Excellence, Monsieur le Président de la République,
En date du 10 juin 2024, je vous avais adressé une lettre ouverte, pour attirer votre auguste attention sur le bradage foncier dans l’arrondissement de MBANE. Le dépeçage foncier, l’accaparement et l’aliénation des terres de MBANE par l’agro-business ont entre-temps atteint leur paroxysme haïssable.
La visite de votre Excellence des installations hydro-agricoles de la Compagnie Sucrière Sénégalaise dans la zone dite du BARDIAL à MBANE et à proximité de RICHARD-TOLL, s’est effectuée dans des terres spoliées aux populations de NDOMBO SANDJIRY en 1986 par la CSS. C’est sur ces terres de NDOMBO SANDJIRY que l’aérodrome de RICHARD-TOLL a été construit ; les populations de NDOMBO ont été d’ailleurs dédommagées par le colonisateur et elles seules. Sur le terrain que vous avez visité, ladite société avait demandé au Président Abdou Diouf une superficie de trois mille deux cents (3.200) hectares par décret, non pas pour cultiver de la canne à sucre, mais plutôt pour diversifier ses cultures en produisant tomates et maïs, pour assurer la sécurité alimentaire des Sénégalais. La CSS n’a pas respecté sa parole, car à la place des tomates et du maïs, elle continue de cultiver de la canne à sucre. Elle a reçu son décret auprès de l’état qui lui n’a pas respecté en la matière les dispositions de la loi sur le domaine national en zone de terroir. Cinquante-cinq (55) ans après son installation au WALO cette société contrairement à ses engagements envers le peuple sénégalais n’a ni réglé notre autosuffisance en sucre, encore moins celle en tomates ou en maïs. Cela avait fait dire à notre grand ministre des finances de l’époque, en l’occurrence MAMOUDOU TOURE du FMI, qu’il était plus économique pour le Sénégal de fermer la CSS et d’importer le sucre de l’étranger. Je ne suis pas économiste, seulement un WALO observateur, mais qui sait combien non loin de chez nous le sucre importé coûte en MAURITANIE, à notre frontière nord.
Votre visite et le discours que vous y avez délivré ont été mal compris par le maire de MBANE et la CSS. Résultat : le conseil municipal a immédiatement et en catimini octroyé (mille vingt-six) 1.026 hectares de nouvelles terres à la CSS, alors qu’elle en dispose à suffisance et à satiété.
Je voudrais, Monsieur le Président, en toute conscience et en toute responsabilité pour toutes les conséquences pouvant résulter des informations que je voudrais porter à votre connaissance, vous dire ceci :
1. La Compagnie Sucrière occupe présentement plus de 12.000 hectares de terres du domaine national dans une zone de terroir dans l’arrondissement de MBANE, alors qu’elle n’en a pas le droit selon nos textes de lois régissant le Domaine National ;
2. La compagnie sucrière occupe plus de trente mille (30.000) hectares de terres dans le département de Dagana dans la plus grande opacité ;
3. La compagnie sucrière occupe près de 40% de la superficie de la commune de RICHARD-TOLL et constitue un danger environnemental de grande envergure pour cette commune et celles environnantes ;
4. L’ancien Directeur Général de la CSS, Monsieur André Froissart a lui-même annoncé, que de toutes ces terres occupées par la CSS, seuls dix mille hectares étaient réellement exploités ;
5. Présentement, de nombreux enfants du WALO louent des terres de la CSS pour cultiver du riz et manger à leur faim, alors que ces terres étaient la propriété de leurs ancêtres.
Sur le cas récent de spoliation de 1.026 hectares de terres à MOURSEYNI par la CSS par le biais du conseil municipal de MBANE, un chef de village de cette localité a diffusé dans les réseaux sociaux, que lui et d’autres chefs de villages environnants avaient directement négocié avec la CSS la rétrocession de « leurs » terres d’habitations et de cultures contre cinq (5) millions de FCFA pour chaque père de famille, une maison de quatre (4) pièces, une école, une mosquée, de l’eau, etc. Ce qui est grave, c’est que ces négociations se sont déroulées en présence du maire, parfois avec le soutien du Sous-préfet de MBANE, la mairie de MBANE se trouvant paradoxalement toujours dans la commune de RICHARD-TOLL et dans les locaux de la Sous-préfecture ! Ceci constitue à nos yeux une anomalie et les transactions, un scandale.
Un autre fait mérite d’être porté à votre connaissance : l’actuel maire de MBANE armé d’un fusil, en compagnie d’un employé indien de la société SENEGINDIA devenue SWAMI AGRI lui aussi armé d’un pistolet, tous deux accompagnés un dimanche jour férié, par le sous-préfet de MBANE en personne, sont venus dans le village de BADJINCOBE WIDODJI appelé aussi MAR, à quatre (4) kilomètres de MBANE, pour intimider les habitants éleveurs Peulhs et tenter de délimiter des terres, en vue de les déguerpir pour les beaux yeux de l’agro-business ! C’est le Sous-préfet lui-même qui avait annoncé la veille à une délégation des villageois hostiles à cette spoliation, qu’il viendrait, en personne délimiter les terres appartenant aux Indiens, un dimanche, sans la commission domaniale de la commune ! Le pire a été évité ce jour, car malgré cette provocation, les jeunes et les populations ont gardé leur sang-froid en ne faisant que confisquer les armes sans violence et chasser les visiteurs.
