convaincus de la puissance et de la portée des médias, ils en usent à satiété au point d’en abuser.
D’ordinaire, les médias consacraient la gloire.
Désormais, ils la fabriquent. Certains hiérarchies militaires l’ont compris. Elles s’évertuent à asseoir une popularité sur cette base.
Ce qui est contre-productif, dès lors que l’objectif affiché demeure de mobiliser les populations pour en faire l’instrument de consolidation des pouvoirs conquis.
En arrière-plan de cette approche se faufile un populisme naissant qui attend son heure pour éclore. Le rayonnement à la gloire des colonels est en marche.
Repos ! Fixe ! Rompez…!
Leur prétentions décuplées étonnent tant par leur manque de réalisme que par leur déphasage vis-à-vis des priorités qui jalonnent le chemin de sortie de crises.
Idéaux du panafricanisme et des pères fondateurs. Manque d’assistance face au terrorisme. Sanctions injustes infligées par la Cedeao. Meurtries par des Années de violence.
Passer à la télévision confère une notoriété dont voudraient jouir les patrons des juntes. Militaires de haut rang qui tentent de ce fait de se convertir en politiques avisés.
En indexant la Cedeao comme le vivant noyau de leur malheur, ils trouvent assez facilement un bouc-émissaire choisi pour endosser la responsabilité ou pour expier la faute.
Pour éviter toute polémique découlant d’une réaction immédiate, la Cedeao s’emmure dans un épais silence qui en dit long sur les facéties des régimes issus de coups d’Etat ou qui en sont l’excroissance ou l’émanation. Gare à la célébrité enfuie…!
Ils avaient écarté du pouvoir des régimes qu’ils considéraient comme faibles et inféodés face à la progression du terrorisme.
En prenant le pouvoir, ils promettaient de rétablir l’ordre et les valeurs, de repousser les ennemis, et de surveiller les frontières.
Qu’ont-ils fait de leur pouvoir ? Les incursions meurtrières se multiplient. L’insécurité règne toujours. Par milliers, les populations se déplacent à pied.
Pire, elles s’entassent dans des bidonvilles où la promiscuité et la violence se télescopent. Plus d’écoles, de préfectures ou de symboles d’Etat dans diverses zones sous contrôles de milices
En outre, il faudra s’émouvoir du tissu de complicités reliant des générations de militaires qui observent, ébaubis, le comportement des gradés au pouvoir dans une demi-douzaine de pays d’Afrique.
Par ailleurs, les trois États de l’Alliance au Sahel totalisent une population de moins de 70 millions d’habitants, soit deux fois moins que l’ensemble du Nigéria, géant de l’Afrique à côté de l’Afrique du sud.
Les militaires dont la conduite est en conflit avec les valeurs de démocratie s’érigent en sentinelles de vertus que seul le temps va éprouver.
Car certains d’entre eux souffrent d’un déficit de légitimité qu’ils tentent de combler par un populisme de mauvais aloi.
Or les accointances avec ces prototypes de régimes d’exception traduisent un net penchant autoritaire qui finira par s’exercer au grand jour.
Le retrait s’apparente à une réaction d’orgueil mal placé et sans lendemain. Convenons-en. En d’autres termes, disposent-t-ils de légitimité bien assise pour remettre en cause un acte fondateur.
A moins de parler en leur nom propre en méconnaissance des trajectoires historiques des différents États ayant concouru à l’expression d’une volonté unitaire à l’échelle régionale ou continentale.
Ce dessein est sauver. Il est à mettre à l’abri des tentations solitaires, par essence suicidaires.
C’est faire peu de cas de l’importante contribution des fondateurs à l’émergence, soixante ans plus tard, des embryons d’Etats qui songent à des abandons de souveraineté pour construire de grands ensembles.
En clair, le retour à de micros-Etats sonne comme un faux-nez qui avance encagoulé de surcroît.
Par Mamadou NDIAYE