Monsieur le Président, bon voyage au pays de Kongzi, « Maître Kong », latinisé en Confucius par les Jésuites !
Nous ne savons pas qui est du voyage avec vous, sauf deux invités de marque : les deux meilleurs élèves du Sénégal au Concours Général ! Bravo et fort bien joué ! Sans doute aussi et forcément des hommes d’affaires, les plus aiguisés techniciens et cadres de notre haute administration financière, commerciales, agricoles, touristiques. Des diplomates. Incontestablement. Ils sont l’« air-force one » de votre visite d’État qu’ils ont dû préparer avec le talent reconnu à la diplomatie sénégalaise. Tous nos ministres des Affaires Étrangères devraient ne jamais échouer dans leur mission, toujours être « aux oiseaux », selon l’expression québécoise, pour dire heureux, protégés, préparés et bien servis par des diplomates de très haute voltige et ce, depuis Senghor. Mais à condition d’être écoutés, respectés. Nos premiers soldats les plus avancés au combat dans le monde, ce sont d’abord nos diplomates ! Les ministres doivent être de bons généraux à l’écoute de leur armée au front !
Les voyages d’État se préparent très tôt, si possible six mois à l’avance, si on en connait les dates et il n’existe pas mieux que nos diplomates pour en faire une réussite quelque que soient les impasses !
Avec Senghor, -ceux qui s’essoufflent à vouloir « rendre l’oubli » possible, ne vaincront pas- les premiers qui entraient en action pour préparer ses voyages d’État, étaient le service des archives et de la documentation de la présidence de la République. Il s’agissait, d’abord et avant tout, de tout savoir sur le pays hôte : passé, présent, futur, son histoire, sa géographie, sa culture, sans oublier l’histoire de vie de son dirigeant politique. Les discours de Senghor partaient toujours de la culture pour aller embrasser l’économie et tous les secteurs vitaux de la coopération. Nos premiers échanges économiques avec le Japon et l’Iran, sont sorties de la magie Senghorienne !
Bien sûr, nul n’est obligé d’adopter sa posture et sa vision. A chacun sa cuisine, ses fourneaux. Mais cette aptitude à « capturer » et à « fasciner » les dirigeants politiques étrangers par la culture, la connaissance, l’émotion, mais sans faiblesse, sinon avec grâce, éloquence et vérité, a toujours payé et placé le Sénégal très haut dans l’appréciation et le respect singulier qui lui étaient dus et qui l’ont tant distingué par le monde.
Monsieur le Président, nous voulions juste vous souhaiter un bon voyage dans un grand, très grand pays dont aucun autre pays de la scène mondiale ne peut ignorer ni l’existence, ni l’exigence, ni la capacité de production de richesses !
Retenez également que le mandarin, la langue officielle de la Chine, ne va plus tarder à supplanter l’anglais dans le monde. Ce n’est qu’une question de temps. Le mandarin fascine ! Les grandes écoles et universités en Amérique comme en Europe, rivalisent dans son apprentissage ! « Le mandarin est parlé par 1,120 milliards de personnes contre 1,268 milliards de locuteurs anglophones. »
Nous espérons que dans votre avion, vous accompagnent notre ministre en charge de la Culture, des artistes, des écrivains. Si le Théâtre Sorano n’est pas du voyage, ne l’oubliez pas la prochaine fois ! Montrez au monde ce que votre pays possède de plus attirant, de plus durable, de plus prodigieux comme culture et productions artistiques !
Ce n’est pas autrement que la Guinée a fasciné et conquis le monde avec les Ballets Africains Keïta fodéba. Il s’agissait, comme pour Senghor qui voyageait, entre autres, avec les Ballets du Théâtre Sorano, de montrer que « l’émancipation politique doit s’accompagner d’une décolonisation culturelle, afin de retrouver les traditions africaines et de leur restituer leur signification sociale et symbolique. »
Par ailleurs, merci Monsieur le Président d’étudier la possibilité de faire précéder vos voyages d’État à venir, par une exposition de l’art sénégalais contemporain, que vous visiterez sur place soit avec votre homologue du pays hôte, soit avec son ministre en charge de la Culture. Montrez et vendez votre pays au beau ! Présentez aussi la Biennale de Dakar au monde, par la même heureuse occasion ! Ce n’est pas cher ! Seule la culture est invincible !
Revenez-nous, Monsieur le Président, avec des accords de coopération heureux et gagnants où la culture, les arts et les lettres de notre pays pourront, au carrefour des échanges avec la Chine, s’enrichir mutuellement et se féconder mutuellement.
Le Sénégal, comme hier, malgré sa fausse constipation artistique et littéraire, peut beaucoup offrir au monde et donner de notre cher pays un visage que seules les expressions culturelles et artistiques ont le secret et le pouvoir !
La peinture et la poésie sont très célébrées en Chine ! Monsieur le Président, vous qui semblez tant aimer le set- sétal, planter des arbres, chérir l’environnement, apprenez que « C’est avec la dynastie des Tang, dès 618, que l’art des jardins prend toute son ampleur. C’est l’âge d’or de la civilisation chinoise grâce à la sensibilité artistique des lettrés. »
Tiens, Monsieur le Président, et si vous demandiez à Xi Jinping, votre homologue chinois, de vous offrir une copie du « Yuanye », fameux « traité de jardins écrit en 1633 par Ji Cheng, un lettré, redécouvert dans les années 30 et traduit en français. Ce traité est d’une impressionnante modernité. Les conseils de respect de l’environnement, d’intégration au site, de protection des nappes phréatiques. »
Monsieur le Président, certains de vos poètes et écrivains ont été honorés par la Chine où des jardins classés patrimoine mondial par l’Unesco, portent leurs noms et leurs écrits.
Bon voyage Monsieur le Président et revenez-nous gagnant dans un Sénégal apaisant et apaisé ! Mais nous savons tous, hélas, que la démocratie n’est pas une femme facile ! Et quand on a fait des enfants avec elle, on ne peut que la chanter !
Amadou Lamine Sall poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
Septembre 2024