Nathalie Yamb, cette panafricaniste autoproclamée dont le seul fait d’armes est un « discours » ne se rend pas compte qu’elle contribue à ancrer dans l’inconscient collectif l’archétype de la France toute-puissante. Les archétypes sont connus pour être des structures primitives (images archaïques comme « formes a priori » de l’imagination) sur lesquelles s’édifient les symboles, les références, les mythes, les contes, les pensées, etc., qui déterminent notre vie psychique. L’image d’une France transcendante, omniprésente et omnipotente, qui règle jusque dans nos émotions est à mon avis absolument inhibitrice.
Faire croire que la France contrôle jusque dans nos choix électoraux est quand même risqué et, à la limite, loufoque. Nous n’avons pas le droit d’instiller dans l’inconscient collectif et, par ricochet, dans celui individuel de nos enfants que c’est la France qui nous gouverne. Ce n’est pas bien ! A moins d’être soi-même traumatisé par l’image étouffante de la France, on doit montrer à nos enfants que c’est moins la France que notre représentation de nos rapports avec elle qui est en question. Le sport permet de comprendre la dangerosité de certaines images : le mental est tellement déterminant dans le sport que certains sportifs recrutent des psychologues pour mettre leur équipe ou combattant au top. Se voir en victime expiatoire avant la confrontation est déjà une source de défaite certaine. La peur est avant tout une construction mentale, la haine aussi : toutes les deux sont cependant des pesanteurs.
C’est quand même paradoxal : régimes corrompus et pseudos révolutionnaires antisystèmes invoquent tous la France pour justifier ou infirmer des postures. Le défunt régime libéral a argué que la France l’a, en connivence avec les opposants d’alors, combattu ; les pseudos révolutionnaires prétendent que c’est la France qui a béni les manœuvres malsaines de Macky ; les partisans de ce dernier avancent la même raison mais en inversant la position de la France. Finalement c’est la France qui est l’Alpha et l’oméga de notre vie mentale et, donc, de notre vue politique. Ce n’est pas de cette façon qu’on va bâtir une nation souveraine, forte et fière.
Cette place que nous accordons à la France, notre père ou notre mère archétypale est la première chose que nous devons détruire. Tous les imposteurs, tous les démagogues ont compris qu’il est plus commode de mobiliser les foules autour de la haine contre un grand ennemi. Ils n’y croient pas au fond (du moins peu leur importe que cela soit vrai ou pas) l’essentiel est que cela leur serve de schèmes intellectuels pour pallier la grande paresse de penser leur réalité, leur époque, leurs difficultés complexes. La France justifie tout, absout tout, elle est pour nous ce que l’image des prophètes montant au ciel est pour les religions.
Je pense sincèrement qu’il nous faut rompre avec ce complexe comme ne cesse de le dire Fatou Diome. Le mythe de la France grande prédatrice installe chez nos enfants le défaitisme, la conviction d’être des proies, des damnés à la merci du grand Blanc (qu’on nous pardonne la métaphore maritime). C’est archifaux et dangereux de prétendre que Marcon veut imposer Karim. La France a été prise au dépourvu par la chute de Ben Ali, elle n’a rien pu faire pour empêcher la chute de Compaoré, rien pour contenir la colère des Maliens contre leurs anciens présidents.
Ayons du respect pour nous-mêmes si nous voulons que les autres nous respectent. Arrêtons de faire de la France l’arbitre principal de nos joutes, cherchons d’abord à circonscrire les raisons locales de nos problèmes.
L’émancipation est avant tout mentale et intellectuelle. C’est trop simpliste et paresseux (à moins de le proposer à la consommation immodérée de la foule) de toujours référer à la France pour expliquer nos problèmes. Ce que Macky Sall a fait ou veut faire n’a rien de mystérieux : il est tombé dans le piège de ses propres calculs machiavéliques et cherche à reprendre la main. Il est malheureusement aidé par le caractère de notre peuple : au lieu de nous battre pour des idées généreuses, des causes impersonnelles, nous cherchons des maîtres et ce, même pour penser les choses les plus ordinaires.
Alassane KITANE