L’affaire avait explosé comme une détonation inattendue, secouant l’opinion publique dans un contexte où rien ne laissait présager un tel tumulte. Ce scandale retentissant continue de faire des vagues, cette fois dans les arcanes feutrés du système judiciaire. Le parquet financier vient d’ordonner à la Division des investigations criminelles de se saisir d’un dossier explosif : un marché d’armement de 45,3 milliards de FCFA, révélé par le journal Libération.
Tout remonte au 30 décembre 2021. Ce jour-là, une société récemment née à Dakar, Lavie Commercial Brokers-Suarl, constituée à peine six semaines plus tôt, signe un contrat d’une ampleur vertigineuse avec le ministère de l’Environnement. Le montant est ahurissant : 45,3 milliards de FCFA, toutes taxes comprises. Le contenu, lui, est classé « secret défense » : équipements de sécurité, véhicules d’intervention, matériel logistique et de communication. Une discrétion quasi totale entoure cette opération. L’homme qui paraphe le contrat pour Lavie se nomme David Benza-quen, un ex-employé d’un marchand d’armes israélien bien connu, Gaby Peretz. Mais rapidement, les enquêteurs découvrent que dans l’ombre, un autre personnage tire les ficelles : Aboubacar Hima, alias “Petit Boubé”, courtier nigérien au passé trouble dans le monde des trafics d’armes.
Les premières alertes ne tardent pas. La Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) met au jour un véritable circuit financier opaque. Selon les informations révélées, Lavie, Eurocockpit et Technologie Service International (TSI), trois entités étroitement liées à “Petit Boubé”, ouvrent simultanément des comptes dans une même banque à Dakar. Peu après la signature du contrat, des sommes massives transitent entre ces comptes. Plus de 3 milliards de FCFA sont transférés de Lavie et Eurocockpit vers TSI. Ensuite, les flux se déchaînent : transferts, retraits en espèces, envois à l’étranger, le tout sans documents justificatifs convaincants.
Le 27 février 2023, deux hommes retirent d’importantes sommes en liquide : D.A.A. Jacques encaisse 85 millions de FCFA, A. Loum en retire 150 millions, puis, dès le lendemain, récupère encore 185 millions. En argent comptant. Les mouvements paraissent d’autant plus suspects qu’un retrait direct de 565,5 millions FCFA en chèques est effectué par “Petit Boubé” lui-même, sans aucune traçabilité. Ce dernier avait pourtant déjà reçu une “avance” phénoménale de 34 milliards FCFA, censée lui permettre de financer le marché. Dès lors, une question s’impose : pourquoi verser une telle somme en amont à un intermédiaire censé mobiliser ses propres ressources ?
Les justifications présentées évoquent des frais de dédouanement de conteneurs. Or, d’après la Centif, ces conteneurs ne seraient qu’une fiction : ils n’auraient jamais existé.
L’enquête prend désormais une tournure judiciaire et internationale. Le procureur Alioune Abdoulaye Sylla a ouvert une instruction visant notamment des faits de détournement de fonds publics et de blanchiment d’argent. L’affaire dépasse largement le cadre de simples irrégularités administratives. Elle dévoile un enchevêtrement complexe : un contrat signé à la hâte, une société montée à la va-vite, des circuits financiers opaques, et une pluie de milliards envolés dans un brouillard épais.
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