Pour trouver un bon exutoire à la forfaiture du conseil municipal, le maire n’a pas hésité à affirmer, qu’une instruction de donner ces terres à la CSS lui était venue d’en haut. C’est par ce subterfuge et par la pression psychologique, que beaucoup de maires ont vendu le foncier national publiquement dénoncé par le Président Abdoulaye Wade, en faisant croire aux conseillers municipaux et aux populations révoltées, que c’est « BUUR », c’est-à-dire « LE ROI », autrement dit l’ETAT incarné à son sommet par le Président de la République, qui souhaite qu’on cède ces terres et qu’il est inutile de s’y opposer.
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Ces actes sont inacceptables dans un pays de droit, Excellence. L’arrondissement de MBANE est devenu un terrain propice pour les « TEEFANKE » de la terre, au vu et au su et parfois avec la complicité d’agents de l’administration.
Or, notre loi N°64-46 du 17 juin 1964 portant sur le Domaine National sis en zone de terroir ainsi que son décret d’application N° 64-573 du 30 juillet 1964 stipulent bien en l’article 19 du décret que je cite : « l’affectation est personnelle à l’individu ou au groupement. Elle ne peut faire l’objet d’aucune transaction » (fin de citation). Aux termes des articles 47, 74 et 76 du Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC) et de l’article 423 du Code Pénal du Sénégal, toutes ces conventions et contrats signés par l’agro-business avec les populations locales souvent illettrées en Français sont illégaux.
Monsieur le Président, dans le « Document de Politique Foncière » produit aux termes des travaux titanesques de la « COMMISSION NATIONALE DE REFORME FONCIERE (CNRF) », l’attention des autorités a été attirée sur le caractère illicite des transactions foncières avec les bailleurs privés. A la page 62 de ce document, avec votre permission, je vous cite ce passage important : « … l’entrée de l’agro-business dans la production agricole s’est traduite par une amplification des transactions foncières qui sont généralement non transparentes, en ce qui concerne les modalités d’attribution des terres aux investisseurs. Cette question a été largement évoquée lors des ateliers décentralisés qui ont insisté non seulement sur l’importance de ces affectations et transactions dans certaines régions (VALLEE DU FLEUVE SENEGAL, zone des NIAYES, SENEGAL ORIENTAL) mais aussi sur la nécessité de protéger les intérêts de l’agriculture familiale face aux investissements fonciers privés à grande échelle.
A cet effet, les concertations décentralisées ont préconisé pour certaines zones (FLEUVE, NIAYES notamment) la réalisation d’un audit foncier préalablement à la formalisation des délibérations d’affectation des terres prises par les collectivités locales. Cet audit devra se pencher, entre autres, sur la régularité des délibérations, les capacités des affectataires et l’état réel de mise en valeur des terres (fin de citation) ».
Contre les dérives de l’agro-business, je me suis battu en tant que Président du Conseil Rural de MBANE avec les conseillers ruraux, mené avec eux une grève de la faim pour freiner cette boulimie foncière. Cela nous a été fatal par le glaive d’une Délégation Spéciale injuste. Profitant de ces erreurs de l’administration sénégalaise, un sieur TAHIROU SARR a légalement acheté par adjudication du tribunal de SAINT-LOUIS, un terrain de huit mille (8.000) hectares à deux (2) milliards pour une valeur vénale estimée à l’époque à 48 milliards de FCFA. Ce terrain a été proposé comme caution dans une procédure pénale en cours. Ces 8.000 hectares abritent cependant une dizaine de villages traditionnels Peulhs et Wolofs avec des écoles, un poste de santé, des cimetières, plusieurs mosquées, des terres agricoles et de pâturage, dont le déguerpissement n’est qu’une question de temps et dépendra d’un futur acheteur !
Devant ce mélange explosif d’injustice, de frustration, d’humiliation, d’amertume et de couleuvres avalées, de « JAAY DOOLE » (imposition d’une épreuve de force) impunies, mais également et surtout d’absence de protection par l’administration locale et par les lois de la République, il s’impose à nous de saisir l’autorité suprême et gardien de la Constitution que vous êtes, pour mettre un terme à une évolution que certains pays ont vécu dans l’histoire depuis l’antiquité, et qui a toujours inexorablement conduit à des soubresauts paysans meurtriers.
Excellence, Monsieur le Président de la République, je vous saurais gré de toutes les dispositions qu’il vous plaira de prendre ou de faire prendre, pour que le Gouverneur de SAINT-LOUIS refuse d’approuver la délibération scandaleuse du conseil municipal de MBANE affectant mille et vingt-six (1.026) hectares à la Compagnie Sucrière Sénégalaise à BARDIAL/MBANE. Il serait également salutaire pour ces populations du WALO de mettre fin aux visées expansionnistes de la CSS dans les zones de terroir, parce qu’elle occupe suffisamment de terres, à savoir plus de trente mille (30.000) hectares dans le département de Dagana, dont au moins vingt mille (20.000 hectares) sont en jachères, et d’ordonner un audit exhaustif de la gestion des terres pas seulement de MBANE, mais également de tout le département de DAGANA.
Veuillez agréer, Excellence, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma profonde considération.
MBANE, le 23 juin 2025
Pr. Aliou Diack
Dr. ès-Sciences en Structures
Ancien Professeur de Structures et d’Hydraulique et
Chef du Département de Génie Civil de
L’Ecole Polytechnique de Thiès (E.P.T.)
Ancien Président de la Communauté Rurale de MBANE.