Dakar s‘enlaidit chaque jour un peu plus. Pour s’en convaincre, pas besoin de démonstration ! Il suffit d’ouvrir les yeux et d’observer le champ de ruines qui s’étale malgré la frénésie de construction aux quatre coins de la capitale.
Soumise à ce rythme infernal où pierres et fers se croisent et se décroisent tout en toisant le ciel, la ville ne s’épanouit pas. Plutôt, elle s’évanouit. L’esprit de conquête et celui de système se conjuguent et gagnent du terrain à mesure que se rétrécit l’espace de vie sur cette presqu’île jadis paradisiaque.
Qui sauvera Dakar du tragique destin en cours ? Une voix, des voix ? Une volonté, des volontés ? En attendant, les différents lieux de curiosité s’effacent gommés par des pelleteuses en série. Les nuances de beauté, de « joyeuseté et de gaieté » disparaissent.
L’esprit boutiquier flotte dans l’air. L’Alizé et l’Azur ne soufflent plus. A quoi s’ajoute la montée des eaux, conséquence de la fonte des glaces et du réchauffement irréversible de la planète. Désormais, la mélancolie s’empare de la cité défigurée, outragée et rabougrie.
Faut-il craindre que la magie s’éteigne ? « Mais elle est déjà éteinte…!» crient en chœur des citoyens damnés, vivant reclus dans le souvenir après avoir perdu foi et espoir. La fierté s’affiche moins tandis que l’étonnement s’estompe au moment où la fulgurance et la grandiloquence bousculent plaines, reliefs et bas-reliefs.
Non seulement le parc de Hann s’effiloche mais l’assèchement détruit à petit feu l’unique sanctuaire du vivant dont se réjouissaient les Dakarois. Leur ville est envoyée au tapis plus ocre que vert, signe évident d’un déclin voire d’une lancinante dégradation qui lui ôte toute identité remarquable.
Or sans caractère, sans personnalité propre, une cité se meurt par défaut d’attachement de ses habitants. Tout le contraire de certaines villes de l’Afrique australe, jalouses de leur singularité héritée mais gardée en exclusivité dans le but très perceptible de la préservation de leur attractivité. Nairobi, Kampala, Mombassa, Zanzibar, Lilongwe et même Addis-Abeba, s’efforcent de pérenniser leur « cachet naturel » comme socle de différenciation.
Par millions, les touristes arrivent de partout en quête d’évasion certes mais astreints (et non contraints) au « strict respect » des milieux naturels, « prolongement de vie » des humains qui « ne sont pas seuls sur cette terre », comme le rappellent à longueur de journée des prospectus dédiés.
La symbolique est très forte de l’unicité et de la complémentarité des lieux de vie. Un écureuil au beau milieu d’une route fréquentée provoque d’incessants arrêts du trafic de véhicules sans klaxons ni vocifération de conducteurs impatients. Cependant, sur les dix kilomètres de la petite autoroute Dakar-Patte d’Oie, les petits ruminants égarés sont férocement écrasés par des conducteurs impulsifs, ne doutant de rien et cruels dans leur agissement au quotidien.
L’art de vivre quitte la scène dakaroise envahie par une coupable légèreté qui escorte et encadre les incivilités et les indisciplines notoires. Si ailleurs les gens vivent en alerte permanente, signe d’une « reconversion aboutie », ici l’indifférence prévaut aggravée par une fâcheuse absence de règles devant obliger les indélicats à se soumettre ou à défaut, d’être lourdement sanctionnés.
Dakar broie les talents, quand Nairobi les plébiscite. Dans la capitale éthiopienne ou en Tanzanie, la création est valorisée et de partout arrivent les artistes. Ceux d’Afrique de l’Ouest rasent les murs ou s’exilent pour vivre de leur art étouffé à Dakar, Lagos, Ouagadougou, Niamey et même Abidjan. Qu’est-ce qui justifie une telle différence de traitement ?
L’hospitalité n’est pas qu’un vain mot. Elle est un condensé d’actes significatifs à l’égard des hôtes du moment et surtout des gestes d’amabilité qui déposent une empreinte de souvenir vantés au gré des voyages et des rencontres mémorables. Si « ailleurs » le trop-plein se voit, ici le vide se perçoit.
Dakar manque d’incarnations ou de leaders « providentiels », à l’image des Ngalandou Diouf, Blaise Diagne, Lamine Guèye et jusqu’à plus récemment Mamadou Diop, qui furent de grandes figures ayant impulsé les premiers signes de modernité d’une ville à vocation universelle. Un nouvel héros va-t-il surgir ? Comment ? Les rivalités politiciennes ont plus vite étouffé des personnalités qu’elles n’en ont engendrées.
N’avait-on pas transféré la capitale de Saint-Louis pour accentuer l’émergence de Dakar nantie d’atouts forgés par les Lébous réputés pour leur savoir-vivre et leur légendaire pacifisme ! La cohésion de la communauté a longtemps tenu comme un rempart contre les extravagances et les incongruités apportées par les nouveaux arrivants. Ce flux continu traduisait une aspiration au « bien-être » peut-être même au « mieux-vivre ».
Mais à la longue, l’afflux a supplanté le flux. Si bien que tout devenait difficile à contrôler, à planifier, à réguler, à inscrire dans des projections maîtrisées. Le cumul des retards d’anticipation a accru l’ampleur du phénomène d’exode des ruraux venus grossir des banlieues mal, très mal préparées à accueillir grand monde. Des cohortes d’exilés, issus des pays voisins s’y sont également agglutinées.
Résultat : une juxtaposition d’univers clos à l’intérieur desquels vivent des populations qui se « rassemblent parce qu’elles se ressemblent », pour paraphraser un sociologue célèbre pour son sens pointu et honnête de l’observation des dynamiques sociales. Le fantasme d’une vie améliorée a viré au mirage puis aux clivages.
Le retour des pluies, au demeurant abondantes, exacerbe la précarité existentielle vécue comme une volonté politique de discrimination et d’exclusion. C’est une question de toute première importance interprétée différemment selon les niveaux de lecture. Peut-on sauver Dakar en l’isolant des banlieues proches ou lointaines ? Ce serait une voie sans issue. Puisque pour une question de cohérence, les sites d’habitation sont agglomérés et s’interpénètrent pour donner un nouveau visage de la vie urbaine et périurbaine. En un mot : une âme réinventée absorbant les entités sans « tuer » leurs essence différenciée.
Dès lors se pose la question du modus operandi. Autrement dit, par quel bout prendre l’équation urbaine de Dakar dont la vitalité démographique et l ‘essor des construction d’habitats contraste étrangement avec l’étroitesse de sa superficie anarchiquement occupée. Il n’y a plus de réserve foncière.
D’où l’appel du large que préconisent certain pour décongestionner la capitale. Un autre son de cloche résonne en faveur d’une option de construction en hauteur. Les deux propositions ont leurs adeptes qui bataillent ferme jusque dans les hautes instances de pouvoir.
Diamniadio s’offrait comme une rupture. En revanche, sa proximité avec Dakar a englouti le rêve d’une ville autre. A la clé, les problèmes se sont accrus : les mouvements pendulaires se sont reconstitués avec plus d’ampleur alors que Diamniadio devait désengorger la capitale. La forte concentration des infrastructures et des équipements sur l’espace Capverdien compromet l’équité territoriale vantée comme un retour à la prospérité partagée avec l’éclosion des potentialités dans une belle harmonie de péréquation interrégionale.
Les nouvelles autorités dessinent une ville du futur. A l’horizon 2050… Au même moment, elles abaissent l’âge des véhicules importés.
Par Mamadou NDIAYE